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Résumé
À propos de l'Avare, par
Marielle Bancou
Pour en
savoir plus sur l'Avare , par Gérard Wajcman
Quelques extraits de presse
Harpagon est un homme possédé par lavarice. Son vice, qui a peu à peu pris en
lui la place de toute autre pensée et de tout autre sentiment, pèse lourdement sur la
vie des siens et des gens de sa maison. La situation de sa fortune, le rang quil
devrait avoir souci dobserver, ne le retiennent pas de faire régner autour de lui
la plus sordide économie. Les laquais sont mal payés et mal vêtus, les chevaux mal
nourris. Valère, lintendant quil sest adjoint pour surveiller ses
domestiques et gérer ses intérêts, se voit dicter les consignes les plus sévères.
Veuf, Harpagon a une fille, Élise, quil a entrepris de marier au vieil Anselme, son
voisin, pour la seule raison que celui-ci ne réclame pas de dot à sa fiancée. Son fils,
Cléante, ne reçoit de lui aucun argent et doit, pour subvenir à ses besoins, recourir
à des emprunts usuraires : il découvre dailleurs que son courtier nest que
le prête-nom de son propre père.
Les deux jeunes gens, impatients de fonder un foyer pour échapper à la contrainte
paternelle, ont lun et lautre fixé leur choix. Élise aime Valère et est
aimé de lui, qui nest dailleurs entré au service dHarpagon que pour
mieux accomplir leur dessein ; et Cléante sest épris dune jeune fille
installée depuis peu dans le voisinage, Mariane. Le frère et la sur se font
confidence de leurs projets et conviennent de saider mutuellement à les faire
triompher.
Cependant, Harpagon sest de son côté mis en tête dépouser Mariane.
Lorsquil découvre que son fils est son rival, il le somme de renoncer à la lui
disputer.
La Flèche, valet de Cléante, qui semploie à seconder les vux de son
maître, a découvert la cachette où Harpagon dissimule un important dépôt
dargent. Il subtilise la cassette et la remet à Cléante, qui se servira de ce gage
pour amener son père à lui abandonner Mariane.
Harpagon, désespéré de se voir dépossédé de son trésor et cherchant à fixer ses
soupçons, les porte finalement sur Valère, que lui désigne la vengeance dun
domestique. Valère, voyant la colère du vieillard, croit quil a eu connaissance de
lamour quÉlise et lui-même se portent lun à lautre et renonce
à sen cacher davantage. Harpagon voit ses desseins là encore contrariés.
Un événement inespéré va dénouer la comédie. Devant le vieil Anselme, venu pour
saccorder avec Élise, Valère fait connaître ses origines : il se découvre
quAnselme est le père de Valère et de Mariane, tous trois ayant été séparés
jadis dans un naufrage. Valère épousera Élise et Mariane sera la femme de Cléante, qui
rapporte à son père, pour le consoler de ses amours contrariées, son cher argent
retrouvé qui régnera désormais sans partage sur son cur.
À propos de l'Avare, par Marielle Bancou
LAvare 2000 de New York à Paris
Durant lhiver 1998/99, alors que nous collaborions pour la première fois pour le
Marchand de Venise , à " lAmerican Repertory Theatre " de Boston,
Andrei Serban me demandait : " Que pensez-vous dun autre travail ensemble à
Paris ? LAvare, au printemps de lan 2000 ? Faites quelques livres et je
les emporte à Paris pour les montrer à Jean-Pierre Miquel, Administrateur de la
Comédie-Française. Je pars le mois prochain. "
Molière, après Shakespeare. Jétais ravie. Sans hésitation je me mis au travail.
Comment étais-je passée du livre peint qui faisait lobjet de mes recherches de
peintre, depuis quelques années, au décor de théâtre ?
