Ayant vécu jusqu’à ce jour dans le déni de son passé, Isabel, une espagnole immigrée en France, retourne au pays dans les années 80 pour vendre la maison de son enfance. A cette occasion, elle rencontre son chanteur préféré, Antonio, qui la pousse à faire face à la vérité.
Dans cette création originale, l’art théâtral s’allie à la musique, la danse, et la vidéo pour nous plonger dans un univers flamboyant, haut en couleurs et mélodramatique à la croisée d’Almodovar et de Douglas Sirk.
Après un conte psychanalytique sur le sens de la famille avec Epouse-moi ! , une étude sur la discrimination avec Les Indifférents, une incursion dans l’univers de l’auteur Jules Renard avec Poil de carotte et une satyre de la société du spectacle avec Comédien(ne)s, Eric [Szerman] et moi avions envie de réfléchir à l’impact de la grande Histoire sur l’intime. C’était une idée qui nous trottait dans la tête depuis quelques années, lorsque nous nous sommes retrouvés en Espagne, à Xativa, au moment où ma grand-mère maternelle vendait sa maison et se séparait ainsi de son port d’attache dans son pays d’origine. Les récits qu’elle nous a faits là-bas, entre confessions et souvenirs, nous ont profondément marqué et il me semblait important de raconter son histoire, cette histoire qui est aussi la mienne.
Mon histoire familiale, liée au Franquisme et à l’exil, a toujours été pour moi quelque peu énigmatique et je n’en connais au fond que des bribes : un arrière-grand-père, le père de ma grand-mère, vendeur d’Agualimòn mort fusillé sous Franco, une grand-tante « adoptée » par son parrain pour la survie de la famille et qui n’a pas pu revoir sa sœur pendant je ne sais combien d’années, une grand-mère qui a dû partir vivre en France avec son mari et ses enfants mais qui n’a jamais réussi à bien parler le français. C’est cette histoire-là que je voulais raconter ; non pas la vérité des faits, mais un ressenti tel que j’imagine que l’a vécu ma grand-mère, ou tel qu’elle le raconte, sa vérité, avec l’admiration qu’elle voue à son père, le mysticisme dont elle fait preuve, la tendance qu'elle a à n'entendre que ce qui l'arrange.
Seulement, il ne s’agissait pas d’en faire un témoignage, mais bien une pièce de théâtre teintée d’humour. Ainsi s’est imposé, face à elle, le personnage totalement fictionnel d’Antonio, chanteur de charme devenu symbole républicain et emprisonné pendant quarante ans. Et le monologue s’est fait dialogue, où tous deux s’apprivoisent l’un l’autre, avec désormais la possibilité d’évoquer la barrière des langues sans être trop didactique, ajoutant ainsi de la musique, du chant et de la danse, permettant paradoxalement de mieux appréhender, en étant deux, la solitude de cette femme et ses fantômes. Antonio questionne les récits d’Isabel, la remet en cause, l’aide, à la fois double de l’auteur et double d’elle-même, figure paternelle et Républicain condamné.
De tout ça est né La Française, un hommage aux exilés espagnols à travers ces deux figures emblématiques malgré elles. Et un hommage à ma grand-mère, toujours vivante mais que je n’ai pas voulu interroger davantage, souhaitant m’inspirer des quelques moments de vie que je connaissais pour reconstruire une certaine vérité à l’aune de mon propre fantasme. A tel point que je ne sais plus très bien maintenant ce qui est de l’ordre du réel dans cette histoire. Peut-être même que tout est faux. Mais peu importe. Je suis un des petits-enfants dont Isabel parle dans la pièce, un « bon petit Français, presque pur-souche » qui ne parle pas vraiment espagnol et qui tente de recoller les morceaux d’une histoire qui m’échappe mais dont je suis le dépositaire… pour celle que j’appelle « l’abuelita ».
Camille TurlotMettre en scène La Française est un défi : défi de l’Espagne en France, défi de l’intime dans l’espace public, défi de faire jaillir la vie dans les codes de la théâtralité et de la dramaturgie. Pour atteindre au but, tous les moyens sont bons : un code de jeu spécifique, de la musique, des chorégraphies, des projections vidéos, une sonorisation d’ambiance, le tout pour stimuler nos sens et donner à cette expérience au départ intellectuelle un corps, une chair, une sensualité, un son, sans cliché ni exotisme.
