Lieu : grande salle MCNN
Le retour à Nevers de Roger Planchon et du Théâtre National Populaire de Villeurbanne
après son triomphal « Avare » en 1999. La création ayant lieu en février 2001, nous
ne pouvons vous en dire plus, sinon lassurance davoir un très grand spectacle
dun de nos plus grands metteurs en scène français. »
Présentation
Roger
Planchon, un metteur en scène, un chef de troupe, un comédien
Deux pièces étonnantes composent notre spectacle. La provinciale est une comédie. Félicie est un conte de fées éducatif, une féerie morale. La provinciale est, elle aussi, une pièce déducation, mais léducation dont il sagit ici est morale en profondeur. Pour être plus efficace, la pièce est libertine. Cest le pendant théâtral des Liaisons dangereuses que Laclos écrira vingt ans plus tard. La provinciale présente une leçon de libertinage, un libertinage hardi. «Hard», dirait-on aujourdhui.
Une jeune veuve provinciale, une héroïne dont lintelligence pétille, va vivre une étrange histoire damour avec le Chevalier de la Trigaudière, un roué qui connaît les usages. «Son libertinage le rend illustre, en fait un héros quon est curieux de voir. On se le montre en spectacle. Où est-il ? se dit-on. Le voilà ! Cest lui le fameux violeur de lordre !»
Une femme dintrigues, une somptueuse libertine, ladmirable Madame Lépine, dont on dit : «Quelle succession de mouvements libertins na-t-il pas fallu pour aguerrir son âme, pour la familiariser avec lidée du crime !», mettra le piment quil faut dans cette idylle.
La manipulation des sentiments de la jeune veuve par la belle Madame Lépine et ses subtils complices sera exemplaire et impitoyable. Pauvre Félicie !
Tel est le Monde Vrai, dit Marivaux, où «il y a deux sortes dambitions. Celle damasser du bien, celle damasser des honneurs». Entendez, du pouvoir, pas des médailles. «Il y a des gens qui nont que la première, dautres que la seconde, dautres qui ont les deux. Les premiers nont point dâme, les seconds sont des superbes qui en ont trop. Les premiers sont toujours en danger dêtre fripons et le sont souvent, les seconds, quoique généreux, sont toujours en danger dêtre méchants et le sont quand il faut. Les troisièmes ne méritent pas quon les remarque. Ils nont pas assez de force pour être méchants ni assez davarice pour être fripons.»
Tel était le jugement de Marivaux sur la société du XVIIIe siècle. Hausserait-il le ton pour condamner la nôtre ? Que dirait-il de nos nouveaux roués, avides de pouvoir et de biens, branchés sur les nouvelles technologies ? Que dirait-il de nos «affaires» ? De nos nouveaux chevaliers dindustrie, de nos nouvelles putains de la République ?
Les historiens qui travaillent sur le XVIIIe siècle sont frappés par les points de convergence avec notre époque. Lorsque les interdits moraux tombent, comment une jeune femme vit-elle labsence de barrières ? Lorsque règne la liberté des murs, quest-ce que la pudeur ? Comment une jeune femme lit-elle et ressent-elle les articles des journaux féminins ? Une semaine, ils argumentent pour la réserve et la prudence ; la semaine suivante, pour la liberté sans contrainte. Ces journaux-là se foutent des contradictions de leurs discours : ils vendent du papier. Qui parcourt le courrier des lectrices de ces journaux est convaincu de lactualité profonde des deux récits théâtraux de Marivaux. Chaque semaine, comme lhéroïne de Marivaux, des «Félicie» y exposent leurs «tourments», leurs désarrois, leurs «épopées sensuelles» aux retournements et aux chutes imprévisibles. A quelle morale saccrocher dans le no mans land moral ? Aujourdhui, en Europe, en Amérique du Nord, combien de millions de jeunes Félicie sautillent dun pied sur lautre ? Est-ce par désinvolture, sentimentalité ou snobisme quune Félicie plantureuse sagenouille, dans un bureau ovale ? Et la suite est burlesque. Cette bêtise insignifiante devient le centre dintérêt de la société «mondaine» mondiale. La «mondanité» à léchelle de la planète, nest-ce pas admirable ? Comment Marivaux, attentif observateur des murs de son temps, aurait-il commenté et transposé ce «scandale» dans ses Journaux ?
