Gouaches

Paris 20e
du 25 au 29 janvier 2000

Gouaches

CLASSIQUE Terminé

La nouvelle pièce de l’auteur de Rimmel : un tour de rêves impossibles dans la ronde des plaisirs et des désolations.

Une denrée inépuisable, la langue
par Joël Jouanneau

L’Ange à orifices
par Jacques Serena

 

Une histoire simple : deux filles et un homme dans un appartement qu’ils croient vide, des amours, juste de quoi faire problème.
Ce qui complique, c’est la vieille dame, quand elle reconnaît en l’une des filles sa fille. Et puis il y a cet accordéon que l’homme veut convertir en boîtes de thon, que la fille veut transmuer en soirée dans un resto, que la vieille dame veut remettre dans le placard, et fermer bien à clef, on sera gentil...
Si ça se trouve, ils sont les héros déglingués d’une espèce de mythologie de fin de siècle,
de la survie au jour le jour. Mille et unième tentative de se rejouer avec les moyens du bord un tour de rêves impossibles, dans la vieille ronde des plaisirs et des désolations.
Une histoire simple : deux filles et un homme dans un appartement qu’ils croient vide, des amours, juste de quoi faire problème.
Ce qui complique, c’est la vieille dame, quand elle reconnaît en l’une des filles sa fille.
Et puis il y a cet accordéon que l’homme veut convertir en boîtes de thon, que la fille veut transmuer en soirée dans un resto, que la vieille dame veut remettre dans le placard, et fermer bien à clef, on sera gentil...
Si ça se trouve, ils sont les héros déglingués d’une espèce de mythologie de fin de siècle, de la survie au jour le jour. Mille et unième tentative de se rejouer avec les moyens du bord un tour de rêves impossibles, dans la vieille ronde des plaisirs et désolations.

Une denrée inépuisable, la langue
par Joël Jouanneau

Il écrit, Mallarmé, mais où je ne sais plus, il écrit, c’est comme une illumination, ceci : " A moins que n’existe, à l’esprit de quiconque a rêvé les humains jusqu’à soi, rien qu’un compte exact de purs motifs rythmiques de l’être, qui en sont les reconnaissables signes ", et l’idée n’est pas simple, non, ou alors trop forte, trop aveuglante, mais si, voulant dire pourquoi le théâtre de Jacques Serena me passionne, j’éprouve le besoin de citer Mallarmé, c’est bien pour creuser cette illumination-là. Et aussi pour éviter un malentendu qui guette le théâtre de Serena. Celui de sa réduction à l’univers de la marge. Les lieux, les situations, les personnages, sont certes ceux de l’exclusion, et Gouaches s’inscrit dans la continuité de Rimmel, première pièce de l’auteur : l’argent manque cruellement, on se nourrit aux coquillettes, on se fait des plans pizza au thon, l’appartement "visité" devient vite un squat, les rares bibelots disparaissent et, dès la troisième scène, le salon est vidé de ses meubles. Mais c’est alors que tout peut commencer. Car chez Serena, quand tout vient à manquer, et qu’il n’est plus rien à perdre, si ce n’est le gîte et le couvert, il reste une denrée inépuisable, dont ses personnages semblent pouvoir consommer à volonté, au risque eux, de s’épuiser : la langue. Elle aussi est socialisée, du moins le choix des mots, souvent limité, et qu’importe puisque - d’où Mallarmé - ce sont les " purs motifs rythmiques de l’être " qui sont ici recherchés. Une question de souffles. De débits. D’accents toniques. De syllabes décisives. Dans les petites tragédies de leur existence, il entendent leur musique et seule elle justifie le pourquoi de leur présence au monde. Alors il la jouent. Et si cette musique, elle parvient ensuite à résonner dans nos têtes, alors peut-être ils n’ont pas rêvé, peut-être ils sont vraiment là, vivant, respirant et soufflant parmi nous.

L’Ange à orifices
par Jacques Serena

C’est une évolution naturelle, en avançant dans le roman, je passais de plus en plus par le magnétophone, pour juger du son, du rythme, privilégier ça, par rapport au sens, du sens maintenant je sais qu’il y en aura toujours assez. Je ne me sers pas des mots pour quelque chose que j’aurais à dire, quand l’espèce de rythme organique est là, si une chose doit se dire c’est d’elle-même, moi j’essaie d’aider les mots à aller là où ils doivent, comme ils doivent. Ils savent mieux que moi. M’emmènent où je ne savais pas que je devais. Avec le magnétophone, quand je lisais devant le micro je ne lisais pas vraiment ce que j’avais écrit, la page je m’en servais comme d’une partition, je sautais, brodais, dans l’urgence un réajustement se faisait naturellement, automatiquement, adéquat, presque toujours. Après, je réécrivais comme j’avais dit.

