Présentation
La Raison du chœur
Blanc et noir
Repères chronologiques
Didier Bezace retrouve une partie de l'équipe de comédiens et de comédiennes qui l'ont accompagné depuis la création de la trilogie Brecht/Bove/Tabucchi en 1996-1997 et auxquels viendront se joindre Christian Bouillette, Sylvie Debrun et Donatien Guillot pour présenter en alternance deux spectacles. Rêves et cauchemars.
Le rêve d'Eléna Serguéiévna, professeur esseulée, c'est d'accueillir un soir d'examen quatre de ses élèves venus lui souhaiter un bon anniversaire. Son cauchemar, c'est de voir s'effondrer au cours de cette soirée festive et jusqu'au petit matin, les valeurs morales et politiques qu'elle s'est efforcée de servir et d'inculquer durant toute sa vie.
Le rêve des bourgeois de La Noce c'est de partager avec nous leur naïve et drolatique insouciance, l'inanité cruelle de leur bavardage et l'abondance de la table autour de laquelle ils se sont rassemblés ; leur cauchemar, dix ans plus tard, c'est de comparaître à cette même table déserte, pâles et fatigués, assourdis par le discours hystérique de celui pour lequel ils ont voté.
L'Allemagne des années noires, la Russie de 1980 : deux époques, deux histoires où la nôtre, par bribes, se reflète. Nous fîmes le 21 avril 2002 un cauchemar qui, pour s'être dissipé quelques jours plus tard, n'en laisse pas moins un goût amer. Et dans nos écoles, chaque jour, des certitudes morales s'effondrent. Pourquoi notre théâtre ne s'en ferait-il pas directement l'écho ?
Didier Bezace
Juin 2002
A l'intérieur du petit théâtre domestique qui les abritent, les bourgeois de La Noce chantent, dansent et rigolent. Ils partagent avec nous sans pudeur, "à la bonne franquette" pour ainsi dire, leur insouciance, leur naïve bêtise et leur aveuglement. C'est un chœur de citoyens ordinaires, ni pires, ni meilleurs que les citoyens ordinaires que nous sommes parfois nous-mêmes, réunis autour d'une table abondamment garnie, par la même absence d'inquiétude, de clairvoyance, par la même certitude que l'Histoire ne leur fera aucun mal et qu'il est inutile de s'en occuper.
Tous les mots sont permis : la parole est facile, inconséquente, c'est un bavardage que rien, à part l'effondrement comique du mobilier, ne semble devoir sanctionner. Et pourtant, le pire est à venir, nous sommes en Allemagne dans les années 25, déjà des mots lourds de conséquences ont été prononcés, entendus, ils tracent les chemins du malheur.
Dix ans plus tard, sous le discours hystérique de celui pour lequel ils ont voté, ils comparaissent à nouveau devant nous, pâles, fatigués, encore serrés les uns contre les autres mais devant une table vide où la disette a remplacé l'abondance et où chaque mot désormais pourra être retenu contre eux, ils ont peur comme nous parfois...
Ces deux textes de Brecht, célèbres l'un et l'autre, mais rarement associés l'un à l'autre, nous les avons abordés en privilégiant d'abord l'écho qu'ils se renvoient quand une même famille de personnages les traverse. Nous avons cherché tout au long de notre travail à ce que les individus se fondent dans une même conscience (ou inconscience) collective, afin qu'émerge, face aux contradictions monstrueuses de l'Histoire telles que nous pouvons les percevoir maintenant une figure moderne du chœur, tragique et comique à la fois. Nous avons privilégié l'inquiétude, l'ironie et la critique en pensant qu'elles étaient encore, malgré l'air du temps, les vertus d'un théâtre populaire.
Didier Bezace
En 1919, Brecht écrit cinq pièces en un acte, dont La Noce, qui deviendra plus tard, sous son titre définitif, La Noce chez les petits bourgeois. Comme en France depuis sa traduction en 1963, la pièce sera constamment jouée. On a coutume d'y lire un féroce réquisitoire contre la nature humaine petite bourgeoise : neuf personnages célèbrent la noce de deux d'entre eux, jusqu'à épuisement du mobilier.
De 1935 à 1938, Brecht réunit sous le titre Allemagne, Conte noir, une trentaine de scènes où l'on peut voir la peur et la misère qui affectent toutes les couches de la société allemande sous le nazisme triomphant, et qui deviendra sous son titre définitif en 1945, Grand'peur et misère du IIIe Reich.
Comment est-on passé du blanc de La Noce au noir de la Grand'peur ? Brecht a eu des mots très durs pour la petite bourgeoisie allemande : les artisans, boutiquiers, petits fonctionnaires… mais au-delà des classifications sociologiques, ne sommes nous pas plus que "petits" bourgeois devant l'Histoire ?
Après l'ivresse des banquets, ils ont choisi d'affronter ensemble, devant nous, la nuit d'une noce qu'ils ont scellés par leur vote. Ils nous regardent en chœur, nous, le public de leurs "exploits" d'il y a cinquante ans, et semblent dire que ce n'était pas facile ! Dans leurs regards, on devine l'insouciance d'autrefois et la cruelle inconscience d'hier.
A l'instar des masques qui hantent les frontons du Théâtre moderne, la comédie grimace, la tragédie sourit. Ne faut-il pas voir dans cette inversion, l'un des éléments esthétiques de notre modernité ?
Laurent Caillon
1918 Armistice de la 1ère Guerre mondiale.
1923 Putsch raté d'Hitler à Munich, rédaction de Mein Kampf en prison.
1926 Création de La Noce le 11 septembre à Francfort-sur-le-Main.
1929 Krach boursier à Wall Street, origine de la dépression économique qui submerge l'Europe.
1932 Début de la dictature Salazariste au Portugal.
1933 Hitler est officiellement nommé chancelier du Reich après la victoire du parti nazi aux élections de juillet 1932.
1935-38 Rédaction de Grand'peur et misère du IIIe Reich.
1936 La gauche au pouvoir en France (Front populaire). Début de la guerre d'Espagne, Hitler soutient Franco contre le légalisme républicain.
1938 Annexion de l'Autriche par l'Allemagne. Représentation de Grand'peur et misère du IIIe Reich en allemand, à Paris, sous le titre 99%.
1939 Déclaration de guerre contre l'Allemagne.
1940 Victoire allemande dans la "campagne de France". Signature de l'armistice par Pétain.
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Navette retour : le Théâtre de la Commune met à votre disposition une navette retour gratuite du mardi au samedi - dans la limite des places disponibles. Elle dessert les stations Porte de la Villette, Stalingrad, Gare de l'Est et Châtelet.