En italien surtitré en français.
Carlo Goldoni avait écrit le livret du Monde de la Lune pour Baldassare Galuppi en 1750. La première représentation de l’opéra composé par Haydn a eu lieu le 3 août 1779 à Eszterhazy (Hongrie).
Officiellement astronome, le professeur Ecclitico est avant tout un imposteur : son impressionnant télescope ne sert ni plus ni moins qu’à duper les vrais passionnés des astres, tel Buonafede.
Ecclitico affirme qu’il peut observer les habitantes de la Lune, nues : Buonafede approche son oeil de la lunette et assiste en effet à ce spectacle. Il s’agit en fait de marionnettes vers lesquelles les complices d’Ecclitico détournent le télescope.
Ecclitico, le chevalier Ernesto et son serviteur Cecco imaginent alors un stratagème pour duper ce naïf seigneur et épouser chacun l’une de ses trois filles : ils lui font croire à la possibilité d’un voyage dans l’espace. Ecclitico lui vend pour une somme astronomique un puissant somnifère, présenté comme une liqueur lunaire capable de le propulser sur la Lune. Assommé de fatigue, Buonafede s’endort dans son jardin, transformé durant son sommeil en un paysage lunaire, insolite et grandiose.
À son réveil, persuadé qu’il est réellement arrivé sur la Lune, Buonafede croit reconnaître en Cecco l’empereur de la Lune, à qui il concède la main de sa fille Lisetta, et fait la promesse de faire venir ses deux autres, Clarice et Flaminia. Celles-ci, déjà amoureuses de Ecclitico et Ernesto, ont participé au complot.
À l’arrivée des trois jeunes filles, une grande parade royale est lancée, lors de laquelle Buonafede est promu chevalier, moyennant finance. Il ne se rend compte de la tromperie qu’un peu plus tard.
Mais apprenant qu’Ernesto est fortuné, qu’Ecclitico ne manque pas de ressources et que Cecco est un brave garcon, Buonafede finit par accepter le mariage de ses trois filles. Un chant célèbre alors la Lune.
« Dans ce dramma giocoso de Haydn et Goldoni, le sentiment le cède à l'intérêt, le calcul et le cynisme règnent. Alors les pauvres, les fauchés, inventent une Lune où dénouer ce qui, sur Terre, ne tourne pas rond. On peut y voir un hommage à l'art de la mise en scène, fait de récupération, de recyclage, d'invention avec rien. Une Lune pour temps de crise, un astre tombé dans le jardin, une féerie de bouts de ficelle, une machine d'illusion, à jouer et à croire. » David Lescot
Avec les Solistes de l'Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris et l'Orchestre-Atelier OstinatO, direction musicale Guillaume Tourniaire.
Après L’Isola disabitata, l’Atelier Lyrique continue d’explorer le répertoire de Haydn avec Il Mondo della luna. Pour l’occasion, David Lescot signe sa deuxième mise en scène lyrique et transpose à l’opéra son théâtre iconoclaste.
L’une de vos sources d’inspiration pour mettre en scène Il Mondo della luna a été le film italien Affreux, sales et méchants. Comment en êtes-vous venu à faire dialoguer le cinéma d’Ettore Scola avec l’opéra de Haydn ?
Quand je mets en scène une oeuvre du passé – ce qui est finalement assez rare puisque je monte souvent mes propres textes – j’ai besoin de trouver un relais entre l’oeuvre et notre époque. Dans le cas de Il mondo della luna, il m’a semblé que le film d’Ettore Scola – qui narre le quotidien haut en couleur d’une famille des années 70 dans un bidonville près de Rome – pouvait remplir cette fonction. La comédie italienne entretient un lien très fort à sa propre tradition : il y a un fil qui part du Moyen-Âge, court à travers la Renaissance, relie Ruzzante à Dario Fo, et Goldoni – qui signe le livret de Il Mondo – à Ettore Scola. Chaque époque, chaque société produit son théâtre. Ici, dans les deux cas, il s’agit du théâtre produit par une société en crise, dans laquelle l’argent devient le centre de gravité des relations humaines. Dans Il Mondo della luna, le monde est mu par l’intérêt. Des sentiments, il y en a bien, mais la plupart du temps, le sentiment se double d’une arrière-pensée : Clarice veut se marier car – de son propre aveu – le mariage permet d’occuper son époux et d’aller chercher son plaisir ailleurs... C’est une oeuvre noire, puissante et cynique.
Depuis Cyrano de Bergerac il existe une tradition philosophique qui consiste à voir dans la Lune un monde inversé, permettant – par des voies détournées – de porter un jugement critique sur notre société. La Lune revêt-elle également cette fonction dans l’opéra de Haydn et dans votre mise en scène ?
