Une
denrée inépuisable, la langue
par Joël Jouanneau
LAnge à orifices
par Jacques Serena
Une histoire simple : deux filles et un homme dans un appartement quils croient
vide, des amours, juste de quoi faire problème.
Ce qui complique, cest la vieille dame, quand elle reconnaît en lune des
filles sa fille. Et puis il y a cet accordéon que lhomme veut convertir en boîtes
de thon, que la fille veut transmuer en soirée dans un resto, que la vieille dame veut
remettre dans le placard, et fermer bien à clef, on sera gentil...
Si ça se trouve, ils sont les héros déglingués dune espèce de mythologie de fin
de siècle,
de la survie au jour le jour. Mille et unième tentative de se rejouer avec les moyens du
bord un tour de rêves impossibles, dans la vieille ronde des plaisirs et des
désolations.
Une histoire simple : deux filles et un homme dans un appartement quils croient
vide, des amours, juste de quoi faire problème.
Ce qui complique, cest la vieille dame, quand elle reconnaît en lune des
filles sa fille.
Et puis il y a cet accordéon que lhomme veut convertir en boîtes de thon, que la
fille veut transmuer en soirée dans un resto, que la vieille dame veut remettre dans le
placard, et fermer bien à clef, on sera gentil...
Si ça se trouve, ils sont les héros déglingués dune espèce de mythologie de fin
de siècle, de la survie au jour le jour. Mille et unième tentative de se rejouer avec
les moyens du bord un tour de rêves impossibles, dans la vieille ronde des plaisirs et
désolations.
Une denrée
inépuisable, la langue
par Joël Jouanneau
Il écrit, Mallarmé, mais où je ne sais plus, il écrit, cest comme une illumination, ceci : " A moins que nexiste, à lesprit de quiconque a rêvé les humains jusquà soi, rien quun compte exact de purs motifs rythmiques de lêtre, qui en sont les reconnaissables signes ", et lidée nest pas simple, non, ou alors trop forte, trop aveuglante, mais si, voulant dire pourquoi le théâtre de Jacques Serena me passionne, jéprouve le besoin de citer Mallarmé, cest bien pour creuser cette illumination-là. Et aussi pour éviter un malentendu qui guette le théâtre de Serena. Celui de sa réduction à lunivers de la marge. Les lieux, les situations, les personnages, sont certes ceux de lexclusion, et Gouaches sinscrit dans la continuité de Rimmel, première pièce de lauteur : largent manque cruellement, on se nourrit aux coquillettes, on se fait des plans pizza au thon, lappartement "visité" devient vite un squat, les rares bibelots disparaissent et, dès la troisième scène, le salon est vidé de ses meubles. Mais cest alors que tout peut commencer. Car chez Serena, quand tout vient à manquer, et quil nest plus rien à perdre, si ce nest le gîte et le couvert, il reste une denrée inépuisable, dont ses personnages semblent pouvoir consommer à volonté, au risque eux, de sépuiser : la langue. Elle aussi est socialisée, du moins le choix des mots, souvent limité, et quimporte puisque - doù Mallarmé - ce sont les " purs motifs rythmiques de lêtre " qui sont ici recherchés. Une question de souffles. De débits. Daccents toniques. De syllabes décisives. Dans les petites tragédies de leur existence, il entendent leur musique et seule elle justifie le pourquoi de leur présence au monde. Alors il la jouent. Et si cette musique, elle parvient ensuite à résonner dans nos têtes, alors peut-être ils nont pas rêvé, peut-être ils sont vraiment là, vivant, respirant et soufflant parmi nous.
LAnge à orifices
par Jacques Serena
Cest une évolution naturelle, en avançant dans le roman, je passais de plus en plus par le magnétophone, pour juger du son, du rythme, privilégier ça, par rapport au sens, du sens maintenant je sais quil y en aura toujours assez. Je ne me sers pas des mots pour quelque chose que jaurais à dire, quand lespèce de rythme organique est là, si une chose doit se dire cest delle-même, moi jessaie daider les mots à aller là où ils doivent, comme ils doivent. Ils savent mieux que moi. Memmènent où je ne savais pas que je devais. Avec le magnétophone, quand je lisais devant le micro je ne lisais pas vraiment ce que javais écrit, la page je men servais comme dune partition, je sautais, brodais, dans lurgence un réajustement se faisait naturellement, automatiquement, adéquat, presque toujours. Après, je réécrivais comme javais dit.
