Alice et Camille
Un huis clos à deux voix
« On ne tue pas les gens parce qu’on est jaloux, Camille, on les tue parce qu’on les aime… » Alice et Camille font connaissance le jour du mariage d’un journaliste vedette du petit écran. La discussion s’engage, immédiatement méfiante, d’une violence sourde. Alice et Camille se rencontrent-elles vraiment pour la première fois ? Quel rôle jouent-elles dans ce hasard et sa farandole de faux-semblants ? Du passé ou de ces deux femmes, qui aura le dernier mot…
Une salle de réception vide à l’issue d’un banquet de mariage. Camille est assise seule dans son élégante robe, absorbée dans ses pensées, à l’écart d’une longue table débordant des restes du festin. C’est le calme après la tempête. C’est aussi le calme annonciateur de l’ouragan. Alice entre en scène…
Zadie Smith, dans son premier roman Sourires de Loup, a cette perspective sur l’histoire personnelle : « Chaque moment se déroule à deux reprises : à l’intérieur et à l’extérieur, créant deux histoires différentes.* » L’Entresuite se propose de dérouler une exploration dans la mémoire et le souvenir de deux femmes ; elles ont vécu à un moment de leur histoire personnelle la même péripétie, mais choisissent de l’intérioriser et de l’interpréter de deux manières différentes. Le texte, tout comme sa mise en espace, propose un huis clos à deux voix.
Entresuite : n.f. Ordre, succession.
L’Entresuite est un travail sur l’effort de mémoire : effort de la recouvrer, mais aussi effort de faire taire les révélations qu’elle porte en elle. L’ambiguïté est une tentation forte des personnages. Le texte, dense et ramassé, articule une langue riche et nuancée qui offre aux comédiennes une large palette d’émotions et de jeu.
La pièce est un huis clos. Le monde intérieur de cette salle de réception est fragile et a bien du mal à résister aux assauts du monde extérieur. Les « autres », au-dehors, les autres convives, les autres ombres du présent qui télescopent les ombres du passé sont autant de menaces qui pèsent sur ces deux femmes. Cette dichotomie n’est pas sans faire écho à la séparation entre le monde des adultes (dehors) et celui des enfants (secret et caché à l’intérieur). En effet, que font Camille et Alice, si ce n’est de jouer en cachette à l’insu des grands qui sont dans le parc ?
La pièce déplie une histoire qui se réécrit au présent. Le ton de la pièce est pluriel car les protagonistes elles-mêmes laissent leurs personnalités d’enfants ressurgir et empiéter sur leurs prestations d’adultes. La pièce nous emmène dans un grand huit de tonalités : le rire côtoie le bord des larmes, alors que la colère tutoie le sarcasme dans une circulation dynamique des émotions et de la parole.
Cette circulation du mot trouve son écho dans le mouvement qui se déploie sur scène. La pièce est un huis clos qui joue et se joue de la figure de l’emprisonnement et de la cachette. Des personnages, parfaitement libres d’aller et venir, se retrouvent prisonniers d’un lieu étranger ; cette étrangeté les forcera aussi à se confier, à parler, à agir. Toutes les formules sont bonnes pour faire ressurgir le passé. Là où les mots rencontrent l’obstacle de l’aporie, le corps prend le relais et Alice de se lancer dans un exercice périlleux de mime pour raviver la mémoire de Camille. Si le mot se tait, le corps prend la relève, frénétique, maladroit et nerveux. S’articule alors un jeu du chat et de la folie ; l’ogre du passé menace les protagonistes de défaillance.
Cette figure de l’emprisonnement trouvera son écho dans l’utilisation de la lumière et du son sur scène. Des incursions de l’obscurité totale sur le plateau refermeront l’action comme une chape sur le destin des personnages. De même la musique et les sons ambiants venant du dehors (sourds, lointains, mais sonores et menaçants), rappelleront à échéances régulières la menace qui plane à l’extérieur.
L’Entresuite offre de multiples facettes, tant dans son écriture que dans ses perspectives de mise en scène. Un texte dynamique et physique qui exige qu’on le prenne à bras le corps.
* « Each moment happens twice : inside and outside, and they are two different histories ».
Oui, on ne sait pas si elles ont vraiment fait exprès de se retrouver là, ou si le destin continue à tricoter à leur place, en se jouant des impulsions premières. Quoi qu'il en soit, ça ne tombe pas plus mal de pouvoir prendre les choses à la gorge, chacune à sa façon. Le jeux des actrices renforce cet antagonisme, tant dans la manière d'être et de se mouvoir que dans la posture face à l'événement et la fatalité. Un texte et une mise en scène sans concession, qui regardent le spectateur dans les yeux.
L'une est furax, l'autre se débrouille avec ce qui s'est passé. Elles se reluquent, se tournent autour, puis s'affrontent. Elles ont un truc à régler et il faudra que ça sorte. Un très beau texte, énervé & allègre, interprété tout en tension, demi-mots & regards courroucés par deux femmes qui jubilent d'être là.
Oui, on ne sait pas si elles ont vraiment fait exprès de se retrouver là, ou si le destin continue à tricoter à leur place, en se jouant des impulsions premières. Quoi qu'il en soit, ça ne tombe pas plus mal de pouvoir prendre les choses à la gorge, chacune à sa façon. Le jeux des actrices renforce cet antagonisme, tant dans la manière d'être et de se mouvoir que dans la posture face à l'événement et la fatalité. Un texte et une mise en scène sans concession, qui regardent le spectateur dans les yeux.
L'une est furax, l'autre se débrouille avec ce qui s'est passé. Elles se reluquent, se tournent autour, puis s'affrontent. Elles ont un truc à régler et il faudra que ça sorte. Un très beau texte, énervé & allègre, interprété tout en tension, demi-mots & regards courroucés par deux femmes qui jubilent d'être là.
11, rue du Général Blaise 75011 Paris