Très directement, à travers la vision du metteur en scène original Andrei Serban, qui
collectionnait mes livres, devenus objets-sculptures dans les mains de ce " lecteur
" - créateur. Changeant de format, les mini-livres (des livres-accordéon, base
japonaise sur laquelle les moines bouddhistes écrivent leurs prières) devenaient
maxi-paravents aux couleurs mouvantes et étaient exécutés avec une technique de peintre
: ce nétait donc pas simplement un décor peint mais un décor-peinture. Peter
Brook, qui aimait lidée de cette métamorphose, avait recommandé : " Il
faudra peindre vous-même, en insistant sur le vous-même ".
Cest la couleur qui crée latmosphère de la pièce : je venais de finir un
violent paravent " Venise ", rouge et or, en face daimables tons pastels
que suggérait Belmont. Que choisir maintenant pour lAvare ?
Dinstinct, la première réponse fut : gris pour la bourgeoisie parisienne, gris
pour lavarice, gris pour la structure, gris pour le rideau, gris pour les costumes.
Je couvris des livres de camaïeux gris ; pas de simples gris issus de noir et blancs,
mais de multiples gris cassés, teintés de rouge, de vert et de violet.
Récemment, à Paris, jai constaté que, dans différents théâtres, le gris était
à la mode. Lorsque je moccupais à New York des couleurs de la mode et que nous
publiions des " cahiers de prévisions " américains, on me demandait souvent :
" comment devinez-vous ? ". Je ne les devinais pas : les couleurs sont dans
lair. Il faut les voir et les saisir : les gris avaient sûrement couru dans
lair.
À la fin du mois daoût 1999, nous commençâmes à travailler à Paris avec
léquipe du Français - et la maquette des gris prit naissance.
Six mois plus tard, à quelques semaines de la première de lAvare, je suis
" étonnée et ravie " de faire partie, ne fût-ce que pour un court temps, de
léquipe professionnelle, artistique et civilisée plus que nimporte où
ailleurs, de la Comédie-Française. Dominique Schmitt et Catherine Rebeyrol travaillent
avec moi lune aux costumes, lautre au décor - et le magicien Renato
Bianchi
Je devrais continuer à citer, sans exception aucune, les noms de tous ces
professionnels, amoureux du théâtre, mettant à la disposition des invités de passage
le meilleur deux-mêmes, avec la plus grande compétence et la plus ouverte
générosité.
Il faut citer ici Sarcelles, qui enchante lorsquon arrive de New York. Cest
dans cette banlieue nord de Paris que sont installés les ateliers géants où se
construisent et se peignent les décors, lieu dont léquivalent manque totalement
dans la riche ville de New York.
Nous avions souffert de cette totale absence dateliers dans la réalisation des
décors pour Hamlet en décembre dernier.
Je dis " nous ", car Andrei Serban collabore de près à la conception des
décors et costumes.
Jai toujours été frappée par la connaissance picturale dAndrei Serban dans
ses réactions, ses critiques, ses suggestions de couleur et de forme. Un jour, devant
tous les gris de lAvare, il me dit " après tout, Molière a écrit des
comédies
interrompez parfois, ce gris. Je vois Mariane en rouge, et des paravents
comme des accents de couleurs vives ". Ce fût lui qui imagina des paravents de
plusieurs hauteurs permettant plus de variété. Lénergie quil met en marche
avec les acteurs tournant, courant, dansant autour ou au-dessus des paravents (eux-mêmes
en mouvement), crée une chorégraphie inattendue. Loriginalité de ses mises en
scène où il passe comme dans la vie, sans arrêt, du comique au tragique, apporte à
chaque uvre à laquelle nous avons collaboré une vue nouvelle, jamais
conventionnelle - toujours en changement. Les changements sont constants, réinventés à
chaque répétition. Rien nest jamais cristallisé ; ce nest pas facile
dabord pour les acteurs. Je suis frappée par la souplesse, la rapidité et
lintelligence subtile des acteurs en répétition qui immédiatement répondent à
chaque demande et créent un jeu, une interprétation nouvelle adaptée au changement du
moment.
