« Est-ce qu’on choisit sa vie ? Ou est-elle choisie pour vous ? (…) La seule façon pour moi de concevoir la chose, c’est que nous sommes libres de choisir et que nous nous trompons toujours. Ca expliquerait mon épouse. » Foley
Un héritage irlandais
Extrait
Note d’intention du metteur en scène
Un personnage qui danse
Les images
La création sonore
Foley nous met en scène de façon désopilante et touchante une histoire d’héritage, celle de George Foley, ultime rejeton de l’une des rares familles protestantes de la République d’Irlande. Situation que le héros définit lui-même comme « le point final d’une évolution historique et sociale ».
Pris en étau entre la culture dominante catholique, à laquelle sa propre femme appartient et le protestantisme quasi aristocratique de sa famille, Foley nous livre une parole désillusionnée : le cynisme et l’hypocrisie de part et d’autre sont mis au grand jour. Foley, pour notre plus grand plaisir, lave son linge en public ! Au moment où il tente, tardivement, de trouver sa place d’homme adulte, il prend conscience qu’un héritage se compose non pas tant de choses qui nous reviennent, mais de celles dont on ne peut se débarrasser.
Portée par une parole vivifiante, souvent drôle, la pièce dresse un portrait inédit d’une minorité sur le déclin : la haute bourgeoisie terrienne irlandaise. Ce seront les humeurs et les aigreurs de l’Irlande à travers le discours iconoclaste d’un fils de bonne famille. Sûrement aussi la résurgence de quelques fantômes celtiques. Un humour donc et une légère désespérance qui sonnent familiers. Une odeur de décadence à la Oscar Wilde plane sur cette adresse au public.
Mon père avait l’habitude d’aller à l’église à cheval. Il n’était pas obligé. C’était sa manie, son péché mignon. (…) Un matin le cheval arriva à l’église sans lui. (...) Je revois encore la selle vide. C’est drôle, on voit souvent un cheval sellé sans cavalier, mais en général c’est parce que quelqu’un est prêt à le monter, ou vient d’en descendre. Mais de voir Claudius, c’était son nom, sur son trente et un… c’était comme de voir une voiture sans chauffeur en pleine ville. C’était comme s’il s’était sellé lui-même et était venu à l’église de sa propre initiative, en bon protestant qu’il était.
Il aimait ce cheval. Il l’avait appelé Claudius, en l’honneur de cet empereur romain qui aimait tellement son cheval qu’il l’avait fait sénateur, et je pense que ça vous en dit aussi long sur mon père que sur le cheval. Caligula. C’était Caligula. Pourquoi l’appela-t-il Claudius ? Oublié.
(...) Mon père nous interdisait de l’approcher sous peine de mort. Et là, il mangeait l’herbe de la parcelle familiale, sellé mais sans cavalier, en infraction avec l’ordre naturel des choses. Il y avait quelque chose d’indécent là-dedans. Comme de voir mon père nu. Nous le retrouvâmes en fin de compte dans un fossé, du moins ce qu’il restait de lui. Il était tombé la tête la première et il s’était fracturé le crâne. La terre à laquelle il avait attribué une forme d’intelligence primitive, s’était soudain, par un violent retour des choses, approprié la sienne et avait laissé à sa place une motte de gazon groggy. (...) En tous cas il y avait de la justice dans cette chute. Ou sinon de la justice, de la poésie. Parce que sa chute réunissait ses passions - son cheval, la gravité, les funérailles et sa terre.
« Je n'eus pas de nom pendant trois mois. Ca n'engage pas à se sentir le bienvenu. Finalement, ils m'appelèrent comme mon père (...) On se demande vraiment comment il a fallu trois mois et toute la durée d'une gestation pour en arriver à ce rien du tout. » Foley
Foley n’est pas un inconnu. Nous l’avons traqué jusque dans ses derniers retranchements. Nous l’avons vu prendre chair : son humour, son cynisme, son désespoir, sa folie menaçante nous guident à travers les paysages changeants de l’Irlande contemporaine.
