La Musica, deuxième

du 7 janvier au 8 février 2004

La Musica, deuxième

« Ce sont des gens qui se sont aimés et qui se sont séparés. Ils ont fait comme tout le monde, ils se sont mariés, ils se sont installés et puis voilà, ils ont été arrachés l’un à l’autre par les forces mauvaises de la passion. Ils ne savent pas encore qu’ils ont été « eus ». Ils sont à Evreux pour le dernier acte de leur séparation, celui du divorce. » Marguerite Duras

Résumé
Viens dans la lumière

La nuit de l'ultime dialogue

Une transgression des règles amoureuses

Une mise en lumière

Elle, Anne Marie Roche

Lui, Michel Nollet

« Ce sont des gens qui se sont aimés et qui se sont séparés. Ils ont fait comme tout le monde, ils se sont mariés, ils se sont installés et puis voilà, ils ont été arrachés l’un à l’autre par les forces mauvaises de la passion. Ils ne savent pas encore qu’ils ont été « eus ».

Ils sont à Evreux pour le dernier acte de leur séparation, celui du divorce. Ils ne savent toujours pas ce qui leur est arrivé. Ils sont venus chacun de leur côté pour se revoir une dernière fois, mais cela, sans presque le vouloir ».

Marguerite Duras

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La nuit de l'ultime dialogue

La Musica se joue une nuit. Dialogue nocturne qui met en présence deux amants dans l'Hôtel de France à Evreux, hôtel qui fut l'éden de leur rencontre.
Puis ils sont devenus bourgeoisement mari et femme dans une maison construite par lui - il est, entre autres, architecte - et ça n'a plus du tout marché entre eux. Dans cet hôtel, l'espace de l'amour fou, ils se retrouvent après le jugement du divorce, acte nécessaire qui les réunit une dernière fois ; ils sont là à attendre tous les deux de repartir pour Paris.

L'espace-temps de la Musica est à la fois concret, la nuit de l'ultime dialogue, et infini, la nuit des souvenirs et des interrogations sur cet amour si réel et en même temps impossible. Le théâtre de Duras lie naturellement le concret, le réel prosaïque, et l'infini du sentiment et du sensible. En mettant en scène et en interprétant Le Square, il y a trois ans, j'avais tenté de dégager déjà le principe et les éléments de ce théâtre poétique.

Une transgression des règles amoureuses

« Ce qui me passionne c'est ce que les gens pourraient dire s'ils avaient les moyens de le dire et non ce qu'ils disent quand ils en ont tous les moyens. Il ne s'agit pas d'une étude parce que je ne vois pas sur quoi elle serait fondée. Il s'agit d'un travail. Le reproche qu'on me fait d'être abstraite et de fabriquer des dialogues vient de là, précisément. Le réalisme ne m'intéresse en rien. Il a été cerné de tous les côtés. C'est terminé ». Marguerite Duras

Car c'est à mon sens d'un point de vue poétique qu'on peut espérer rendre tous les aspects de cette oeuvre : émotionnel, sensible, psychologique et métaphysique dont joue Duras pour traduire le choc du mystère féminin et du mystère masculin, l'enjeu de la Musica. C'est peut-être d'avoir voulu aller voir dans le mystère de l'autre que réside l'échec de cet amour. La Musica se lit alors comme une transgression des règles amoureuses et l'échec tragique de cette transgression. Car ils s'aiment et ne peuvent plus être réunis. Duras dit : "ils ont été eus".

Ce face à face figé, état quasi pétrifié de l'amour, l'extrême tension des deux êtres et la longue anamnèse à laquelle ils se livrent encore, ces méandres et ces entrelacs de souvenirs, sont les deux mouvements très distincts sur lesquels se rythme et vit la Musica.

C'est selon ces mouvements que se distribuent toute la passion, la tendresse, la cruauté, la jalousie, la souffrance, la révolte au long de la pièce. Tout est dans ces deux mouvements et dans ces rythmes. Mouvement et rythme sont la base de tout art poétique, ce que Duras met en oeuvre, ici, dans la Musica.

Une mise en lumière

La parole, les mots, sont une mise en lumière de ce que l'autre a tu, caché. C'est une entrée dans l'intime le plus reculé, la traque du secret enfoui, la révélation de ce qu'il ne veut pas dévoiler. La lumière serait ici comme dans la tragédie classique ce qui révèle l'être dans toute sa vérité et le condamne par la même à disparaître. "L'ombre se transperce de lumière, résiste et s'abandonne... Le soleil fait un extérieur, pur, net, dépeuplé ; la vie est dans l'ombre, qui est à la fois repos ; secret, échange et faute" (Roland Barthes, sur Racine). Cette opposition de l'ombre et de la lumière est incarnée, au sens propre, par Anne Marie Roche qui ne veut pas vivre dans le Midi (Lui : "C'est comme si vous aviez dit : ce n'est pas que je n'aime pas la lumière, c'est que je ne peux pas y vivre").

