À l’origine, il y a la proposition de Pauline Sales et Vincent Garanger, directeurs du Préau, Centre dramatique de Vire : participer à une « enquête » évidemment théâtrale autour de la question « la femme est-elle un homme comme les autres ? » Feydeau, chez qui les rapports entre hommes et femmes ne sont jamais simples, s’impose.
Avec Pauline Sales, Richard Brunel s’empare de trois farces conjugales, les relie avec des bouts de lettres, de journaux de Georges Feydeau et compose J’ai la femme dans le sang, (réplique tirée du Dindon) une saga familiale qui s’étend sur deux générations,ou comment éviter de ne pas répéter les névroses de ses parents et… ne pas y parvenir. Suite à une dispute avec sa femme, «Georges», député et futur ministrable, revisite son passé, de sa conception à sa vie actuelle.
On découvre, avec Léonie est en avance, le couple de parents avec le père qui essaie d’apaiser sa femme, enceinte. Elle ne peut plus supporter le poids de son ventre, ni d’ailleurs rien ni personne et surtout pas lui. Ensuite dans On purge bébé, Georges est un enfant insupportable, qui fait alliance avec sa mère pour déstabiliser papa qui se trouve à un instant clé de sa carrière de marchand de porcelaine, qui doit absolument et de toute urgence prouver l’excellence des pots de chambre qu’il fabrique pour enlever le marché du siècle.
Enfin dans Mais n’te promène donc pas toute nue, Georges, adulte, se rend compte mais un peu tard qu’il a reproduit le schéma familial auquel il voulait échapper et, en vain, supplie sa femme, comme il a vu autrefois son père supplier sa mère, de ne pas compromettre sa réussite sociale et de ne pas s’aider pour cela du secours inconscient de leur fils.
Le génie de Feydeau se déploie dans une forme de burlesque échevelé, engendré par l’incapacité des personnages à maîtriser leurs paroles. D’ailleurs ce qu’ils font de mieux, c’est se laisser entraîner par ce qu’ils disent, dire ce qu’ils devraient taire, et qui n’est pas même ce qu’ils pensent. Qui arrive sans savoir pourquoi et les emporte dans un jeu implacable autant que délirant. Une machine infernale qui les pousse dans des situations incontrôlables, dont Feydeau est le maître.
J’ai la femme dans le sang affirme l’un des personnages masculins dans le Dindon. Ce personnage embourbé dans ses désirs et ses mensonges ne serait-il pas Feydeau lui-même portant un regard aigu sur les femmes de sa vie, de sa mère à son épouse, en passant par ses innombrables maîtresses, les femmes telles qu’il les désirait, les haïssait, les imaginait, les parodiait de la vie à la scène ?
Des femmes impossibles, à rendre fou : esprit de contradiction, petits pièges, taquineries mesquines, reproches irrités, gaieté feinte, puis silences soudains, douceurs terribles et résignation menaçante ; elles sont l’objet central du dérèglement. C’est véritablement aux affaires du corps, à l’envers du décor, aux vérités nues et criantes, que nous convie Georges Feydeau dans ses affaires conjugales.
On rit de la cruauté de ce métronome qui rythme avec tant de savoir-faire les points d’achoppement connus et reconnus entre les deux sexes. L’enfant est au coeur des intrigues, objet de chantage magnifiquement manié par les mères pour élargir à l’infini la culpabilité paternelle.
Richard Brunel & Pauline Sales
Place Jean Jaurès 93100 Montreuil