L’Exception et la Règle

Saint-Denis (93)
du 7 octobre au 1 décembre 2002

L’Exception et la Règle

Le théâtre de Brecht a métamorphosé la scène française au lendemain de la guerre, non seulement en influençant l’art de la mise en scène mais plus encore en transformant la façon de lire le théâtre. Dans le même temps, aucun théâtre ne fut combattu avec autant de mauvaise foi, de condescendance de classe, de peur et aussi de haine. C’est désormais du passé, dira-t-on. Mais sommes-nous vraiment assurés que ce qui a animé le passé soit mort, et même qu’il soit vraiment passé ? 

Présentation
Petit organon pour le théâtre (1948)
La presse

Le théâtre de Brecht a métamorphosé la scène française au lendemain de la guerre, non seulement en influençant l’art de la mise en scène mais plus encore en transformant la façon de lire le théâtre. Dans le même temps, aucun théâtre ne fut combattu avec autant de mauvaise foi, de condescendance de classe, de peur et aussi de haine. C’est désormais du passé, dira-t-on. Mais sommes-nous vraiment assurés que ce qui a animé le passé soit mort, et même qu’il soit vraiment passé ? 

J’ai toujours lu L’Exception et la règle comme une pièce-matrice du théâtre de Brecht, comme l’équation fondamentale de son inspiration. C’est une pièce sur la haine de classe, la haine raciale et l’injustice. L’injustice qui semble inhérente à l’humain, qui est une des choses les plus cruelles que l’homme ait à affronter et qui est une grande cause de désespoir.

Et comme le dit avec sagesse celui qui a beaucoup pensé avec ses mains, beaucoup construit de par le monde pour que les hommes vivent dans l’harmonie de la terre, Oscar Niemeyer : « Et quand l’espoir fuit le cœur des hommes, c’est la révolution qui s’impose ».

Composée à partir de 1930 et publiée pour la première fois en 1937, L’Exception et la Règle a été créée en langue hébraïque en Palestine à Givat Chaim en mai 1938 par Alfred Wolf, un émigrant allemand. La représentation eut lieu en plein air sur une pelouse, le décor était une couche de sable dans laquelle était planté un écriteau où l’on pouvait lire « Dune de sable ».

Elle a été créée en français en octobre 1949 au Théâtre de Poche à Paris par Jean-Marie Serreau, qui la même année la joua en Allemagne dans la zone française d’occupation. Certains gouverneurs français l’interdirent dans leur district.

Alain Ollivier

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43. Depuis toujours, l’affaire du théâtre, comme de tous les autres arts, est d’amuser les gens. C’est ce qui toujours lui confère sa dignité particulière ; il n’a pas besoin d’autre passeport que le divertissement, mais il en a absolument besoin. Il serait vain de vouloir élever son statut en en faisant par exemple une foire à la morale ; il faudrait qu’il prenne alors plutôt garde de ne pas s’en trouver rabaissé, car c’est ce qui se passerait aussitôt s’il ne rendait pas la morale plaisante, je veux dire pour les sens – ce à quoi la morale ne saurait que gagner. On ne devrait même pas lui demander de dispenser un enseignement, et en tout cas pas un enseignement qui prétende être plus utile que celui des mouvements délectables du corps et de l’esprit. Car il faut que le théâtre ait parfaitement le droit de rester quelque chose de superflu, étant alors bien entendu que l’on vit pour le superflu. Les plaisirs n’ont besoin de rien moins que d’un avocat.

44. Ce qu’on laisse inchangé pendant longtemps paraît en effet inchangeable. De tous côtés, nous tombons sur des choses qui vont trop de soi pour que nous nous sentions obligés de nous donner la peine de les comprendre. Ce que les hommes vivent ensemble leur paraît être la donnée de l’expérience humaine. L’enfant, vivant dans le monde des vieillards, apprend comment les choses s’y passent. Ainsi va le monde, il est ainsi fait, et l’enfant s’y fait à son tour. Si quelqu’un a l’audace de porter ses désirs au-delà, il ne les ressent que comme une exception. Même s’il savait voir dans les décrets de la Providence de simples dispositions prises à son endroit par la société, il n’en resterait pas moins que la société, cette immense collection d’êtres semblables à lui, lui apparaîtrait comme un tout, plus grand que la somme de ses parties et échappant totalement à son influence ; et pourtant ce serait un tout qui lui est familier, et comment pourrait-on se méfier de ce qui vous est familier ? Pour que toutes ces prétendues données puissent devenir autant d’objets de doute, il faudrait cultiver cette manière de regarder les choses en étranger, comme le grand Galilée considérait les oscillations d’un lustre. Galilée était stupéfait de ces balancements, comme s’il ne s’y attendait pas et n’y comprenait rien : c’est de cette façon qu’il découvrit ensuite leurs lois. Voilà le regard, aussi inconfortable que productif, que doit provoquer le théâtre par les représentations qu’il donne de la vie des hommes en société. Il doit forcer son public à s’étonner, et ce sera le cas grâce à une technique qui distancie et rend étrange ce qui était familier.