Code de jeu
La Française, c'est tout d'abord une certaine idée de l'Espagne des années 80, et ce qu'elle évoque dans l'inconscient collectif français : sa lumière, sa chaleur, ses couleurs, sa vie, sa violence, héritée de la guerre civile, et surtout ses contrastes. En quelques années seulement, nous sommes passés de l’Espagne de Franco à celle de la Movida, de la musique traditionnelle au Punk, de la frustration à l’excès, de la répression à la liberté sans limite. C’est cette culture quasi schizophrène que présente la pièce, à travers l'histoire d'une confrontation sans concession entre deux camps et deux personnages : Antonio et Isabel, tour à tour matador et taureau, sanguins et excessifs, dans une corrida dont le but ne serait pas la mort mais bien au contraire la possibilité d'une renaissance, d'une autre vie pour la Française.
Et en Espagne, lorsqu'on se confronte verbalement, à la manière d’un Almodovar, on utilise toutes les armes à sa disposition : de la séduction à la tendresse, de la mauvaise foi aux pleurs, avec force et humour, avec excès parfois et coup de sang, souvent ; avec théâtralité tout simplement.
La musique originale
Camille Turlot a fait d'Antonio un chanteur, écho au père d'Isabel qui lui aussi chantait pour attirer le chaland. Les chansons ont donc naturellement une place importante dans la pièce. Hommage à Manuel de Falla, aux chants traditionnels et républicains espagnols, au jazz des années 30 mais aussi à la zarzuela, la musique permet d'apporter des pauses de légèreté et de connivence entre les personnages, des moments d'harmonie, de trêve dans la confrontation entre Isabel et Antonio. D'un point de vue narratif, elles nous permettent de voyager dans le temps et servent ainsi de madeleines de Proust, de capsules temporelles.
La chorégraphie
Traversant les époques, inspirée par le Flamenco, les danses de salon des années 30 et 50, ou qu'elle permette simplement de présenter une gestuelle ibérique spécifique, la chorégraphie est par essence le langage des corps, des corps poussés à leur limite. Les corps dansants et chorégraphiés expriment ainsi l’indicible, par les seuls mots, de l’inconscient, de toute une histoire, de toute une culture, exacerbant les rapports entre les personnages.
La scénographie et les costumes
De la même manière, la scénographie est un patchwork d'objets datant des années 30 au début des années 80, de l'avant Franco à la Movida. Ils évoquent aussi bien la nostalgie d’un temps révolu que le kitsch d’un temps heureusement révolu. Tous les objets qui entourent les protagonistes évoquent, avec stylisation, une époque, une histoire, qu’ils soient un chariot de vendeur de rue, un phonographe, un vieux magnétophone, un carton de déménagement ou un paravent à persiennes. Les costumes suivent le même principe esthétique en mélangeant un boléro datant de la première production de Carmen en 1880, une chemise à jabot, une ceinture traditionnelle des ferias catalanes, une robe vintage ou une blouse intemporelle.
La vidéo
Loin d’être un simple « habillement » scénographique supplémentaire, sans s’empêcher de l’être quelques fois, la vidéo, projetée principalement sur le paravent est une fenêtre ouverte sur l'esprit des personnages. Les images qui y apparaissent ont plusieurs fonctions : tantôt, elles servent de caméras subjectives où l'on voit concrètement ce que l'un des personnages est censé voir, tantôt elles soulignent un détail déjà présent, à la manière d’un gros plan (d’une main en mouvement ou d’un œil). Tantôt elles font apparaître les pensées des personnages, de manière réaliste ou symbolique ou créent des ambiances.
Le son
Intégrée au décor, la sonorisation n’est pas une sonorisation de façade, parvenant aux spectateurs d’abord, hors du plateau. Elle est la voix de personnages qu’on ne voit pas mais qu’on entend, ajoutant ainsi à la sensation de solitude d’Isabel et à l’aspect fantastique de l'histoire. Elle pose l’ambiance d’une rue ou d’un marché, évoque le son si particulier d’un disque vinyle ou d’une cassette audio.
Ainsi La Française est un mélange haut en couleurs de cultures, d'influences, d’époques, de langues française et espagnole, d'art théâtral, musical, pictural et digital. Je laisserai ainsi le mot final à Antonio s’adressant à Isabelle « mais tout ça, cet immense désordre, c’est toi, c’est ta vie ». C’est un peu la nôtre aussi.
Eric Szerman
Belle interprétation. La présence d'un écran comme troisième acteur, c'est plutôt bien vu ! Récit intéressant même si la fin traine un peu pour révéler pourquoi le père est mort. Je conseille.
Pour 1 Notes
Belle interprétation. La présence d'un écran comme troisième acteur, c'est plutôt bien vu ! Récit intéressant même si la fin traine un peu pour révéler pourquoi le père est mort. Je conseille.
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