Ce qui nest pas facile non plus pour les costumes. Nous avions décidé de costumes
modernes ou plutôt sans époque. Rien nindique un moment précis de
lhistoire, dans lAvare. Au temps de Plaute, de Molière ou de Woody
Allen (le Molière new-yorkais), lavarice est semblable - universelle -
telle
quelle.
Mais ces costumes modernes changent, selon linterprétation du caractère.
Quand faut-il sarrêter de changer ?
La question est à poser à Andrei Serban. En attendant, comme le dit Harpagon, Gérard
Giroudon, " nous vivons ensemble une belle aventure ".
Marielle Bancou
février 2000
Pour en savoir plus sur l'Avare , par Gérard Wajcman
" LAvarice (Figures, retournements & transpositions)
Si, pour parodier Molière, qui en savait un rayon sur le sujet, on peut donc dire de lAvarice quelle nest pas un vice à la mode, ne plaisantons pas, cela nentame évidemment rien quant à lexistence tenace de la chose, qui se porte à merveille, comme chacun aisément sen persuade chaque jour. LAvarice semble à la fois prospère et cependant une Figure du passé et dépassée. Lavarice souffre dun déficit dimage, elle na pas dimage moderne et nest en rien une Figure de la modernité - de toute façon, elle na pas une bonne image du tout. Voilà le fait.
Maintenant, on pourrait légitimement se demander si elle na pas toujours paru ainsi, ancienne et passée. Ce qui ferait limage de lAvare harpagonien une personnification exacte de lIdée : un vieux qui a toujours été vieux, mangé moins par les ans que de lintérieur, par sa nature avaricieuse, un vieux de naissance, même si, chez Molière, trait de génie, ce vieux lorgne concupiscemment vers une jeunesse. Un jeune avare ? Ce serait quand même un " vieil avare ". LAvarice est vieille et rend vieux. Péché rance.
On admet donc implicitement que lAvare fut élevé en Figure au XVIIe siècle chez Molière, et que ce portrait est définitif. On désignera par Figure la trace que laisse un sujet, ce qui, de lui, reste en héritage dans la mémoire des hommes. LArt produit ainsi des Figures. Harpagon nest pas un homme avaricieux, un avare est devenu ici lAvare pour toujours et à jamais (son nom propre de personnage est dailleurs à présent non commun), un Type. Le rôle de lAvare sur le Grand Théâtre de la Comédie Humaine. Il devait évidemment faire retour chez Balzac. Si Balzac, seul, après Molière, est parvenu à produire dautres Figures mémorables dAvares, elles ne sont toutefois pas entièrement nouvelles. Le père Grandet, Gobseck sont encore, dans leur trame, des Harpagon, au temps du capitalisme. La littérature est par nature puissance critique, elle aime penser contre. La Figure dénoncée de lAvare est dabord littéraire.
Impossible de sidentifier. LAvare cest lAutre. Se séparant de la série des péchés, lAvarice semble définitivement insubjectivable. LAvare est un Autre. Figure dun Autre Absolu, complet, assis et rassis sur le tas de son Tout, qui ne nous laisse rien, que nos yeux pour pleurer. La Figure de lAvare cest le rêve dune complétude - " bourré de pognon ! " (quand en vérité il souffre, cruellement, du manque, chaque sou quil na pas ou quil perd le déchire, le manque lui est plus quun supplice). Il est si Autre quon à peine à croire que dans le retrait ombreux dun confessionnal, quelquun ait pu jamais confesser ce péché tel quel, " Mon Père, jai commis le péché davarice ". Il saute aux yeux que quelque chose ne va pas : on commet la luxure, la gourmandise ou la colère, on ne commet pas un péché davarice. Lavarice touche à lêtre. On est Avare. On ne peut que se reprendre de son être. Nul pourtant ne sy résoudra. Et pourtant, comme cela arrive parfois, un jour brumeux de déprime, on ne reculera pas à se couvrir de fleurs autrement vénéneuses. Dailleurs, de quelle faute le sujet le plus innocent ne serait-il prêt à saccabler ? Insondable culpabilité de lêtre. Pourtant, même du fond de la crise de vérité la plus sévère qui puisse ravager ce sujet, autant dire la plus mélancolique, on a le sentiment que jamais, du plus sourd désespoir, ne jaillira lexclamation : " Je suis un abominable avare, quun sale rapiat ! ". LAvarice comme trait dinidentification absolue.