Après mon troisième roman paru, j’ai proclamé de partout que j’en avais marre du roman, pas seulement des miens d’ailleurs, plutôt moins des miens, en fait, mais quand même. J’ai dit dans pas mal d’interviews qu’il m’intéressait maintenant de me frotter au théâtre. Et c’est là, ayant lu ça, que Martinelli m’a appelé, qu’il m’a dit son envie qu’on travaille ensemble, au Théâtre National de Strasbourg. Bien sûr, le fait que je sois d’emblée tombé sur Joël Jouanneau a fait qu’immédiatement j’ai senti à quel point j’avais effectivement des choses à apprendre (et bien sûr à prendre) là, que j’avais de sacrées pistes à creuser avec ces possibilités du théâtre. Sans doute aussi a participé le fait que ça se soit passé dans ce lieu de Théâtre Ouvert, assez idéal pour la recherche (parfois même plutôt l’inquisition) qui m’intéresse.

Avec le texte de Rimmel, je traînais encore quelques effets de style, pas trop, beaucoup moins que la plupart, loin s’en fallait, mais quand même, il y avait des rechutes, là ou là. Avec Gouaches, je crois que je suis guéri, enfin presque. Non pas qu’il n’y ait pas de style, mais il ne s’entend plus, et quant à la poésie, quand elle y sera, elle surgira d’elle-même, de la rencontre du mot et du geste, d’un coup, comme ça. La poésie des salons de poésie me tue, même sans voir les poètes elle serait tuante.

Mais pourquoi le théâtre, je n’ai pas vraiment répondu, je sais. Pour tenter de le faire, j’opte pour des tentatives, forcément pathétiques, d’éclaircissements par des choses vécues. Comme si on ne se faisait pas plus d’illusions sur son passé que sur son avenir, mais quoi, sinon.

Je dessine un modèle nu, une femme belle, dans une pose classique, j’ai dix-huit ans, c’est dans un cours aux beaux-arts. Je suis étonné du peu que je ressens, de ne pas m’y intéresser plus, du désespérant de ce corps devant moi. Tout en posant, la femme parle, on écoute à peine. Puis c’est la fin de la séance, la femme veut descendre de l’estrade, perd l’équilibre, tombe, une seconde il y a son corps incongru, son visage hébété, soudain elle est vraiment nue, elle existe pour moi. Et là le moindre mot qu’elle dit m’atteint gravement. Une des premières prises de conscience du fait que le verbe on ne l’entend pas pareil selon la position du corps qui le dit. Et que leur corps me touche quand il échappe à leur contrôle. Et donc quand je sens que je pourrais avec un corps faire en sorte que.

Pour ce que j’en sais, si j’en juge par ceux qu’il se trouve que je rencontre, les êtres de ces temps-ci aspirent à s’oublier, ne plus se retenir, cesser de s’empêcher, ne serait-ce qu’une nuit, une heure. Et moi donc. Certaines fois carrément me demandent de les aider, me mettent sur la voie de comment. Parfois c’est moi qui prends l’initiative, à leur corps un peu défendant, juste assez. Après coup elles sont jolies, radieuses.

J’ai eu certainement envie du théâtre pour ça, pas seulement bien sûr, mais pour ça aussi, je me mets à croire. Pour corser l’affaire par le côté public, et donc rituel.

La beauté, aujourd’hui, on peut continuer à vanter celle d’hier, ou toujours l’espérer pour demain. Ou bien apprendre à la voir dans ce qui est, c’est-à-dire dans ce qui reste. Aujourd’hui ce qui est c’est ce qui reste. L’autre nuit, une entraîneuse me parlait de sa sœur hospitalisée, j’avais sa petite voix angélique, son visage, je voyais nettement son aura, et d’un coup elle s’est souvenue d’où on était et a sucé son index, mais en finissant quand même son histoire sur sa sœur condamnée, mais maintenant je savais que l’ange avait des orifices, et je n’entendais plus pareil. C’est retrouver la beauté grave de ces moments-là qui m’intéresse, un peu divine, un peu malsaine, cette rencontre inespérée entre le divin et l’obscène, cette longue seconde adéquate d’où jaillit on ne sait pas quoi, mais qui imparablement nous atteint.

(juillet 1999)

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Spectacle terminé depuis le samedi 29 janvier 2000

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