46. Notre époque, qui opère sur la nature des transformations si nombreuses et si diverses, prend plaisir à tout concevoir de manière que nous puissions avoir prise dessus. Il y a beaucoup de choses en l’homme, disons-nous, on peut faire de lui beaucoup de choses. Rien ne le contraint à demeurer tel qu’il est ; on a le droit de le considérer non seulement tel qu’il est, mais aussi tel qu’il pourrait être. Nous n’avons pas à partir de lui, mais vers lui. Or, cela veut dire que je ne dois pas simplement me mettre à sa place : je dois me mettre en face de lui, en représentant de tous. C’est pourquoi le théâtre doit distancier ce qu’il montre.

Additifs au « Petit organon »

(§ 3) Il ne s’agit pas seulement que l’art présente sous forme plaisante des choses à apprendre. Il faut que la contradiction entre « apprendre des choses » et « prendre du plaisir » soit maintenue dans son acuité et avec son importance significative – à une époque où l’on acquiert des connaissances pour les revendre au plus haut prix possible, et où même un prix élevé permet encore l’exploitation à ceux qui le paient. C’est seulement le jour où la productivité aura brisé ses chaînes que ce sera un plaisir d’apprendre et que le plaisir lui-même deviendra un moyen d’apprendre.

Bertolt Brecht
Écrits sur le théâtre
Éditions Gallimard

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L'exploitation de l'homme par l'homme selon le nouveau patron du Théâtre Gérard Philipe. Ollivier livre un Brecht d'Exception

Par le RER (ligne D), le métro (ligne 13, descendre à Saint-Denis-Basilique), le tramway (de Bobigny), se rendre au Théâtre Gérard Philipe; un exceptionnel spectacle attend là le voyageur. Du Bertolt Brecht à l'état pur, chauffé à blanc par le metteur en scène Alain Ollivier. Le décor, une idée de dune aride - comme une ellipse lunaire sur le profond plateau mis à nu par le scénographe Daniel Jeanneteau - , est à lui seul une splendeur, de perspectives, de mystère, dans les lumières de Joël Hourbeigt. C'est d'ailleurs le Théâtre Gérard Philipe tout entier qui est remarquablement beau depuis l'arrivée d'Ollivier à sa tête. De la salle Roger Blin, comme désossée façon Bouffes du Nord, et avec désormais des bancs de bois, jusqu'à la cafétéria minimaliste, en passant par le hall archi-blanc dans la lumière dans la lumière d'ampoules, tous les locaux donnent l'impression d'une métamorphose : entre simplicité de monastère zen et songerie d'un autrefois chez les artistes de New-York.

Mathilde La Bardonnie - Libération

Le travail avec les acteurs, surtout, est remarquable. À commencer par Alain Ollivier , qui joue lui-même Langmann, bourgeois rougeaud et courtaud coiffé d'un chapeau melon, préoccupé jusqu'à l'obsession par le marché qu'il doit souffler à ses concurrents. il a une façon de lâcher, comme ça, sans y toucher, des phrases telles que "comme ce coolie est insouciant" qui dit toute la condescendance, la suffisance satisfaite d'un homme qui ne fonctionne que sur le mépris de l'autre. La force comique de la pièce repose entièrement sur lui, capable de faire rire d'un salaud pour mieux poser la souffrance muette et la révolte impossible des "hommes d'en bas" d'hier et d'aujourd'hui.

Fabienne Darge - Le Monde

Voilà du théâtre qui fait du bien. Qui aide à vivre. Qui tombe à pic dans ce qu'est la France d'aujourd'hui. Comme dit en substance le prologue: "ne trouvez pas naturel ce qui se produit par ce temps d'arbitraire programmé." Et l'épilogue fait écho: "reconnaissez l'abus là où se trouve la règle." Dans un désert d'Eurasie, un marchand de pétrole et ses deux esclaves, deux autochtones, un guide et un porteur. l'un est chassé. L'autre est tué. Procès du négrier qui, bien sûr, sortira blanchi. C'est aussi irréductible et évident qu'une tragédie grecque. Le travail d'Alain Ollivier et de son équipe - décorateur, acteurs, musiciens - fait de ce spectacle à la fois une longue-vue, une loupe et un microscope sur ce que les pays d'en bas vivent sous la férule des pays d'en haut, et les battus sous le règne des battants.

Jean-Marc Stricker - France Inter

Alain Ollivier en donne une version lumineuse, d'un grand raffinement dépouillé. La pièce a cette évidence de théorème, propre au volet didactique de l'oeuvre de celui qui affirmait: "Le désordre du monde, voilà le sujet de l'art." Sur un plateau sans rien (scénographie de Daniel Jeanneteau), subtilement incurvé - cela ne suggère-t-il pas le globe comme universel lieu d'exploitation? - soumis à d'admirables variations de la lumière (Joël Hourbeigt), cheminent donc en tous sens le négociant pressé d'obtenir un marché (Alain Ollivier) et son coolie (Bounsy Luang Phinith).

Jean-Pierre Léonardini - L'Humanité

Alain Ollivier fait le choix d'une pièce puissante et brève dont il joue l'un des rôles principaux. Une manière de manifeste pour le Théâtre Gérard Philipe qu'il dirige depuis la saison dernière, une manière de s'adresser simplement - et par la beauté aussi - au public d'aujourd'hui.