Si le vocabulaire est maigre pour piquer le gourmand, la langue nest guère avare pour vitupérer le rapiat. On le dira avaricieux, regardant, ladre, grigou, grippe-sou, liardeur, pince-maille, pleure-misère, tire-sou, fesse-mathieu, regrattier, barguigneur, pingre, grimelin, mauvais riche, chien, rat, vampire, vautour, rapace, radin, gredin, harpie, vilain, harpagon ; on dénoncera ses défauts en kyrielle, avidité, âpreté, barguignage, chicheté, parcimonie, sordidité, petitesse, vilenie, mesquinerie, amour de largent, soif de lor ; on fustigera sa lésine (économie sordide et ingénieuse connue surtout sous la forme verbale et généreuse qui enjoint toujours de ne pas lésiner) ; on le taxera de dur, tenace, affamé, avide (ce que le mot avare signifiait aussi jusquau XVIe), vénal, chiche, regardant, serré, sordide, crasse, mesquin, chipotier, vénal, cupide. La langue est un trésor, y compris pour un avare de mots.
Dun autre côté, lAvare nest pas exactement seul-seul : il a un rapport essentiel au monde, soit comme ce qui recèle lor quil na pas, et donc dont il manque, cruellement, et donc quil convoite, soit comme ce qui menace lor quil possède et qui risque incessamment de lui manquer. Les êtres sont ainsi instrumentalisés par sa passion, comme ce qui peut, dune façon ou dune autre, la satisfaire. On voit tout de suite quil ny a, dans ce monde, quun seul mode sous lequel un autre sujet peut apparaître : comme voleur potentiel. Toute autre volonté est hostile. Tout autre désir que celui de lAvare est ennemi, par définition, plus que rival, menaçant et mortel. La volonté de lAvare emporte lexclusion de toute autre volonté, parce que toute volonté, qui ne se renonce pas elle-même, qui nest pas mobilisée au service de son bien, va forcément contre son bien. Toute autre aspiration devient conspiration. Lhomme veut le bien de lautre, dit-on ; la formule peut sentendre soit comme celle dune douce et profonde charité humaine, soit comme celle dune essentielle et criminelle invidia.
LAvare, dans sa Figure, est despote. En sa maison, ailleurs, avec tous, partout, tout le temps, par nature. Despotisme implacable, impitoyable. Insupportable. LAvare impose un ordre de fer. Dor. Si on se précipite à voir cela sous un jour sociologique et progressiste, éclairant larrogance de lAvare par la puissance de largent-roi, on sobscurcit tout. La version psychologique, entre névrose obsessionnelle et paranoïa ne vaudra guère mieux. Car il me semble que labsolutisme de lAvare fait surgir une autre face, un visage que je qualifierai de sadien de lAvare : " Il nest point dhomme qui ne veuille être despote quand il bande. "
Que lAvare est homme de Désir. Cela éclate, en creux, dans le quiproquo entre
Valère (qui parle de son amante, la fille dHarpagon) et Harpagon.
" Valère : Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel
na profané la passion que ses beaux yeux mont inspirée.
harpagon : Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle delle comme un amant dune
maîtresse. " (LAvare, acte V, scène 3).
" Exaltation de la cassette dHarpagon par le quiproquo qui lui fait substituer
à sa propre fille quand cest un amoureux qui lui en parle ", dit Lacan. Comme
si les deux désirs qui se rencontrent, si contraires, pouvaient cependant être
confondus. " Les beaux yeux de ma cassette ! " On pourrait chipoter, opposer
quHarpagon sétonne de ce discours amoureux tenu sur son argent plus
quil y consent ; mais il faut sen tenir à ceci : que le quiproquo existe,
quil est possible. Cela suffit. Et que cest un topos que lor a pour
lAvare les attraits dune femme, et quil " jouit à sa vue ".