La lumière, si impérative pour la connaissance et la reconnaissance de l'autre est signe de fin, marque de la mort. Rappelons-nous que le dernier acte sur lequel finit la Musica est le lever du jour.

Ce jeu de l'ombre et de la lumière devient source d'angoisse quant à la réalité même du souvenir et du passé lui-même :
- lui : Certains moments paraissent mieux éclairés que d'autres... mais je crois que ce qui est derrière ces moments-là fait aussi partie de la mémoire.
- elle : Et il y a des moments qui sont en pleine lumière.

Monde poétique donc, dont l'analogon serait le rêve qui correspond d'ailleurs si bien au temps de la nuit. Le rêve qui est espace de transgressions, de révélations impromptues, faites par accident, de désirs inavoués qui s'imposent avec évidence, jeu d'ombres apaisantes et angoissantes à la fois et de lumière dévastatrice et mortelle.

Elle rentre dans son rêve à lui ou elle l'accueille dans son rêve à elle, peu importe puisque dans leur désir de transgression, ils ont pénétré jusque dans l'inconscient de l'autre.

Luc Martin Meyer

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Trente-cinq ans ou davantage. D'une élégance très sûre, discrète, presque austère, mais comme involontaire. Elle devrait donner à penser que cette élégance lui est coutumière, qu'elle est habillée de cette façon-là tous les jours.

Elle est d'une force qui ne se voit pas tout d'abord. Ce n'est pas qu'elle cache son jeu, non. C'est qu'elle est elle-même cachée à elle-même par une éducation exemplaire maintenant disparue.

De nos jours, il reste des femmes ainsi parées de cette éducation qu'elles n'ont pas reçue, mais qui a été donnée de mères en filles jusqu'à elles. Il s'agit pour le principal d'un savoir sur l'homme mais qu'elles devraient ignorer, et qui devrait être entretenu caché à l'homme. D'un jésuitisme en quelque sorte, à la fois ignorant et dangereux, qui entoure ces femmes comme le ferait une zone de silence.

Elle a survécu à l'histoire, deux ans après le départ d'Evreux, elle est encore là. Discrète jusque devant lui, n'ayant rien perdu de l'éducation exemplaire, pudique jusque devant lui son amant. Rien n'est montré comme on lui a appris, mais tout est là, dans la myriade des petits éclats irradiants de la défaite irréversible de sa vie. Tout se voit.

A travers des riens presque insaisissables, un geste de la main, une façon de s'accouder, de se lever, de s'asseoir, de se relever, des façons de faire jamais pareilles, de crier à travers les mots plutôt qu'à travers la voix, de se perdre dans l'émotion, de faire croire qu'on en revient, de faire croire que peut-être on se trompe. De toujours faire croire qu'on est prisonnière d'une règle qui vous porte à chaque instant vers l'inconnu. Et qu'à la seconde même où vous alliez mourir de ne pas savoir quoi, cet inconnu s'éclairait.

M.D.

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Trente cinq ans ou davantage. Le premier jour, dans la nouvelle maison, lorsqu'ils se sont mariés, il a parlé de partir. Et puis tous les jours ensuite, il a parlé de ça, partir.

Un jour il a voulu tuer, tuer elle, son amour. Il fait peur comme la foudre la vérité la passion tandis qu'on l'aime comme son enfant, son frère, son amant. Il est très beau, d'une beauté qu'il doit à la fois ignorer et bien connaître - de la façon dont il connaîtrait une arme ou son histoire. Ce n'est pas un homme difficile à connaître, c'est un homme qu'on ne peut pas connaître.

Derrière lui une chaîne d'homme à la peau sombre. Ça doit venir d'Alexandrie ça ou de Babylone, des bords du Tibériade, ça doit venir de par là-bas. C'est Michel Nollet : nom parisien qui remplace le nom oublié. Michel Nollet, il pourrait être comédien quand ça lui chante, immense, bouleversant. Quand ça ne lui chante pas, Dieu sait ce qu'il fait, dans les rues à regarder. On ne sait rien.

Voici ce qu'on sait : il pourrait être un comédien ; il pourrait être un architecte. Il pourrait être un écrivain. Il pourrait être un juif. Ce sont des choses possibles. Il ne pourrait pas ne pas être ce qu'il est dans la Musica, c'est-à-dire celui qu'elle connaît, ce mort-vivant parce qu'elle va disparaître de sa vie.

Il veut elle, Anne Marie Roche. Si le monde dans son entier ne lui est pas donné par elle, il le jette, il le donne aux chiens. Il n'a que faire du bonheur, de l'argent, de l'amour, des femmes, des morales, des philosophies.

Il veut seulement ça, elle, elle qui sait pour eux deux, comme l'homme de Lahore le sait pour l'autre, A.M.S. : qu'ils peuvent, eux, se passer de l'histoire d'amour.

M.D.

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Spectacle terminé depuis le dimanche 8 février 2004

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