Au début de l’opéra, le vieux Buonafede voit dans la lune un monde rêvé où se réaliseraient ses fantasmes : une belle caressant un vieillard, un mari battant sa femme. Plus tard, dans le monde lunaire fabriqué de toutes pièces pour le piéger, les maîtres deviennent valets, les valets deviennent empereurs, et le mariage de sa fille qu’il refusait devient finalement possible. On retrouve donc dans l’opéra cette idée d’inversion : sur cette « lune » se joue une farce qui remet in fine le monde « à l’endroit ». Quant à ma mise en scène, elle s’articule elle-même autour d’un principe de renversement, de récupération : je situe l’action du premier acte sur un terrain vague – inspiré de l’univers cinématographique que je vous décrivais précédemment – puis, dans le deuxième acte, le monde lunaire merveilleux et factice est construit en réutilisant des éléments – déchets, détritus – qui figuraient sur le terrain vague de l’acte I. Jusqu’aux costumes très « dix-huitième » – crinolines, coiffes, collerettes – mais faits de sacs-poubelle et de
couvertures... Il y a donc bien un renversement, qui consiste à créer une lune féerique à partir de matériaux de récupération. Je rêvais d’une lune de fortune, hissée au-dessus d’un terrain vague. J’aime la poésie de ces univers précaires, âpres, violents : il s’en dégage une forme de beauté moderne, très baudelairienne.
Ce principe de récupération rappelle cette idée chère à Peter Brook : que le spectacle doit trouver en lui-même la possibilité de sa régénération...
Oui, et dans le contexte de la crise actuelle, cette phrase prend une résonance toute particulière. Alors que les moyens se raréfient, que la société se durcit, ce sont les arts de la scène qui doivent se régénérer de l’intérieur... Et puis, j’aime cette esthétique du bricolage, du système D : cette dimension du théâtre me touche énormément. Je n’idolâtre pas du tout le passé, je n’éprouve pas la moindre nostalgie. Le théâtre peut être extrêmement moderne, innovant, technologique, il doit suivre les mouvements esthétiques de son époque, mais il conservera toujours pour moi quelque chose d’un peu suranné.
Il me semble que cette idée de récupération a également une résonance subversive, étant la négation de la consommation, chère à notre société. Votre théâtre revêt souvent une dimension politique.
Dans mon théâtre, j’aborde souvent des questions qui ont trait à la finance, à l’économie. Lorsque j’ai écrit et mis en scène Le Système de Ponzi, sur le monde de la finance et les dérives de la spéculation financière, j’essayais de comprendre cette frénésie qui s’empare des cerveaux, cette société qui se jette elle-même à la poubelle sans que l’on sache très bien si les souscripteurs veulent gagner ou perdre... Pour moi, le théâtre est une manière d’aborder ces questions, d’observer, de critiquer, de dialoguer, de tourner autour de sa position, d’adopter le point de vue de l’adversaire aussi. Cela m’intéresse beaucoup. Le théâtre est un territoire de jeu, d’expérimentation des points de vue politiques.
Vous faites depuis quelque temps vos débuts à l’opéra. Au théâtre, vous aimez travailler sur la corde raide : dans La Commission centrale de l’enfance, vous apparaissiez seul face au public, en tee-shirt et en jean, avec pour unique partenaire une guitare sèche ; dans Le Système de Ponzi, la scénographie reposait sur de simples tables en bois que vous moduliez à l’infini... Comment passez-vous de cette fascination du « presque rien » à cette oeuvre totale qu’est l’opéra ?
Il y a beaucoup de points communs entre les formes les plus petites et les plus opulentes. Au théâtre, j’explore dans mes spectacles certaines limites. Je me mets en jeu, seul face au public, je dis un texte avec le moins d’effets possibles. Je fais tout à vue : si je veux qu’il y ait de la musique, je la fais moi-même... C’est un moyen de mieux me connaître. Il m’a fallu longtemps pour oser cette simplicité. A l’opéra, ce que j’aime beaucoup, c’est la dimension frontale, ce rapport direct entre la scène et la salle. Le public veut la musique, le chant, le visage et l’expression de l’interprète, l’émotion... Je peux jouer de cette relation privilégiée entre la scène et la salle. Dans Il Mondo della luna, les changements de décor ont lieu à vue. Tout le public devient complice de la mystification de Buonafede. Et malgré tout, il faut toujours que le public soit lui aussi trompé un peu : d’abord l’illusion, puis la désillusion. Rien ne me plaît plus que cet entre-deux... D’ailleurs, à la fin du spectacle, au lieu de revenir à la réalité, nous restons dans le monde lunaire dont les brèches et les déchirures laissent apparaître la décharge du début. Comme si le spectacle avait enrichi le réel, qu’après ce voyage, il était impossible de revenir tout à fait à la situation initiale.
Entretien réalisé par Simon Hatab
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