"Leopold : Vous l’aimez ?
Franz : Aimer ? Ah vous savez, j’ai cessé de me demander si je l’aimais. Aimer, mon Dieu."
Allemagne, années 70. Léopold, une trentaine d’années, est fiancé à Véra ; Franz étudiant fauché de dix ans son cadet, fiancé à Anna. Un soir, le premier rencontre le second, et l’invite chez lui. Ce dernier accepte…
Fassbinder résumait cette pièce ainsi : une comédie avec fin pseudo tragique. Elle met en jeu, comme au casino, quatre personnages, deux hommes et deux femmes, qui chercheront ensemble la combinaison d’une impossible martingale amoureuse. Les deux hommes, Bluhm et Meister, empruntent leurs noms à Joyce et à Goethe.
Cette pièce est d’abord l’histoire de leur rencontre et de leur amour. Ou les vertiges croisés de la maturité et des années d’apprentissage.
Puis viendront Anna et Véra. Se mettra alors en place un huis clos ouvert, décomplexé, nerveux et méchamment drôle, intime et démesuré à la fois. Mauvais garçons des rues sentimentales, tous les quatre roulent trop vite, passant au rouge, forçant les sens interdits. Avec toujours, comme code d’honneur, cette insolence sensible, si propre à Fassbinder. Les couples se font et se défont, comme joués aux dés. Jusqu’au dénouement, pseudo tragique donc, car rien n’est moins sérieux que les choses graves.
Assistante mise en scène : Marijke Bedleem
Collaboration artistique : Marijke Bedleem et Pierre Maillet
Si c’était une friandise, ce serait un bonbon magique, avec une liqueur rare au centre. D’abord l’amour. Une fable simple, cruelle, efficace, avec coup de foudre et déliquescence, abandon et jeux dangereux, jusqu’à l’oubli. Des personnages comme des couteaux, épurés à l’extrême, comme dessinés par Prouvé, fonctionnalistes et esthètes, propres à incarner cet échange moderne. Et puis arrive comme une seconde électricité, une pièce clandestine qui échappe aux personnages, les dépasse, les submerge, et nous surprend dans son halo.
Et doucement, l’on rentre en expérience ("Les choses s’aggravent", dirait Genet). Ou en ivresse, mais une ivresse sans alcool, qui ferait casser les verres et jouer avec les morceaux. Avec ce plaisir, ou ce besoin d’enfant, d’être éclaireur, d’aller trop loin, cruellement, innocemment. Et puis la liqueur rare : cet humour sauvage et qui sauve de tout, un humour terriblement noir, féroce, fait de lucidité et de dérision, l’humour des personnages et celui du dramaturge face au petit laboratoire de comédie humaine qu’il met en place. On rit certes en lisant la pièce, mais de plusieurs rires différents, on rit surpris de rire, dérouté quelque part entre Haendel et Elvis Presley, entre un sitcom terriblement sentimental et une tragédie amoureuse authentiquement provocatrice.
C’est cette même vitalité et cette même envie que nous souhaitons représenter, cette même dérision que nous souhaitons rendre joyeuse et partager.
Matthieu Cruciani
73, rue Mouffetard 75005 Paris