Comme si lobjet de lAvare pouvait cristalliser bien dautres désirs.
Molière en savait un bout sur lAvare ; cest sans doute que lAvare, lui, en sait un bout sur le désir (ressort essentiel de lintérêt de Molière pour lAvare ?). Ironie, ironie, voici lAvare élevé en Figure de Vérité sur les âmes en proie au péché. Contrairement au commun des mortels (est-ce ainsi quon nomme poliment les névrosés ?), lAvare sait ce quil veut, il est clair sur son désir. Non seulement il sait ce quil veut mais cela lui donnerait une pénétration sur ce qui sagite au plus intime de chacun. Comme si la passion de lor, infâme et délétère, détenait, dans son horreur exclusive, la clef de toutes les autres, sorte de Passion ultime et épurée. Un caput mortuum des passions, ce qui reste une fois quont été traversés tous les feux illusoires qui faisaient sessouffler en vain après ceci ou cela. Une sorte de passion véridique, au-delà de tout. La seule passion qui vaille. Une Passion Vraie. Et Vérité de la Passion. Moche. Très moche. Mais comme disait Nietzsche, ya pas de raison pour que la Vérité soit jolie ni rigolote. Vérité sur la marionnette humaine, jouet de ses désirs. Malheur à lhomme qui détient une telle vérité sur le Désir, le commun des mortels la à lil. Il a des airs doiseau de mauvais augure. Harpagon, Gobseck en oiseaux de proie, The Men who knew too much.
LAvare nest pas un péché moderne parce quelle nest plus un péché. Aucun rentier-petit-porteur-ordonné-économe-obstiné-constipé ne méritera jamais ni cet excès dhonneur ni cette indignité d être traité dignoble ou dinfâme. Peut-être même tiendra-t-on cet harpagon pour un parangon de vertus nouvelles, sens de léconomie, prudence des investissement, foi dans les placements ou espérance dans les taux rémunérateurs.
Donc, une Figure possible de lAvarice aujourdhui, ce serait une Figure de Vérité sous la forme, si je puis dire, dun tas de quelque chose, un reste, un truc sans forme, hors-Beau donc, une loque. Après tout, on pourrait tenir ça pour une Vanité freudienne. Ce serait la nouvelle vanité, la vanité moderne. " Vanité de lAvare ", ça pourrait sappeler, il y en a même certains qui diraient " Vanité de lArt ", pour faire plus court.
Gérard Wajcman
Extrait de Collection, éd. Nous, 1999.
A F P, le 7 mars 2000 Yves Bourgade
Le metteur en scène roumain, Andrei Serban, propose pour sa nouvelle production l'Avave
avec la Comédie-Française une version rajeunie et dépoussiérée de la pièce de
Molière.[...] On ne s'ennuie pas un instant et les tours et détours de la pièce, peu
vraisemblables comme souvent chez Molière, passent sans effort. La salle rit aux éclats,
comme si elle ne s'attendait pas à ces rebonds, à ces " gags " et à ces
interjections, certaines passées dans le langage courant. La troupe est homogène, de
Gérard Giroudon à Roland Bertin en M. Anselme, le deus ex machina final, en passant par
Muriel Mayette en Frosine, entremetteuse moderne, Céline Samie en Marianne, au profil et
courbes de Marilyn Monroe. Les jeunes gens Éric Ruf en Valère, Éric Génovèse en
Cléante, sont particulièrement dégourdis et inventifs. Tous donnent à la pièce rythme
et vivacité. [...]
