Un humanisme militant
Vérité et mensonge, passé et présent, coexistent
Note de mise en scène
Une histoire sur les fantasmes engendrés par le désir et la frustration
"Alors que la télé-poubelle dévoile l’intimité des gens avec impudeur et vulgarité, que l’on découvre que le machisme fait encore des ravages dans les familles et les quartiers, il me semble urgent d’entendre sur ces sujets la voix de Mario Vargas Llosa. Romancier d’une grande inventivité formelle au service d’un humanisme militant, Mario Vargas Llosa excelle également au théâtre en donnant à sa pièce une construction très riche, une forme tout à fait originale. La narration glissant avec fluidité du présent au passé, du réel à l’imaginaire – mais peut-être cet imaginaire comprend-il sa part de vérité ? - , le spectateur est constamment sur le qui-vive, à bâtir sa propre interprétation des faits, à guetter sur le chemin les signes placés par l’auteur, et, finalement, à se raconter une histoire qui, en fonction de sa réflexion, de son intuition, de sa sensibilité, lui est propre".
Armand Eloi
Aux alentours de Piura, ville au nord du Pérou, la Chunga, une femme qui tient un petit bar à la clientèle pauvre et douteuse, voit entrer un jour Josefino, un des clients de l'endroit, avec sa dernière conquête : Meche, une petite femme potelée et bien séduisante. La Chunga s'en éprend instantanément. Joséfino, pour s'amuser avec ses amis - un groupe de désoeuvrés qui s'appellent eux-mêmes les indomptables - incite Meche à provoquer la Chunga. Au cours de la nuit, Josefino perd aux dés jusqu'au dernier centavo. Pour continuer à jouer, il loue Meche à la Chunga et les deux femmes passent le reste de la nuit ensemble, dans la chambre de la Chunga, contiguë au bar. Que s'est-il passé entre elles deux ? Car, après cette nuit, Meche a disparu et n'a plus jamais donné signe de vie. Au lever du rideau, bien du temps a passé après cet événement. A la même table du bar, jouant toujours aux dés, les indomptables essaient vainement d'arracher à la Chunga le secret de ce qui s'est passé. Comme ils n'y parviennent pas, ils l'inventent. Les images forgées par chacun des indomptables se matérialisent sur scène et sont, peut-être, en quelque sorte la fuyante vérité. Mais elles sont, surtout, les vérités secrètes qui nichent en chacun d'eux. Chez la Chunga, vérité et mensonge, passé et présent, coexistent, comme dans l'âme humaine.
"Il s'agit, simplement, de parvenir à un théâtre qui joue à fond la théâtralité, l'aptitude humaine à feindre, à se multiplier en situations et personnalités différentes de la sienne. Les personnages, dans les scènes où ils vivent leurs rêves, doivent se mimer, s'incarner eux-mêmes, se dédoubler comme se dédoublent les acteurs en montant sur les planches, ou comme se dédoublent mentalement les hommes et les femmes quand ils recourent à leur imagination pour enrichir leur existence et portent les masques illusoires que la vie réelle, dans sa pauvreté, leur interdit".
Mario Vargas Llosa
Mettre en scène La Chunga, c’est travailler sur le fil du rasoir entre réel et imaginaire, ne pas trahir l’auteur qui nous fait basculer de l’un à l’autre sans que l’on s’en rende compte. Ainsi les scènes « imaginées » ont-elles un statut particulier, et l’on ne sait jamais certainement la part de souvenir, de fantasme ou de rêve dont elles sont tissées. Il faut aussi que les moments les plus réalistes, particulièrement les parties de dé dans le bar, soient violents et incarnés, au moins comme dans la vie.
Pour servir cette oeuvre, je veux faire surgir les images fantasmées au milieu du réel, c’est-à-dire, scénographiquement, les faire surgir au milieu des tables du bar déserté par ses clients, avec une économie de moyens qui évoque plus qu’elle n’illustre, renforce le caractère fugace et irréel de ces scènes, et éveille l’imaginaire du spectateur.
Je veux aussi utiliser la musique, jouée en direct (bandonéon) lorsqu’elle fait remonter les souvenirs du passé, par un personnage énigmatique qui évoque celui décrit par Mario Vargas Llosa dans La Maison Verte.
Armand Eloi.
"J’ai écrit La Chunga parce que depuis la parution de mon deuxième roman La Maison verte ce personnage qui faisait une apparition furtive me poursuivait sans relâche comme s’il me reprochait de ne pas lui avoir donné plus d’importance, d’avoir négligé son rôle dans mon roman… jusqu’au jour où je compris enfin qu’il avait raison, et que l’histoire de La Chunga devait se raconter sur une scène de théâtre où ce personnage pourrait s’incarner avec toute la force qui le caractérise. Si je devais définir en une phrase le thème de La Chunga je dirais que c’est une histoire sur les fantasmes engendrés par le désir et la frustration.
Mais c’est aussi l’histoire d’une femme courageuse – La Chunga - qui choisit d’adopter un comportement masculin
pour dissimuler sa véritable nature et pouvoir survivre dans un monde machiste et cruel.
Je suis très heureux qu’Armand Eloi, qui fut le premier metteur en scène à s’intéresser à cette pièce, ait décidé de monter
cette nouvelle version plus riche en nuances et plus profonde en résonances, et que cette création se fasse sur la scène du
Théâtre 13, qui a su forcer le respect des professionnels et gagner la confiance des spectateurs en ayant une programmation
éclectique, créative et rigoureuse.
Armand Eloi, à Colette Nucci et à Albert Bensoussan, le traducteur et adaptateur de cette pièce, ainsi qu’à tous les fidèles
spectateurs du Théâtre 13, toute ma reconnaissance et mon amitié".
Mario Vargas Llosa, Washington – septembre 2006
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