Je suis encore en vie

Paris 20e
du 14 au 24 janvier 2014
1 heure

Je suis encore en vie

Avec Jacques Allaire, l’engagement n’est pas un mot de complaisance mais un état d’être, une urgence nécessaire. Il élabore un spectacle profond, original et exigeant. Une parabole insoumise, un instant de poésie. Un « poème visuel » comme un rituel tragique.
  • On pourrait dire « il était une fois » mais on ne le dira pas.

Pas de mots, pas de paroles pour ce « spectacle muet qui ne sera pas un spectacle silencieux ». Pas de mots plutôt une sensation moite de douleur contenue.

Il faudra palper, humer, sentir la terreur qui régit les moindres gestes de cette femme contrainte par l’autorité mâle et les règles d’outre-temps. Entendre, par delà le corps, cette vivante-morte, cette femme voilée, meurtrie, aliénée, maintenue en vie par un rêve de liberté et d’insoumission. À ses côtés, la présence absence d’un homme à bout de vie et partout alentour, l’ombre de Nadia Anjuman, la poétesse afghane battue à mort par son mari, et de toutes ces femmes ployées par un ordre phallocrate…

Avec Jacques Allaire, l’engagement n’est pas un mot de complaisance mais un état d’être, une urgence nécessaire. Constituant avec Les damnés de la terre, un « diptyque de l’aliénation », il élabore un spectacle profond, original et exigeant. Une parabole insoumise, un instant de poésie. Un « poème visuel » comme un rituel tragique.

  • Les Damnés de la terre et Je suis encore en vie comme un diptyque sur l’aliénation

Vous considérez que vos deux spectacles présentés au Tarmac constituent un « diptyque de l’aliénation », pouvez-vous nous dire les liens que vous établissez entre ces deux spectacles ?
La question de l’aliénation est le sujet des deux spectacles mais, tant par le texte que par la forme, ils sont très distincts et indépendants l’un de l’autre (ils seront d’ailleurs joués en tournée aussi bien seuls que réunis). Un spectacle est long, l’autre est court. L’un est immergé dans le texte et dans l’autre pas un mot. Dans l’un six personnages, dans l’autre deux quasi figures tragiques. Mais dans les deux spectacles, les êtres se débattent avec ce qui les opprime. Que ce soit par un discours, une structure, une société ou une personne, les deux spectacles racontent comment un corps peut être aliéné et ne plus s’appartenir, jusqu’à en venir lui-même à produire le discours inconscient du dispositif qui le colonise littéralement — dispositif d’aliénation qui revêt différents masques racistes, religieux, structuraux, sociétaux, etc.

Les dispositifs d’aliénation sont le sujet de cette création et à y réfléchir, peut-être même en sont-ils le seul personnage. La colonisation, les discours, les enseignements, la science, les lois, les dispositifs d’ordre, tout cet ensemble mis en oeuvre sous-tendu par le racisme — la possible prétendue supériorité d’un être sur un autre — engendre l’aliénation qu’elle soit liée ou pas à la colonisation des territoires, des corps ou des esprits dans Les Damnés de la terre. De la même manière, les signes disposés dans l’espace sacrificiel de Je suis encore en vie produisent et remplissent leur fonction paradigmatique aliénante.

Nul doute que les dispositifs d’aliénation se multiplient aujourd’hui et revêtent toutes sortes d’apparences rendant majeure cette problématique. La colonisation des peuples et des êtres est aujourd’hui plus ou moins visible, plus ou moins barbare. Dans tous les cas, il y a la volonté de parquer les êtres, de les domestiquer, que ce soit par la multiplication traçable de la modernité, de l’asservissement à une consommation organisée et règlementée et de plus en plus sécuritaire — qui laisse et laissera crever ceux qui n’y participent pas, ou qui ploient sous sa pression — aussi bien que par la soumission aux soit-disant vérités de la foi, aux lois éternelles que seule l’éternité connaît mais qui brutalisent et assassinent tous ceux qui ne les partagent pas. Ou encore ceux qui, soumis à la plus sommaire des dictatures, celle des organisations fascistes ou totalitaires, croupissent dans des charniers ou survivent encore dans les prisons. Toutes ces violences empruntent le chemin de la colonisation, utilisent le véhicule raciste pour parvenir plus rapidement à leurs fins mercantiles.

D’un point de vue formel, dans l’un comme l’autre spectacle, on assiste au cauchemar hallucinatoire d’une réalité qui est elle-même une déformation. Ce n’est pas notre perception du monde qui est fausse mais le monde lui même, grimaçant, qui est déformé.

Propos recueillis par Bernard Magnier en septembre 2013

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Spectacle terminé depuis le vendredi 24 janvier 2014

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