Jacques et Jacques
Aller à dire
Note de Jacques Bonnaffé
Corpus des textes traversés
La presse
Jacques n'écrit pas pour le théâtre, mais ensemble nous y jouons plus souvent qu'ailleurs, (ailleurs : les jardins, les salles de conférences, les librairies, les cuisines ou même des abattoirs en friche). Nous lisons, disons. Jacques ou Jacques, généralement de concert... nous nous unissons trouvères, nous en jouons même un peu.
Débordant du style sage des lectures lentes, nous jouons l'écriture, nous rythmons, nous remuons pas mal... excès pour lequel il nous fallait un théâtre (plusieurs fois plusieurs soirs) et dessiner comment conduire cette moderne profération, performance ou déclamation... Notre projet est de tailler sur place, dans un choix de textes très vaste.
" Quelques puissances tutellaires nous entourent : notre amitié médiévale, la poésie anglo-saxonne, Ginsberg et Whytman, le bouton Sound-effect, Jean-Pierre Verheggen et les rivières, le Nord, la Belgique, l'Europe à table et le théâtre à la rue, congédié, prié de se faire oublier dans les coulisses. Seul personnage ostensible : la poésie. Le poème c'est moi, dit Jacques. Le poème c'est moi, dis. "
Jacques Bonnaffé
Il manque toujours aux déclamations quelques licences sonores ou pestilentielles, deux ou trois vraies inconvenances. Hugoliens de tous poils, n’oublions jamais d’allégrement déchoir, ne pas décevoir. Nous portons tous en nous la capacité de dérailler, ça donne de l’air au poème.
Fuir aussi la lecture désengagée, les sacro-pieuses précautions d’acteur soit-disant passeur. Nous sommes des traîtres, tous. Autant se multiplier, abonder et prodiguer de l’imagination. Parlons, allons à dire, tout fige si vite, tout gèle, tout fige.
La situation à la Bastille est d'organiser un travail qui s'écoule depuis six ans au gré des lectures publiques avec Darras. L'obstacle et la particularité est qu'on ne fait pas de poésie dans un théâtre, pas si facilement.
Au théâtre on parle du théâtre, le temps est convoqué, il est dans l'habitude du spectateur, c'est sa façon de jouer à lui. Le théâtre est succession d'actions là où souvent la poésie tient de l'instant, se contente d'être seulement déclarative. Il existe des poèmes dramatiques, pas chez Darras, et des drames poétiques, parfois interminables. Nous laisserons à Claudel, aux Claudettes et aux Claudiens, ces méandres du drame.
Nous partons avec les textes de Darras dans un autre univers qui serait celui de la déclamation, mot parfois ancien, celui de l'intervention, l'irruption. Les jeux du discours, les libertés modernes de la litanie. Mon travail consiste à organiser un sens dans une masse de textes considérable, ou un chemin. Et de laisser à vue le choix arbitraire de cette construction. Nous resterons dans les définitions de la performance publique qui nous occupe depuis des années, en ajoutant une technique particulière à notre travail, celle du son qui aura une part importante avec l’accompagnement d’un D.J. et des visites souvent de Jacques Darras et d’invités surprises.
La scénographie est établie sur cet événement : lieu technique d'une profération, on est chez soi et en studio. Une citation pour le théâtre de ce qui a pu conformer des images dans le rap. On joue avec ses instruments techniques, on "sample", on s'amuse jusqu'à un certain narcissisme dans l'écoute. C'est aussi ce regard à soi-même qui est déclencheur d'écriture chez Darras, lié immédiatement à la réflexion, miroitement, dans le thème des rivières et de l'eau.
Nos souvenirs communs, Jacques à Jacques, s'écrivent dans le mot marche, aucun scoutisme aucune nostalgie. Nos marches sont celles qui ont donné rythme aux soirées publiques, nos façons de scander, cette absence de réserve qui tient à réveiller la poésie au passage, nos trépignements et nos joies. Notre voyage est une lecture. Elle offre dans un monde d’images agitées, l’avantage apprécié des tableaux du musée. C’est l’imagination qui court, le tableau ne bouge pas. Seul le texte-dit fait les mouvements pour les personnages, la scénographie et l’action. C’est étonnant. Assez rare pour qu’on s’y pose.
J'ai quitté le Théâtre de la Bastille en juin 2001 en pédalant (c'est peut-être mieux que de ramer), couvert de couronnes et d'épique et j'y reviens poussé par les cadences toujours et les mots de Jacques Darras.
Jacques Darras, poète de “l'eau courante avec les mots”, poète des rivières et de la fluidité, du fil des mots conduits par un mouvement tournant, jamais poète de la fixité.
Le jeu en scène consistera à ces déroulements, cet écoulement. Allant chercher chaque soir différemment dans les livres qui sont les nôtres, livres de Jacques... On y trouve des éléments naturels qui parlent et proclament leur appartenance à la poésie : arbres, cours d'eau, villes
Il y a la poésie elle-même qui dit ses conquêtes, sa place. L'arme poésie tournée par Jacques vers son temps, ou sa région, son histoire, et la géographie qui nous anime, Jacques et Jacques, croisant aux frontières de la Belgique et du Nord.
L'intention est d'aller plus loin que je n'ai pu le faire en performance d'une soirée et de garder la fouille joyeuse qui a pu produire ses révélations particulières, aux “Langagières” à la Comédie de Reims, par exemple. C'est le public qui travaille aussi ; la proposition ne s'en tient pas à la répétition d'acteur achevée par un spectacle. Le monde invoqué est celui de la poésie, diffère du théâtre, n'est pas de la poésie dramatique, rechigne à la mise en scène.
Jacques Bonnaffé
La maye (Ed. Le Cri)
Petit Affluent de la Maye (Ed. Le Cri)
Van Eyck et les rivières (Ed. Le Cri)
Moi j’aime la Belgique (Ed. Gallimard)
"Après sa création au Théâtre de la Bastille, le spectacle des deux Jacques rejoint la Maison de la Poésie le temps de quatre représentations exceptionnelles, dans le cadre du cycle Les poètes inventent l'Europe. Arpenteur, Bonnaffé trace sa route [...] dans des eaux traversées tous les soirs de courants imprévisibles : il change de programme, ne s'interdit ni silences, ni digressions, offrant toujours le spectacle simultané du plaisir et de l'effort." Libération, 11 juin 2004
" [...] les deux athlètes affectifs [...] élaborent sous nos yeux éblouis l'essence subtile d'une poésie saturée de sens et de sensibilité." Le Figaro, 26 mai 2004
"[...] on s'abandonne peu à peu à ce gueuloir poétique à la Flaubert. Tant l'énergie y est farouche, et la volonté de dire le monde, de le brasser, de l'affronter. De le vivre. Avec un enthousiasme gourmand." Télérama, 02 juin 2004
76, rue de la Roquette 75011 Paris