Les Échos, le 10 mars 2000 Annie Coppermann
[...] Andrei Serban est roumain d'origine, vit aux États-Unis, y a monté bon nombre de
classiques, Eschyle, Shakespeare, Tchekhov, Brecht, aussi, met également en scène des
opéras, des deux côtés de l'Atlantique (en France, " la Flûte enchantée
", mais surtout, à l'Opéra, " les Puritains ", " les Indes
galantes " et, reprise actuellement à Garnier, " l'Italienne à Alger ").
Il aborde pour la première fois en leur maison les Comédiens-Français... et la
rencontre est particulièrement vivifiante. Elle donne un " Avare "
allègre, où le personnage vedette, ce qui est rare, n'écrase pas les autres, où les
jeunes gens existent et ont des accents d'aujourd'hui, où l'on rit, de bon
cur...[...]
Le Figaro, le 10 mars 2000 Frédéric Ferney
[...] Le metteur en scène Andrei Serban excelle à traduire ce mélange. Avec une santé
presque brechtienne, avec les moyens les plus simples, il retrouve la vérité robuste et
outrée du fabliau sous les costumes modernes en exigeant des comédiens un dessin clair,
en obtenant d'eux une impeccable et joyeuse lisibilité. [...] Avec des paravents, des
couleurs vives, Marielle Bancou, qui signe le décor et les costumes, contribue à
simplifier la pièce, à la désaccoutrer de vains ornements. Un seul accessoire : le
bâton ! Des yeux, des mains gantées, dans une vision surréaliste à la Max Ernst. Des
portes qui s'ouvrent et se ferment mystérieusement comme dans un songe. Tout cela
contribue à introduire dans la comédie cette note fantastique rappelant que Serban nous
vient de l'Est. Il me semble surtout que ce Roumain de New York et de Boston obtient le
meilleur des comédiens du Français : Muriel Mayette (Frosine) et Roland Bertin (Anselme)
sont plus épanouis que jamais, avec une jouissante désinvolte envers tous les codes.
Reste Gérard Giroudon, longtemps réduit aux emplois de second valet, et qui se voit
offrir son premier grand rôle. [...] Vêtu d'un vieux pardessus élimé, progressivement
dénudé par les outrages qu'il subit, Giroudon s'implique de toutes ses forces, avec ses
muscles et ses nerfs. Une merveilleuse vitalité. Moins une âme égarée qu'un corps
perdu, suant, brisé. C'est beau aussi.
Pariscope, le 22 mars 2000 Arlette Frazier
Andrei Serban est né en Roumanie, il vit à New York et met en scène, pour la
Comédie-Française, l'Avare de Molière, pièce qu'il connaît bien pour l'avoir
monté il y a dix ans à Boston. La dernière mise en scène de l'Avare à la
Comédie-Française remonte à 1969 ! Il était largement temps de revisiter les pièces
majeures du répertoire et d'explorer d'autres manières de les aborder, comme le dit
très justement Jean-Pierre Miquel, l'Administrateur de cette noble maison. Pas de décors
clinquants, ni costumes ni mobilier d'époque, mais des murs coulissants et des paravents
de couleur vive d'où sortent des grands yeux et des mains gantées de noir qui semblent
poursuivre Harpagon, le maître des lieux. Les portes s'ouvrent et se ferment
mystérieusement, dans ce décor surréaliste, signé Marielle Bancou, décor qui renferme
Harpagon (Gérard Giroudon) dans son délire d'homme avide et malade de son argent. [...]
Tous les comédiens sont épanouis, réjouissants et à l'unisson dans cette comédie de
caractère, une des plus noires de Molière, traitée ici avec une belle vitalité.
Le Point, le 17 mars 2000 Frédéric Ferney
C'est une comédie de murs et de caractères, l'une des plus cruelles qui soient
avec des sursauts de farce, comme si Molière ne cessait de relier son art à la crudité
de ses origines. Serban alterne le pathétique, le boufon, le romanesque avec une
vitalité, une santé presque brechtienne ; ce Roumain de New York (et de Boston) ajoute
une note fantastique qui inquiète la convention sans s'égarer à tout crin dans les
frayeurs et les fumées. Il impose son regard sans fabriquer je ne sais quelle vision
devant nous révéler une vérité radicale et insoupçonnée de l'uvre. Il obtient
surtout le meilleur des comédiens de la troupe : Muriel Mayette et Roland Bertin sont
ruisselants de verve ; Florence Viala et Éric Génovèse ont du charme. Quant à Gérard
Giroudon, il se dépense, il lutte comme un beau diable. On voit moins une âme égarée
qu'un corps perdu, suant, brisé par la passion.