Armelle Héliot - Le Quotidien du Médecin

L'intention d'Alain Ollivier est claire et drôlement bien menée: dans la tradition d'un certain théâtre français «classique», il déploie tous ses talents de metteur en scène au service du sens, avec tout le respect qu'il éprouve pour le texte de Brecht et sa portée politique, humaniste. Le choeur des Acteurs nous aura prévenus, l'histoire raconte le voyage «d'un exploiteur et deux exploités», et mène de manière très logique à la conclusion suivante: «Discernez l'abus dans ce qui est la règle / Et là où vous avez discerné l'abus / Trouvez le remède ! ». 

Voici une démonstration didactique qui résonne aujourd'hui avec le contexte politique. Dans un article intitulé «Nul n'est censé ignorer l'arbitraire» paru dans Charlie Hebdo du 2 octobre, Sylvie Coma rappelle que: «[...] la philosophie du gouvernement en matière de justice est claire: en France, désormais, c'est la police qui écrit la loi. 'Le temps des tabous est fini', déclarait le ministre de l'Intérieur le 2 septembre [...]. Celui de la justice et des libertés individuelles aussi... Car, pour Nicolas Sarkozy, l'exception devient la règle. Les nouvelles dispositions législatives ne concernent pas uniquement les délinquants [...]. Le bon Français qui traverse dans les clous et paie ses contraventions a, lui aussi, du souci à se faire.» Désormais, en France, la règle et l'exception ont été inversées, la «présomption de culpabilité» remplace la «présomption d'innocence», au vu du climat de méfiance et de suspicion qu'engendrent de pareils programmes politiques. Il serait salvateur que les voix préenregistrées du métro parisien cessent de nous assommer à coup de «rangez soigneusement votre portefeuille» mais nous intiment plutôt, à la manière de Brecht à chercher l'étrange, à «ne pas trouver naturel ce qui se produit sans cesse!»*.

*tous les extraits sont tirés de L'Exception et la Règle, Bertolt Brecht, Théâtre Complet vol.3, L'Arche, 1998.

Violette Bernad in Mouvement.net

Alain Ollivier, qui dirige le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, relance la donne sur cette oeuvre rusée, d'une grande force démonstrative, qui met au jour, à la faveur d'une fable orientale, les rouages de l'exploitation coloniale, ainsi que les mentalités - du dominant, du dominé - qui vont avec. Magnifique précis de lutte des classes a contrario, L'Exception et la Règle est ici mise en scène avec un raffinement digne d'éloge, sur un plateau nu incurvé (scénographie de Daniel Jeanneteau) et sous une lumière savante (Joël Hourbeigt). Alain Ollivier, dans le rôle du commerçant meurtrier, est impressionnant d'autorité mécanique.

Jean-Pierre Léonardini - Marianne

Mis en scène par Alain Ollivier, L'Exception et la Règle, considéré comme un "classique" de Bertolt Brecht, garde toute sa force révolutionnaire. Quel malheur pour un auteur que de devenir "classique" ! De vivant, on vire au mort Heureusement il est des metteurs en scène pour remettre les pendules à l'heure et rappeler combien une ¦uvre peut encore gratter pour peu qu'on s'y arrête. C'est le cas de Brecht, reconnu par tous incontournable, mais toujours considéré par beaucoup comme le maître d'un théâtre didactique confondu avec cours du soir obligatoire. Mis en scène par Alain Ollivier, L'Exception et la Règle ne peut que leur donner tort.

Didier Méreuze - La Croix

Epurant à l'extrême ce conte didactique pour lequel Paul Dessau avait composé une musique sans concession à la moindre joliesse, Alain Ollivier interprète lui-même le méchant de l'histoire et compose une mise en scène à la beauté plastique saisissante, à la rigueur vivifiante.

Fabienne Pascaud - Télérama

Très beau parti pris, d'autant qu'il joue le rôle principal avec distance. Il est aidé dans son spectacle par un magnifique décor de Daniel Jeanneteau, lames de bois courbées au sol, qui évoquent aussi bien la douceur du sable du désert que le tranchant d'une lame. Idée même du danger qui guette les personnages. Une conjonction de talents qui inscrit la pièce dans un bel écrin théâtral.

Jean-Louis Pinte - Le Figaroscope

Ce qu'il y a de bien avec Bertolt Brecht, c'est qu'il nous rajeunit. Fondée sur l'épure, la gravure à l'acide, la lenteur et le rire jaune, et servie par de bons comédiens (dont Dominik Bernard et Bounsy Luang Phinith), sa mise en scène est d'une beauté rare. Les brechtiens ne seront pas déçus.

Laurence Liban - L'Express Magazine

Contant les turpitudes d'un affairiste du pétrole qui traite son porteur comme quantité négligeable, le spectacle d'Alain Ollivier est d'une grande beauté visuelle. Le jeu d'Ollivier lui-même prend peu à peu sa vérité et les autres interprètes interviennent selon un ordonnancement d'une austérité sans concession.

Gilles Costaz - Zurban

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