Spectacle en russe surtitré.
Dans le cadre du Festival Le Standard idéal de la MC93.
« Seigneur Dieu ! La Cerisaie est à moi ! Je dois être saoul, je délire, est-ce un rêve ? Ne vous moquez pas ! Si mon père et mon grand-père pouvaient me voir ! Sortir de leurs cercueils et regarder leur Ermolaï, qu’ils rossaient, qui ne savait pas lire, qui courait pieds nus l'hiver, leur Ermolaï qui vient d’acheter le plus beau domaine du monde, où ses ancêtres n'étaient que des esclaves qui ne pouvaient même pas entrer dans la cuisine… » La Cerisaie, Acte III
Nous sommes en Russie en 1900 et tout vient de basculer. L’aristocratie n’a pas vu venir le XXe siècle. Les bourgeois, les marchands, si. Mais Tchekhov dit de sa pièce que c’est une comédie, où l’on va bien rire. Pourtant, le bonheur en est absent : dans l’antique datcha, rien ne marche comme prévu, tel un couple qui s’aime mais ne parvient pas à s’unir.
Quant à Lioubov Andréevna et à son frère Gaev, propriétaires pour quelques heures encore de la Cerisaie, ils n’ont pas vu l’heure passer dans cette comédie du bonheur qu’ils se jouent pour la valetaille, où « tout était si beau avant ». Il y a tout juste vingt ans, à l’Odéon, Lev Dodine avait donné une première version, en demi-teinte, de la dernière pièce de Tchekhov. Dans celle-là, je crois qu’il s’est lui-même projeté dans cette comédie farcesque et tragique. En laissant une grande liberté aux acteurs, il a montré comment deux siècles se télescopent, l’un, touché à mort partant à la dérive, l’autre, mettant le cap vers l’inconnu.
« Peu de répit joyeux. Sa lecture est noire, très noire. (...) La troupe (permanente) du Maly Drama Theatre est impressionnante. Elle se prête au défi dramatique que leur imposent Tchekhov/Dodine de toutes ses forces, comme si chaque acteur jouait sa vie sur scène. Jamais on n’avait vu un Lopakhine aussi puissant, dévastateur, violent... et en même temps douloureusement humain : Danil Kozlovski est un ouragan. » Philippe chevilley, Les Echos, 9 avril 2015
« Mais cette nouvelle Cerisaie, créée en 2014 (...) est une splendeur. Un spectacle de maître comme il est si bon d’en voir encore. (...) Et toute la mise en scène de Dodine, qui est sans doute son chef-d’œuvre, est un manifeste à la fois testamentaire et magnifique, tournant autour de cette métaphore de la maison comme foyer de valeurs communes et partagées – et menacées –, en une vision à la fois très personnelle de la pièce, et tchékhovissime. » Fabienne Darge, Le Monde, 6 avril 2015
L’ambition de cette programmation internationale est de faire découvrir au public le théâtre tel qu’il se fait « ailleurs ». Que demande-t-on au théâtre d’exprimer à Moscou ou Shanghai ? Quelle formation des acteurs ? A quoi s’attend-on à Naples ou à Berlin en entrant dans un théâtre ? Que l’objet soit classique ou contemporain, ils sont indissociables. La « modernité » ne renvoie à rien d’intelligible, coupée de son histoire. Quels que soient l’espace ou la forme, ce qu’il y a de commun à tous les théâtres, ce sont les acteurs. Car nous ne concevons pas le théâtre sans acteurs. Comment Lev Dodine sort Tchekhov des clichés décoratifs dans le passage conflictuel entre le XIXe et le XXe. Comment Toni Servillo puise dans la tradition napolitaine pour créer un théâtre d’aujourd’hui. Comment Wang Renjie, dramaturge du Liyuan de Chine, détourne les textes néo-confucianistes en fables sur le désir et comment la grande comédienne Zeng Jingping les interprète. Il y a toujours un moment où on s’arrête et où on regarde derrière soi. L’idée est de ne pas y découvrir une longue route déserte et poussiéreuse.
Patrick Sommier
106, rue Brancion 75015 Paris