Notes d’intentions
Un mot de Marivaux
Il y a, quand je pense à La Fausse Suivante, une petite formule entêtante qui me vient aussitôt à l’esprit : La Fausse Suivante, c’est tout le théâtre.
C’est, en quelque sorte, le comble, l’essence même du théâtre.
Or, comment expliquer ce petit refrain lancinant, si ce n’est en essayant de définir le mot « Théâtre », et là, vous voyez bien qu’une vie ne pourrait pas
suffire à définir jamais une chose aussi infinie, justement, que le Théâtre !
Racontons plutôt l’intrigue, et tentons de dire un peu, ce que nous avons voulu que soit la « représentation », c’est à dire la remise au présent de l’œuvre.
Il s’agit donc d’une jeune aristocrate, qui se « déguise » (ah, voilà déjà tout le théâtre…) en suivante, et aussi en homme, pour pouvoir observer à loisir, derrière le masque, le double masque qu’elle porte, le comportement et les agissements de Lélio, qui est le mari que sa famille lui destine.
Il s’agit donc d’un futur mari, caché sous le « masque » de l’homme honnête, qui, apprenant l’existence de la jeune fille - riche, très riche - dont il doit devenir l’époux, s’apprête à rompre avec une Comtesse dont il est l’amant.
Il s’agit donc d’une Comtesse, qui aurait pu se résoudre à épouser Lélio, qu’elle n’aime pourtant plus guère, mais dont le cœur bat désormais pour le jeune Chevalier, fougueux, charmant et terriblement féminin, qui n’est autre que notre Fausse Suivante…
Il s’agit aussi d’un ancien philosophe « métamorphosé » en valet qu’on appelle Trivelin, au service de la Fausse Suivante, indigent, retords, cultivé, prenant fort à propos parti soit pour les Anciens soit pour les Modernes (encore le théâtre… !), selon que son estomac sera plutôt rempli par les uns ou par les autres, par qui le double secret, du sexe et du statut social du Chevalier, circulera, se taira, se fragmentera au gré de l’intrigue extraordinairement mathématique conçue par Marivaux-le-Démiurge.
Il s’agit donc encore d’un valet, Arlequin, tout droit sorti de la Commedia del Arte, simple, rugueux, aimant l’argent, le vin, les femmes.
Voilà réunis les personnages principaux de l’histoire, qui est une histoire d’amour, une histoire d’amours, de secrets, de mensonges, de masques qu’on porte pour se leurrer soi-même, pour leurrer l’autre, pour ôter le masque de l’autre, pour entrer masqué dans « le vrai monde » et pouvoir ainsi entendre les hommes parler des femmes comme ils ne le font qu’entre eux, une histoire où l’on est puni d’avoir dit sur le théâtre ce qui, normalement, ne se dit qu’en dehors, une histoire où « le masque fait apparaître la nudité du cœur », une histoire de jeux de miroirs, croisés, opposés, dédoublés, à l’infini, une histoire de « bal masqué qui déguise les acteurs en personnages déguisés », une histoire, où, à force, les comédiens, les personnages, les spectateurs se demandent : Qui joue ? Et quand joue-t-on ? Et quand joue-t-on qu’on joue ? Et quand peut-on dire qu’on éprouve un sentiment, ou qu’on croit l’éprouver, ou qu’on cesse de l’éprouver, ou qu’on croit cesser de l’éprouver, ou qu’on cesse de croire qu’on l’éprouve ?
Et voilà la petite phrase lancinante, têtue, qui me revient encore :
La Fausse Suivante, c’est tout le théâtre.
La représentation rendra compte de ces possibles - l’intrigue et son dénouement
- et de ces impossibles - car, comment « faire tenir tout le théâtre dans une seule représentation » ?
Il est ici question de faire entendre la langue de Marivaux , car La Fausse Suivante n’est pas seulement une histoire drôle et cruelle, c’est aussi un très beau et très rigoureux poème.
Puisque l’inversion des sexes est originelle au théâtre, il est ici question d’une femme déguisée en chevalier, mais d’un chevalier terriblement féminin, oui, oui !
Car il existe au théâtre une convention inentamée : il est interdit - impossible
- à chacun de soupçonner la femme déguisée de n’être pas un homme.
