Présentation
Notes de répétition
Note d’intention
Extrait
Pauline et Jean sont frère et sœur. Un jour, Pauline invente un jeu et oblige son frère à y jouer. La règle de ce jeu est de dire “je” là où normalement, il faudrait dire “tu” et inversement, “tu” là où il faudrait dire “je”. Après une courte hésitation, Jean se met à pratiquer, avec une étrange facilité, le langage qui résulte de cette inversion. Cinq ans plus tard, il ne sait plus parler autrement. Pauline qui a cessé de jouer depuis longtemps, essaye, en vain de le ramener à l’usage normal des pronoms personnels. Et puis, un jour, cinq ans plus tard à nouveau, Jean se remet à parler normalement. Pauline croit son frère guéri. Mais elle découvre bientôt qu’un mal plus profond s’est insinué (...) désormais, Jean sait lire les pensées d’autrui, mais ne connaît plus les siennes (...)
Un monde blanc, ou gris-blanc, où les pensées se lisent, semblent se déposer en fines pellicules. Quelque chose de translucide, où une petite humeur, un léger changement nerveux, se lisent, se sentent, s’enregistrent. Le tamis est très fin, il doit recueillir la plus ténue, la plus humble et la plus secrète des pensées et de ses variations. Pensons à Nathalie Sarraute.
Pour les acteurs, cela implique d’être maître de ce qui peut affleurer sur le visage, dans la voix et les gestes. Une tristesse, une joie, une simple satisfaction, une contrariété doivent apparaître avec une clarté et une finesse extrêmes.
Il s’agit d’être dans les têtes et à l’extérieur, dans l’entre-deux où circulent les pensées, milieu translucide, gelé ou fluide, où se lisent désirs, opinions, jugements, regrets, remords, doutes, colères, dépits, etc. Milieu ni cérébral, ni intellectuel, bien sûr un peu l’un et l’autre, mais cela ne doit pas tirer vers l’abstraction, un espace trop abstrait. Eléments réalistes.
Denis Podalydès
Je me suis lancé dans l’écriture de Je crois ? comme on tente une aventure ou une expérience incertaine, “pour voir”. En imaginant le jeu de pauline et de Jean et en l’attribuant à des enfants, frère et soeur, j’avais conçu une sorte de mécanique linguistique extrêmement simple, fondée sur l’inversion des pronoms personnels dans le dialogue, dont les “productions” paradoxales m’amusaient, mais rien ne prouvait que j’allais pouvoir en tirer autre chose que cet amusement. (...) Bien que j’en aie eu sans doute, dès le départ, une intuition confuse, ce n’est qu’après coup, que j’ai commencé véritablement à comprendre d’où venait cette coïncidence surprenante a priori, entre une recherche formelle apparemment purement gratuite et l’évocation d’une expérience humaine à la fois très ordinaire et universelle. Ainsi, il me semble que le pouvoir évocateur du jeu de Pauline tient, tout d’abord, à la parenté évidente qu’il a avec les jeux auxquels jouent les enfants dans la réalité. Le jeu fictif de Pauline aurait très bien pu être inventé par une vraie petite fille. En effet, il ne fait que pousser à sa limite la tendance propre aux jeux enfantins à explorer les limites du pensable et de l’énonçable, à atteindre et à dépasser les bornes dangereuses du normal et de l’anormal, du vrai et du faux, de l’amour et de la haine. (On sait, par exemple, que “l’agressivité exploratoire” des enfants s’exprime avant tout dans leurs jeux.) Bref, les jeux enfantins ne sont ni gratuits, ni innocents, et c’est bien pour cela que le jeu de Pauline nous paraît, malgré tout, si familier et que nous nous laissons entraîner dans l’histoire de l’étrange intimité du frère et de la sœur. De manière plus surprenante peut-être, l’étrange situation linguistique, puis psychologique dans laquelle l’invention de Pauline a plongé Jean, bien qu’en apparence, totalement aberrante, m’est apparue pour ainsi dire, à l’usage, bien plus naturelle que celle que nous aurions décrite, au premier abord, comme “normale” ou comme “inévitable”. Je me suis rendu compte, en effet, que la plupart du temps, les phrases que prononçait Jean, pouvaient être interprétées de deux façons différentes et que le second mode d’interprétation tendait, avec le temps, à s’imposer naturellement: dans un premier temps, on ne les comprenait pas, on les décodait, on les déchiffrait. Par exemple, l’énoncé paradoxal “je crois que tu ne sais pas que je vais partir ?” était traduit, décodé en : “Tu crois que je ne sais pas que tu vas partir ?”, et je ressentais un certain plaisir, purement ludique et gratuit, à accomplir, en temps réel (c’est-à-dire dans le temps d’une représentation fictive), la sorte de gymnastique mentale nécessaire pour obtenir ce résultat. Mais dans un second temps, le même énoncé, pris, comme on dit, au pied de la lettre, devenait l’objet d’une compréhension directe, ne nécessitant pas de traduction préalable. Tout à coup, à la place des phrases d’un étrange langage codé, on entendait quelqu’un, en l’occurrence Jean, s’interroger d’une façon, en fin de compte, bien plus sensée qu’il ne paraissait au premier abord sur la vraie nature de ses croyances et de ses sentiments, sans montrer, par contre, aucune difficulté pour saisir ceux de ses semblables. N’est-on pas, en effet, dans la vie ordinaire, bien plus opaque à soi-même qu’on ne l’est pour les autres ? N’est-il pas infiniment plus difficile, en fin de compte, de deviner nos propres pensées, que de déduire celles des autres de leurs discours et leurs comportements ? Sous cet éclairage nouveau, Jean n’était plus une simple figure rhétorique, un parti pris esthétique, il prenait corps, devenait un véritable personnage, caractérisé non pas seulement par l’étrangeté de son langage, mais aussi par la manière très radicale, très extrême, sans pour autant nous être étrangère, dont il se pose la question de son rapport à sa propre conscience et à celle d’autrui. Bref, de créature de fiction, Jean est devenu l’homme d’une question finalement très familière et très ordinaire : “Qu’est-ce que j’ai dans la tête, bon sang !” Parti d’une manipulation linguistique, en apparence, arbitraire et paradoxale, j’avais réveillé tout un univers d’incertitudes et d’interrogations sur nous-mêmes et sur autrui.
Emmanuel Bourdieu
... creuser encore, se creuser, descendre en soi-même, dans l’intimité de sa conscience, radicaliser ses idées, approfondir encore, remonter jusqu’à la source, attaquer le mal à la racine, aller au fond des choses, desceller, dé-voiler, soulever le voile, juger de l’intérieur, exhumer les fondations, découvrir les principes sous-jacents, les causes souterraines, trouver le fondement, comprendre enfin en profondeur... toute cette spéléologie des cryptes de l’âme, cette philosophie de plongeur, cette métaphysique sportive des grands fonds de l’esprit et de la nature... ! Qui a dit que c’était une loi dans le monde que l’importance des choses était fonction de leur enfouissement ? Plus c’est enterré, plus c’est fondamental, c’est ça ? Mais qui a dit ça ? Qui a édicté cette loi ? Pourquoi faudrait-il s’enfoncer pour trouver les choses importantes ?
personnage de Muriel
76, rue de la Roquette 75011 Paris