Fragments d'un discours amoureux

du 18 au 29 novembre 2011
1h10

Fragments d'un discours amoureux

Arnaud Churin et ses deux complices, Scali Delpeyrat et Luciana Botelho, donnent une saveur charnelle et subtilement ludique aux célèbres « figures » du texte-montage de Roland Barthes. Brillant !

Arnaud Churin revient en amoureux au Théâtre de la Bastille. Son précédent spectacle, se plaçait alors sous le signe de l’admiration portée par le comédien et metteur en scène au peintre Fernand Léger. Dans sa dernière création, montage original des célèbres Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, en compagnie de Luciana Botelho et de Scali Delpeyrat, Arnaud Churin fait donc la promesse que « ce sont des amoureux qui jouent » pour d’autres amoureux, les spectateurs se reconnaissant dans les mots de Barthes. Dans un espace scénique délibérément nu, le travail d’énonciation des interprètes se traque au plus près des élégances et des suspensions qui traversent le texte.

A.L.

  • Entretien avec Arnaud Churin

Vous sentez-vous proche du travail d'un metteur en scène particulier ?

Je me sens tenu avec mes collègues dans un mouvement commun qui est le théâtre, Grotowski parlait des arts performatifs, je trouve que c’est très visionnaire comme concept. Le metteur en scène que j’adule, comme on est fan d’un chanteur populaire, c’est Christoph Marthaler.

Quand je commençais le théâtre il y avait des acteurs qui disaient qu’il ne fallait pas trop admirer, ce n’était pas un bon mouvement. J’aime beaucoup fréquenté les peintres, et en particulier leurs écrits à cause de cela. Très souvent les peintres se situent par rapport à ceux qui les ont précédés, et disent des choses du type « Il me fallait oublier Cézanne ». J’ai admiré beaucoup et intensément. Ce mouvement de respect vis-à-vis du travail d’autrui m’a appris mon métier. En premier mon admiration s’est portée sur Jean-Marie Patte et Armand Gatti.

Pour moi ce sont deux modèles absolus du meilleur que peut produire l’art. Ils ont été mes maîtres et je passe ma vie avec eux. Je suis quelques fois fou de rage qu’ils ne soient pas au centre de notre vie théâtrale. Le maintien de leur parole, en marge de la galaxie théâtrale, comme des OVNI, peut m’inquiéter sur la santé de nos institutions. Eux m’ont marqué.

Mais le premier mouvement d’admiration, celui de l’enfance, c’est Jackson Pollock. Je n’ai jamais oublié le film que j’ai vu autour de mes dix ans où l’on voyait Pollock réaliser ses dripping. Cette liberté, cette fantaisie, ce soin d’une totalité, cette veine de l’invention n’ont cessé de me porter. C’est par Pollock qu’adolescent j’en suis venu à Fernand Léger. Là, c’est une admiration totale absolue de l’homme et de son œuvre. Il m’a marqué au point d’être l’objet de mon premier travail intitulé L’Ours Normand, Fernand Léger et présenté au Théâtre de la Bastille. Je n’aime pas trop le mot de metteur en scène, je lui préfère les mots régisseur, concepteur, chef de troupe.

Ce qui est important c’est ma capacité à créer les conditions pour que l’on puisse travailler ensemble, vous comprenez ? C’est en cela que de nombreux artistes m’intéressent comme les TG Stan, Sivadier, Yann-Joël Collin, Lacascade, Marthaler, Gwénaël Morin…

Comment avez-vous abordé le texte des Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes ?

Notre premier matériel de travail a été l’introduction du livre. Nous avons retenu son concept de communauté, de « coopératives » de tous les amoureux. L’idée est théâtrale. Mais contrairement au livre nous choisissons des figures qui répondent à une logique narrative.

En suivant cette logique, le montage a été simple. Un jour Stuart Seide m’a raconté la manière dont Peter Sellars, travaillait pour le montage des pièces de Shakespeare : « Il coupe tout ce qui l’ennuie, puis il travaille sur ce qu’il a coupé pour comprendre pourquoi c’était là, en quoi ça n’est peut-être pas si ennuyeux etc… ». Alors depuis, j’ai travaillé sur toutes les figures que nous n’avions pas retenues. La contrainte, à peu près respectée, est de traiter les figures en entier sans couper dans la pensée de Barthes.

Quelles sont les conditions que vous donnez aux comédiens ?

Nous travaillons en équipe, c’est un élément important. Je n’indique pas ce que nous devons faire sur le plateau, j’essaie de créer les conditions pour que nous l’inventions ensemble…Celle qui indique c’est Emanuela Pace, c’est elle qui fait ce travail de distance, de dramaturgie et « d’œil extérieur », j’adore cette expression désuète. C’est finalement la personne la plus importante dans ce travail. Moi je suis sur scène avec Scali Delpeyrat et Luciana Botelho.

Comment dîtes-vous le texte ?

François Chattot, que j’admire énormément, m’a rapporté que Cézanne aurait dit «Il faut habiter dans la forme ». Nous essayons de déplier la pensée de Barthes sans nous soucier de notre énonciation mais en essayant plutôt de créer un espace amical entre celui qui nous entend, nous voit et celui qui a écrit, dont nous portons la subjectivité. Barthes dit « Je » tout le temps dans les fragments. Cette parole s’incarne en nous et nous devenons des personnages, amoureux donc. Je propose des pistes, comme des chemins, des pistes dans le désert et puis nous les suivons. Ces pistes se transforment à mesure qu’elles sont arpentées par l’un ou l’autre et à la fin, ce n’est pas tellement mon travail mais le nôtre qui est visible et tant mieux parce que je crois que le spectateur est venu pour partager cela : cet ensemble qui est si beau.

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Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette 75011 Paris
Spectacle terminé depuis le mardi 29 novembre 2011

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