Les instants d’un spectacle à venir se laissent déjà deviner : Imaginez le fil des images, pinceau subjectif que nous posons sur les petites choses de la vie d’un homme, il se déroule le temps du récit. Imaginez la grâce juvénile des mouvements de Lisa, elle passe comme une ombre troublante. Imaginez enfin la voix grave, envoûtante de Loïc, elle fait vibrer les motifs entrelacés de la mémoire de George Foley.
Tout se meut dans une douceur océanique et une précision picturale. La vraie violence peut se faire sentir : dans la vie, on n’a pas toujours le choix. Foley ne nous est décidément pas inconnu.
Laurent Hatat
Dans Foley, la danse est étroitement liée au texte et au sens qu’il véhicule. Loin d’un intermède abstrait venant entrecouper la pièce, elle est au contraire en constante interaction avec le comédien. La danseuse est en fait un « personnage qui danse », un personnage muet qui s’exprime au travers de son propre langage.
Ce personnage, ambigu et multiple, revêt plusieurs visages et incarne successivement Béa, la petite sœur mystérieuse et malicieuse, Centaure un cheval fantastique ou encore Angela une petite fille qui suscita chez le jeune garçon un amour quasi mystique. Leur point commun constitue leur appartenance au monde immatériel du rêve, ou du phantasme… domaine de prédilection pour la danse.
La juxtaposition de la danse au récit de George Foley offre également une autre perspective : elle appose un «Autre Monde » plus souterrain, inconscient, celui de la folie qui le guette … La Mort n’est pas très loin. Sa personnification au travers de la danse permet de symboliser l’ultime combat de George Foley contre lui-même, contre sa propre perte.
Lisa Fuchs
« Je deviens mon père. Je ne veux pas dire comme. Je me transforme réellement en lui. J'ai son odeur. Je trouve ses mots dans mon gloître, ils se rappellent à mon bon souvenir comme les relents d'un mauvais dîner de poissons. » Foley
Foley est un récit dense, qui s'organise en cercles et en images mentales : une errance sans carte, dont les tracés s’apparentent aux interminables méandres et chevauchements de lignes dans les enluminures du livre de Kells. J'ai cherché une forme unique et autonome, qui n'empièterait pas sur la production d’images-visions du texte.
La vidéo apporte un espace figuratif simple, qui produit à la fois du lieu et de la durée pour le parcours mnésique du personnage. Une figuration de l'espace mental de Foley, mais aussi toute une variété de logements, de recoins, de profondeurs, de rythmes, de cycles et de strates, qui proposent des scénographies, des lieux où se nicher, se rencogner... Un espace suffisamment ouvert et souple, oscillant entre abstraction pure et illustration littérale, susceptible de devenir une surface de projection pour l’imaginaire du spectateur.
"Tout coin dans une maison, toute encoignure dans une chambre, tout espace réduit où l'on aime à se blottir, à se ramasser sur soi-même, est, pour l'imagination, une solitude c'est-à-dire le germe d'une chambre, le germe d'une maison." La Poétique de l'espace de Gaston Bachelard
Mylène Benoit
Dans notre tête, il y a des mélodies, des sons, des parcelles inconscientes de la mémoire. Un jour, on redécouvre un morceau de musique ou on réentend un son et on se retrouve immédiatement dans un souvenir précis, dans une période de notre vie où on écoutait ce morceau ou ce son régulièrement. On a la sensation de retrouver aussi une partie de nos souvenirs avec plus de précision, comme des tableaux.
Un autre jour, on se retrouve seul dans la maison familiale de notre enfance, le grincement de l’escalier, le tic-tac de l’horloge de l’entrée, cette goutte ininterrompue dans l’évier de la salle de bain font revenir les voix, les mélodies du piano à queue du salon.
Ces mélodies, Foley s’en rappellera petit à petit. Elles feront danser les ombres, elles se mêleront au crépitement de la pluie sur la fenêtre de la cuisine, elles feront apparaître des images, mais elles resteront toujours de l’autre côté du souvenir comme de l’autre côté du mur qui séparait la chambre du salon.
Philippe Gordiani
10, place Charles Dullin 75018 Paris