Après mon troisième roman paru, jai proclamé de partout que jen avais marre du roman, pas seulement des miens dailleurs, plutôt moins des miens, en fait, mais quand même. Jai dit dans pas mal dinterviews quil mintéressait maintenant de me frotter au théâtre. Et cest là, ayant lu ça, que Martinelli ma appelé, quil ma dit son envie quon travaille ensemble, au Théâtre National de Strasbourg. Bien sûr, le fait que je sois demblée tombé sur Joël Jouanneau a fait quimmédiatement jai senti à quel point javais effectivement des choses à apprendre (et bien sûr à prendre) là, que javais de sacrées pistes à creuser avec ces possibilités du théâtre. Sans doute aussi a participé le fait que ça se soit passé dans ce lieu de Théâtre Ouvert, assez idéal pour la recherche (parfois même plutôt linquisition) qui mintéresse.
Avec le texte de Rimmel, je traînais encore quelques effets de style, pas trop, beaucoup moins que la plupart, loin sen fallait, mais quand même, il y avait des rechutes, là ou là. Avec Gouaches, je crois que je suis guéri, enfin presque. Non pas quil ny ait pas de style, mais il ne sentend plus, et quant à la poésie, quand elle y sera, elle surgira delle-même, de la rencontre du mot et du geste, dun coup, comme ça. La poésie des salons de poésie me tue, même sans voir les poètes elle serait tuante.
Mais pourquoi le théâtre, je nai pas vraiment répondu, je sais. Pour tenter de le faire, jopte pour des tentatives, forcément pathétiques, déclaircissements par des choses vécues. Comme si on ne se faisait pas plus dillusions sur son passé que sur son avenir, mais quoi, sinon.
Je dessine un modèle nu, une femme belle, dans une pose classique, jai dix-huit ans, cest dans un cours aux beaux-arts. Je suis étonné du peu que je ressens, de ne pas my intéresser plus, du désespérant de ce corps devant moi. Tout en posant, la femme parle, on écoute à peine. Puis cest la fin de la séance, la femme veut descendre de lestrade, perd léquilibre, tombe, une seconde il y a son corps incongru, son visage hébété, soudain elle est vraiment nue, elle existe pour moi. Et là le moindre mot quelle dit matteint gravement. Une des premières prises de conscience du fait que le verbe on ne lentend pas pareil selon la position du corps qui le dit. Et que leur corps me touche quand il échappe à leur contrôle. Et donc quand je sens que je pourrais avec un corps faire en sorte que.
Pour ce que jen sais, si jen juge par ceux quil se trouve que je rencontre, les êtres de ces temps-ci aspirent à soublier, ne plus se retenir, cesser de sempêcher, ne serait-ce quune nuit, une heure. Et moi donc. Certaines fois carrément me demandent de les aider, me mettent sur la voie de comment. Parfois cest moi qui prends linitiative, à leur corps un peu défendant, juste assez. Après coup elles sont jolies, radieuses.
Jai eu certainement envie du théâtre pour ça, pas seulement bien sûr, mais pour ça aussi, je me mets à croire. Pour corser laffaire par le côté public, et donc rituel.
La beauté, aujourdhui, on peut continuer à vanter celle dhier, ou toujours lespérer pour demain. Ou bien apprendre à la voir dans ce qui est, cest-à-dire dans ce qui reste. Aujourdhui ce qui est cest ce qui reste. Lautre nuit, une entraîneuse me parlait de sa sur hospitalisée, javais sa petite voix angélique, son visage, je voyais nettement son aura, et dun coup elle sest souvenue doù on était et a sucé son index, mais en finissant quand même son histoire sur sa sur condamnée, mais maintenant je savais que lange avait des orifices, et je nentendais plus pareil. Cest retrouver la beauté grave de ces moments-là qui mintéresse, un peu divine, un peu malsaine, cette rencontre inespérée entre le divin et lobscène, cette longue seconde adéquate doù jaillit on ne sait pas quoi, mais qui imparablement nous atteint.
(juillet 1999)
159 avenue Gambetta 75020 Paris