La pièce
L’écriture
L’Autriche
Dans une grande maison vouée à l’art lyrique et dont l’histoire et l’architecture se perdent dans les ténèbres, la représentation de La Flûte enchantée est sur le point de commencer. La cantatrice est attendue dans sa loge par son père, aveugle porté sur la boisson, et son médecin, qui discourt sur l’autopsie. Les considérations anatomiques du docteur sont entrecoupées de réflexions sur l’art, la putréfaction de la culture et la fabrication minutieuse de l’être artistique artificiel parfait qui, telle une créature de Frankenstein, porte en lui sa propre destruction et celle de son entourage. L’arrivée de la Reine de la Nuit est attendue comme celle d’un cadavre livré à un amphithéâtre…
Suite à une expérience très traumatisante de la maladie qui faillit l'emporter à l'age de 18 ans, Thomas Bernhard entreprend d’écrire. D'où une vision du monde marquée par le rapport à la mort, et par une fascination pour la réalité biologique, présente notamment dans L'Ignorant et le Fou.
Le discours obsessionnel du Docteur passe de la description minutieuse d’une autopsie réussie à l'admiration pour le chef d'oeuvre humain qu’est la chanteuse lyrique. Il entretient avec elle un mystérieux rapport de proximité, qui n'est pas celui du père, par ailleurs présent, ni celui de l'amant clandestin, mais celui de l'ingénieur qui aurait présidé à la fabrication de cette machine à chanter - dont les essais malheureux auraient déjà produit Madame Vargo, l'habilleuse, ou Winter, le majordome ? - petite famille bizarre grouillant dans les dépendances du théâtre. Savant forcément incompris, s'apitoyant sur le public monolithique d'une culture de musée, incapable d'apprécier à sa juste valeur l'immense talent de l'artiste au sommet de son art.
L’outil de la dévastation est l'obsédante musique bernhardienne, qui « creuse une spirale dans le sol pour trouver la sortie du monde », avec son humour particulier, dont il semble L’Ignorant et le Fou - dit-il lui même - qu'on n'ait pas toujours bien mesuré la place. Un rire pourtant salvateur.
Sur ce plan, lorsqu'on cherche une parenté à Thomas Bernhard, on ne trouve guère que Beckett. Après avoir longtemps séjourné chez le second Godot, Cendres, Fin de partie, Berceuse, Compagnie, Pas, Pas moi, c’est tout naturellement que j’ai glissé vers le premier. Sortir de Beckett est un véritable casse-tête pour le metteur en scène qui a eu l’imprudence de s’y installer, tant il semble qu'après lui ne restent que le désert et la nuit. Il faut habituer à nouveau ses yeux à la lumière du jour… Non que Bernhard soit un représentant patenté de l'optimisme, mais sa causticité d'un autre ordre nous réjouit sur un autre air, tout en permettant de continuer sur certaines lancées. Et puis ces variations autour d'un monde musical, lieux de tous les tabous culturels, donnent de quoi jubiler : en toile de fond, le fantôme de l'Opéra… que Bernhard toise d'un oeil goguenard et sacrilège.
Yvan Blanloeil
Pourquoi cette obscurité, toujours cette obscurité totale dans mes écrits ? L'explication en est simple. Dans mes écrits, tout est artificiel, c'est-à-dire que tous les personnages, les faits, les incidents se jouent sur une scène et la scène est totalement plongée dans les ténèbres. Les personnages qui paraissent sur l'espace carré de la scène, sont mieux reconnaissables dans leurs contours que sous un éclairage normal, comme c'est le cas dans la prose ordinaire. Dans l'obscurité, tout devient clair. Pas seulement les apparitions, ce qui relève de l'image, non la langue aussi. Il faut imaginer des pages totalement noires : le mot s'éclaire. De là sa netteté ou sa netteté redoublée.
Je me suis servi dès le début de ce moyen artificiel. Lorsque l'on ouvre un de mes livres, il en va toujours ainsi : il faut imaginer qu'on est au théâtre, avec la première page on lève un rideau, le titre apparaît, obscurité complète - et lentement, de ce fond, de cette obscurité, surgissent des mots qui se transforment en des processus de nature tant intérieure qu 'extérieure, et qui, à raison même de leur caractère artificiel, deviennent tels avec une particulière netteté.
Thomas Bernhard, Ténèbres, Maurice Nadeau
Nous sommes le pays de la musique uniquement parce que l'esprit a toujours été, chez nous, complètement opprimé pendant des siècles. Nous sommes devenus un peuple entièrement musical parce qu'au long des siècles catholiques nous sommes devenus un peuple entièrement dépourvu d'esprit, dans la mesure où l'esprit a été expulsé de nous par le catholicisme nous avons laissé fleurir la musique, quoi qu'il en soit, nous devons à cet état de choses Mozart, Haydn, Schubert.
Cependant cela ne me plaît pas du tout, que nous ayons Mozart mais que nous n'ayons plus de tête à nous, Haydn, mais que nous ayons désappris et presque entièrement renoncé à penser, Schubert, mais que nous soyons tout de même devenus stupides en somme. Aucun autre pays n'a jamais connu cela, de s'être laissé priver sans scrupules de la pensée par l'Église catholique, de s'être pour ainsi dire laissé décapiter par le catholicisme.
Nous n'avons pas de Montaigne, pas de Descartes, pas de Voltaire, rien que ces moines rimailleurs et ces aristocrates rimailleurs avec leur catholique faiblesse d'esprit.
Thomas Bernhard, Extinction, Gallimard
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.