Interdit à chacun des autres personnages, mais pas au spectateur, bien sûr, qui lui peut voir, lever un coin du voile, rêver…
Faire confiance à cette convention, c’est aussi pouvoir exposer sur la scène le miroir troublant et infini du sexe des anges…
Il est ici question de l’époque où la pièce a été écrite (1724), et du temps dont elle parle - cette portion du 18ème siècle. Nos « masques » sont donc en costumes « d’époque » . Car, pour révolutionnaire que soit le propos de Marivaux, il l’est dans le cadre de l’époque où l’œuvre a vu le jour. Rendre compte de cette époque, par les costumes, c’est encore faire confiance à la pièce.
Mais il est aussi question de la nôtre, d’époque, puisque c’est nous qui re-présentons La Fausse Suivante, aujourd’hui. La musique, les sons, mais aussi le décor, surréalisant, quelque part entre Cour et Jardin, parlent de cet aujourd’hui.
Il est ici question de chanter, aussi.
De chanter, oui, puisque le premier et le dernier acte de la pièce sont ponctués par des chansons, qui racontent à elles seules, avec tant d’énergie, d’humour, de charme et de cruauté, l’Histoire de notre Fausse Suivante, qu’il m’a tout simplement paru impensable, inconcevable de les balayer d’un revers de main, comme le font souvent les nouveaux gardiens (d’ailleurs auto proclamés) d’une assez récente Tradition qui consiste à considérer comme menu fretin
- et donc à gommer, purement et simplement - les intermèdes chantés des pièces « classiques ».
Il est ici question de rire, bien sûr, puisqu’on sait que Marivaux, même dans ses pièces les plus noires, n’a jamais voulu priver le spectateur de l’Energie Comique, qui est aussi un des fondements de son œuvre théâtrale.
Il est ici question de rire et de pleurer, et de se battre, et de plaire, et de s’aimer, parce qu’au théâtre il est toujours question de rires, de larmes, de duels et d’amour…
Il est ici question de jouer, voilà.
Et ceux là, (Saudinos, Zabor, Delbrice…) en fait de « joueurs » ne sont pas des moindres.
Véronique Vella
Sociétaire de la Comédie Française
Oui ! Je préférerais toutes les idées fortuites que le hasard nous donne à celles que la recherche la plus ingénieuse pourrait nous fournir dans le travail.
Enfin, c’est ainsi que je pense, et j’ai toujours agi conséquemment, je suis né de manière que tout me devient une matière de réflexion ; c’est comme une philosophie de tempérament que j’ai reçue, et que le moindre objet met en exercice.
Je ne destine aucun caractère à mes idées ; c’est le hasard qui leur donne le ton ; de là vient qu’une bagatelle me jette quelquefois dans le sérieux, pendant que l’objet le plus grave me fait rire ; et quand j’examine, après, le parti que mon imagination a pris, je vois souvent qu’elle ne s’est point trompée.
Quoiqu’il en soit, je souhaite que mes réflexions puissent être utiles. Peut-être le seront-elles ; et ce n’est que dans cette vue que je les donne, et non pour éprouver si l’on me trouvera de l’esprit. Si j’en ai, je crois en vérité que personne ne le sait, car je n’ai jamais pris la peine de soutenir une conversation, ni de défendre mes opinions, et cela par une paresse insurmontable.
D’ailleurs, mon âge avancé, mes voyages, la longue habitude de ne vivre que pour voir et pour entendre, et l’expérience que j’ai acquise, ont émoussé mon amour-propre sur mille petits plaisirs de vanité, qui peuvent amuser les autres hommes ; de sorte que si mes amis venaient me dire que je passe pour un bel esprit, je ne sens pas en vérité que j’en fusse plus content de moi-même ; mais si je voyais que quelqu’un eût fait quelque profit en lisant mes réflexions, se fût corrigé d’un défaut, oh ! cela me toucherait, et ce plaisir-là serait encore de ma compétence.
Au reste, on ne doit s’attendre dans mes réflexions qu’à des discours généraux. Il ne m’est jamais venu à l’esprit ni rien de malin ni rien de trop libre. Je hais tout ce qui s’écarte des bonnes mœurs. Je suis né le plus humain de tous les hommes et ce caractère a toujours présidé sur toutes mes idées.
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux
Le Spectateur Français - Première feuille - 29 mai 1721
Moyen
Pour 1 Notes
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