Ayant choisi de quitter Saint-Maurice pour s’installer dans une plus grande ville avec sa femme, le docteur Parpalaid décide de laisser sa place à Knock, jeune médecin de quarante ans. Durant le trajet vers Saint-Maurice, Knock interroge Parpalaid au sujet de la ville et des habitudes des habitants. Le résultat de la conversation permet à Knock de comprendre que la clientèle dont il hérite lui semble être trop bien portante, du moins jusqu’à son arrivée…
Figure tutélaire et emblématique du théâtre de répertoire « à la française », le personnage de Knock, et son éternel interprète Louis Jouvet, ne souffre-t-il pas lui-même des mêmes maux qu’il instille chez les autres ? Marronnier incontesté des programmes scolaires au collège, petit cousin du Prince de Machiavel, subtil contrepoids entre la farce et le cynisme, Knock fascine les amoureux des textes et ce, sur plusieurs générations.
En nous attaquant au texte de Jules Romains, entre Le Dindon de Feydeau et Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, présenté la saison passée au Théâtre de l’Epée de Bois, nous souhaitons une nouvelle fois non « dépoussiérer » mais bel et bien rendre à ce patrimoine littéraire une place et un regard bienveillants, plein d’énergie, de musique et de plaisir.
Encore une fois, plaçons-nous au coeur de la comédie, sans oublier les points les plus terrifiants et crépusculaires, car les plus actuels, de cette allégorie autour de villageois crédules et stupides, livrés en pâture à un communicant hors-pair, à ce médecin des corps et âmes fatigués, au coeur d’une société en pleine mutation. Knock est un psychodrame rural, une lithographie sociétale à l’échelle d’un canton, une kermesse qui tourne mal dans un trou paumé, comme un pays noyé dans les contradictions du vaste monde…
Knock, un bateau ivre de Farce, Fable, Comédie et Tragédie…
Jules Romains, sûrement marqué (entre autres) des longues discussions avec Jacques Copeau, prenait un malin plaisir à brouiller les pistes et quelques codes classiquement usés.
Amateur de canulars et de bons mots, de plaisanteries en bandes organisées comme dans une de ses premières pièces, les Copains, Romains peu à peu détourne ses yeux d’enfant sur le Monde, vers un regard plus acéré, provocant et visionnaire, à la confluence de plusieurs inspirations et courants de son époque, pourtant marquée par un regain d’espoir et de sentiment festif, après quatre années de guerre.
En refusant un vérisme trop vu, en encourageant la composition dans le travail d’acteur plutôt que l’imitation ou la caricature, et surtout en déplaçant le propos et la portée de ses pièces, non comme des « pièces à thèse », mais bel et bien comme des objets amenant le spectateur à user d’un esprit critique. Il y a là une preuve de la modernité sinon d’une oeuvre (Knock, comme Le Dindon de Feydeau, ayant avant tout une cible comique et populaire), au moins de son auteur : Romains met en garde le spectateur contre une habitude de mal interpréter les pièces de théâtre en général.
L’histoire de Knock, personnage figuratif par excellence, traite essentiellement de la crédulité de ses interlocuteurs. Pour autant, si les ressorts comiques de la pièce sont réels, les « ça vous chatouille ou ça vous gratouille » sont aussi des tremplins à d’autres idées plus sinistres, autour de la Mort, de la déchéance, ou plus immorales comme quelques allusions grivoises, carrément sexuelles et parfois de mauvais goût. Ce mélange des genres pousse Knock vers un transgenre encore inconnu et depuis très peu représenté. Il s’agit pour Jules Romains de motiver le public, dans une énergie débordante de trouvailles, de plaisanteries, et dans le même temps d’éveiller l’esprit critique. Il s’agit pour comprendre l’autre et notre monde de d’abord savoir se moquer de soi-même.
C’était le rôle des farces médiévales, jouées en plein air les jours de marché. Capter l’auditoire puis faire en sorte qu’il entende et discute le propos. Dans Knock, Jules Romains emprunte à la Farce des fondements évidents : intrigue simplifiée, personnages caricaturaux, idiotie, langage parfois grossier et imagé. Le tout au centre d’une belle arnaque, point de départ de toute farce comme celle de Maistre Patelin, là aussi vieux souvenir de collège... Pourtant Knock est une comédie, Jules Romains en décide ainsi.
Cependant, quand Louis Jouvet (ah… l’Ombre de Jouvet…), qui monta le premier Knock, fit part de sa volonté de tirer le spectacle vers la comédie pure, il se heurta à quelques tollés dont le désaccord de Georges Pitoëff qui voyait en Knock « l’affreuse tragédie de notre époque, une horreur magnifique, une pièce macabre ». Qui croire ? Sinon penser qu’il s’agit là d’une possibilité rare de double-lecture, sans contre-sens, d’une oeuvre qui recèle beaucoup plus de choses à jouer, à passer, à transmettre, que les quelques répliques-cultes et les photos de Jouvet sur nos anciens Classiques Larousse…
Olivier Mellor/ Metteur en scène
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking : Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.