Télérama, le 22 mars 2000 Fabienne Pascaud
[...] Magistralement orchestré à la Comédie-Française par Andrei Serban, jamais l'Avare
de Molière n'apparaît pourtant comme une curiosité dépassée. Le metteur en scène
roumain y donne à voir, à sentir les fragilités et les frustrations qui hantent et
abîme l'avaricieux Harpagon. Jusqu'à la solitude, jusqu'au délire. Une démesure, une
violence névrotiques qui sont inscrites dans le rôle, mais que Serban révèle
admirablement dans un espace gris sobre et nu, où apparaissent par intermittence des
toiles expressionnistes brutales, où se tendent par instants d'inquiétantes mains
gantées de noir. Entre onirisme et réalisme, entre Kafka, Freud et Cocteau, la pièce se
déroule ici dans toute son étrangeté. [...] Bien avant Marivaux, Molière démonte les
liens pervers qui peuvent unir fric et sexe. Et Serban le sert à merveille, qui fait de
l'entremetteuse Frosine (Muriel Mayette, irrésistible) une hallucinante mère maquerelle
en robe léopard, de la douce Marianne, qui convoitent père et fils (Céline Samie,
savoureuse) une pauvre Marilyne Monroe. Le metteur en scène met en lumière les non-dits
du texte. Sans les appuyer. Sous sa direction, le couple Élise-Valère, d'ordinaire si
mièvre, devient un curieux duo d'enfants solitaires et mal aimés ; le valet La Flèche,
un rebelle qui cherche déjà à se venger de son patron ; maître Jacques, un domestique
masochiste ; et l'ami Anselme, qui débrouille miraculeusement l'intrigue (et que compose
formidablement Roland Bertin), un vieillard désabusé que n'enchante guère la
perspective de retrouver sa vieille épouse et ses deux grands enfants. Dans leurs
costumes mêlant drôlement comme Molière l'ancien et le moderne, les
comédiens du Français rivalisent d'insolence et de maîtrise, d'ironie contrôlée et
d'émotion vraie. Un exercice virtuose qui dévoile la pièce sous un autre jour, en rend
l'opacité et la lumière, avec toutes les nuances possibles du clair-obscur. Et si
c'était un cauchemar que vivait Harpagon ? Et si cette lente et terrible dépossession de
soi n'était qu'un mauvais rêve qui se termine dans l'absurde comme tous les mauvais
rêves ? Serban sait l'art subtil de mettre le spectateur en déséquilibre, tel Harpagon,
de le faire douter, donc penser. On n'en a plus si souvent l'habitude.
Le Journal du Dimanche, le 26 mars 2000 Patrice Trapier
Réputé pour ses mises en scène de tragédies grecques et d'opéras, le Roumain
Andrei Serban revient à Paris après vingt ans d'absence. Très attendue, sa création de
l'Avare est une grande réussite. Nourri de Brecht, de Beckett, de Dario Fo, son
regard moderne, son parti pris parodique renouent avec la veine originelle de la pièce,
entre comique et tragédie. Un théâtre de caractère que des costumes " années
trente ", un décor de paravents animés aident à retrouver. Les acteurs sont
portés par une énergie tourbillonnante. Gérard Giroudon compose un remarquable Harpagon
gouailleur, maquignon odieux et pathétique qu'une folle passion dévore jusqu'à le
projeter dans les entrailles de la scène. Cet Avare est une farce autant qu'une
fable poussée jusqu'à l'absurde.
Place Colette 75001 Paris