Dans les scènes «conte de fées» de cette version scénique, Madame de La Thibaudière retrouve son prénom, Félicie, et fait remonter à la surface son âme dadolescente. Dans ces moments-là, cette héroïne devient une copie conforme de la «femme daujourdhui» que souhaitent voir naître journalistes et présentatrices de 40-50 ans, dans les journaux féminins ou sur les petits écrans T.V. Elles affirment : «La régression est indispensable à celle qui nest plus une jeune fille, pour mettre un peu de fantaisie dans sa vie. Âge mental souhaitable pour une femme de 40 ans : 12-13 ans.» Ce sont dardentes militantes dun retour à lesprit «gamin», dun comportement «à létourdi». Marivaux devrait être ravi que ces clones de Félicie autour de nous prolifèrent, lui qui, dans ses pièces, a si souvent et si malicieusement décrit ce mécanisme.
Dans des registres très différents, les deux uvres se répondent : lune et lautre présentent la même leçon déducation sensuelle, sentimentale et morale. Une jeune personne va à la découverte du monde, pour être plus précis, de la société. Les deux histoires témoignent, en profondeur, de la même exigence morale. Les deux réunies forment un «roman dapprentissage» exemplaire.
Félicie, «une féerie mise en dialogues». La provinciale, une comédie réaliste. Cest la dernière uvre que Marivaux publia. Trois ans avant, malade, il avait rédigé son testament. Quelque temps après la publication de La provinciale, le 12 février 1763, Monsieur Pierre Carlet de Chamblain, dit Marivaux, meurt à Paris, rue Richelieu.
Aujourdhui, nous tenons Marivaux pour lauteur qui a pris sur ses épaules lécriture théâtrale de son temps. Inventeur scénique, il est le seul qui comprit de lintérieur Bérénice de Racine. Voltaire, qui méprisait Marivaux, na fait que parodier Corneille ou Racine. Voltaire connut le succès. Tenu en piètre estime, attaqué par les critiques de son temps, Marivaux nosait même plus présenter ses pièces aux comédiens susceptibles de les jouer. Il réussit à faire publier La provinciale mais, pour éviter les coups de trique, sans nom dauteur.
Félicie fut lue et refusée par la Comédie-Française. Le manuscrit resta égaré longtemps. A notre connaissance, Félicie na jamais été jouée. La provinciale na connu quune mise en scène, mais aucune représentation à Paris. Ces deux uvres ont été oubliées, ignorées, et pourtant leur intérêt est grand.
Dans ladaptation scénique que nous proposons, nous avons groupé les deux récits. Ainsi, le poids du réel approfondit la féerie et la féerie donne une intériorité à laventure réaliste et comique de la jeune veuve qui découvre la sensualité sans contrainte.
Cette adaptation est née pour un projet double : une fiction cinématographique ou télévisuelle et un spectacle théâtral. Il sagit donc de lécriture dun scénario et dun montage de scènes. Au texte des deux uvres sont jointes quelques phrases tirées des Journaux de Marivaux. Cest un scénario dialogué par cet auteur, cela va sans dire. A partir de ces quelques textes et des deux uvres de Marivaux, nous présentons une fiction pour écran, grand ou petit, et pour la scène.
Roger Planchon
Roger Planchon, un metteur en scène, un chef de troupe, un comédien
Depuis les débuts de sa Compagnie, en 1950, Roger Planchon met en scène et joue. Sa vie se passe sur le plateau. Avec ses acteurs, il partage les dangers et les plaisirs des représentations et des tournées théâtrales. Il passe des jeux burlesques de Bottines et collets montés aux aventures de dArtagnan et aux enfances du Roi Henry. Quand il devient dramaturge, il joue les rôles quil écrit : le vieil Émile Chausson dans La remise, le curé Guy Duverger dans Linfâme, le capitaine Simon des Jallades dans Le Vieil Hiver, le banquier Bertaux dans Le Radeau de la Méduse, le Solitaire dans Le cochon noir...
En 1972, dans Le massacre à Paris de Christopher Marlowe, il interprète le duc de Guise sous la direction de Patrice Chéreau, qui inaugure la scène rénovée du TNP-Villeurbanne. Depuis, il a tenu une douzaine de rôles en vingt-cinq ans, notamment dans ses mises en scène de Molière - Tartuffe et George Dandin, - de Shakespeare - Antoine - et de Marivaux - le philosophe du Triomphe de lamour. Il était Harpagon dans Lavare, en ouverture du Festival Theater der Welt Berlin 99.
M. B.
BP 416 58004 Nevers cedex