La Question

du 8 mars au 7 avril 2007
1H30

La Question

Un texte bombe d’une actualité évidente, qui dénonce la torture et affirme le combat de son auteur pour l"humanité et la fraternité.

Etude de la barbarie
Impact de la pièce à sa publication
Passeurs de réalité
Interview d'Henri Alleg
Contexte

  • Etude de la barbarie

Soumis à des saisies et à la censure, devenu l’une des bêtes noires de la colonisation, le journal Alger Républicain est interdit en 1955, alors que l’insurrection vient d’éclater. Son directeur Henri Alleg entre dans la clandestinité, écrit des articles qu’il fait publier anonymement en France, notamment dans L ’Humanité. Arrêté en juin 1957, il entend l’un de ses tortionnaires lui dire :"Salaud, tu as écrit des articles sur la torture, eh bien maintenant, c’est la 10e DP qui va la pratiquer sur toi."

Usage systématique, la torture est exercée par les gendarmes ou les policiers sur les prisonniers. "Nous étions engagés dans cette bataille à mort. On pouvait très bien laisser sa vie dans cet engagement", confiait Henri Alleg à René Zahnd, à l’occasion de la création de La Question au Théâtre Vidy –Lausanne.

"On m’a suspendu par les pieds et passé des torches enflammées sur le corps, on m’a plongé la tête dans l’eau, on m’a imposé des séances d’électricité…" Un aide de camp du général Massu l’incite à se suicider. Alleg résiste. Il finit par quitter le camp,"résidence surveillée" et lieu des tortures. En prison, il fait passer chaque jour à son avocat des carrés de papier dissimulés dans ses pantoufles ou ses sous-vêtements.

Quatre pages quotidiennes, pliées, où il décrit l’ordinaire du camp, raconte la barbarie des hommes. Transmis à sa femme Gilberte, le texte devient La Question. Dès lors, face aux oppresseurs et aux tortionnaires qui sévissent encore, l’auteur n’aura cessé de poursuivre ce qu’il nomme sa "bataille pour l’humanité, pour la fraternité, contre toutes les entorses aux droits des hommes".

Complices de théâtre depuis plus de vingt ans, Jean-Pierre Bodin, interprète, et François Chattot, metteur en scène et scénographe, s’emparent du témoignage d’Alleg, texte bombe d’une actualité évidente.

Pierre Notte

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  • Impact de la pièce à sa publication

La première édition de La Question, d’Henri Alleg, fut achevée d’imprimer le 12 février 1958. Des journaux qui avaient signalé l’importance du texte furent saisis. Quatre semaines plus tard, le jeudi 27 mars 1958 dans l’après midi, les hommes du commissaire divisionnaire Mathieu, agissant sur commission rogatoire du Commandant Giraud, juge d’instruction auprès du tribunal des forces armées de Paris, saisirent une partie de la septième édition de La Question.

Le récit d’Alleg a été perçu aussitôt comme emblématique de ce refus par la brièveté même, son style nu, sa sécheresse de procès verbal qui dénonçait nommément ses tortionnaires sous des initiales qui ne trompaient personne. Sa tension interne de cri maîtrisé a rendu celui-ci d’autant plus insupportable : l’horreur était dite sur le ton des classiques. La Question fut un météorite dont l’impact fit tressaillir des consciences bien au-delà des "chers professeurs", des intellectuels et des militants. A l’instar de "J’accuse", ce livre minuscule a cheminé longtemps.

Jean-Pierre Rioux
"La Torture au cœur de la République", Le Monde, 26-27 avril 1998

Avant l’adaptation au théâtre, il y a eu une adaptation au cinéma : La Question, un film de Laurent Heynemann, avec Jacques Denis, Nicole Garcia, Christian Rist, Jean Benguigui, jean-Pierre Sentier et Roland Blanche, 1977, durée 112 min.

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  • Passeurs de réalité

"C’est aux "disparus" et à ceux qui, sûrs de leur cause, attendent sans frayeur la mort, à tous ceux qui ont connu les bourreaux et ne les ont pas craints, à tous ceux qui, face à la haine et la torture, répondent par la certitude de la paix prochaine et de l’amitié entre nos deux peuples qu’il faut que l’on pense en lisant mon récit, car il pourrait être celui de chacun d’eux." Henri Alleg

Juin 1957 : je viens de naître…
Juin 1957 : Henri Alleg est torturé en Algérie par les paras de la 10e DP…

Nous sommes en 2004, cette association de dates me traverse l’esprit au moment même où je découvre Henri Alleg dans un film de Jean-Pierre Lledo, Un rêve algérien, documentaire sur le retour d’Henri Alleg, 40 ans plus tard, sur ses lieux de résistance et de torture…

La quiétude d’une naissance, pendant que d’autres, comme lui, cherchent, luttent pour construire "ensemble" et cela depuis des millénaires…

Sujet récurrent que j’ai souvent abordé avec François Chattot dans mon travail et avec ma femme Alexandrine Brisson. Cette dernière a réalisé un court-métrage intitulé: C’était pas la guerre (Regard d’une petite fille de six ans sur les derniers jours précédant l’indépendance de l’Algérie). Suite à la projection de son court-métrage en première partie d’Un rêve algérien, elle se retrouve à débattre en public avec Henri Alleg…

Tout s’enchaîne, l’humanité déborde sans dégouliner, l’homme me bouleverse, je découvre La Question, et là je suis immédiatement traversé, transpercé par l’écriture et au même instant, par l’envie de transmettre, de passer ce texte au théâtre.

Pourquoi ? Une écriture simple, une description quasiment légiste… journalistique… distanciée, qui nous touche d’effroi!

Soyons des passeurs de réalité, il faut donner à écouter simplement ce texte, tellement d’actualité…

Henri Alleg nous dit ceci : "Dans cette immense prison surpeuplée, dont chaque cellule abrite une souffrance, parler de soi est comme une indécence… Mon affaire est exceptionnelle par le retentissement qu’elle a eu. Elle n’est en rien unique… J’ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleur et tant d’humiliation que je n’oserais plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplice si je ne savais que cela peut-être utile…"

Jean-Pierre Bodin

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  • Interview d'Henri Alleg

L’auteur de La Question répond aux questions de Lucien Degoy pour L’Humanité, 26 novembre 2001.

Vous allez témoigner au procès du général Aussaresses. Dans quel état d’esprit ?

Celui de quelqu’un qui apprécie qu’un tortionnaire soit traduit devant la justice. Bien sûr, la raison de sa comparution est loin du compte, on aurait préféré qu’Aussaresses soit jugé pour ses crimes, pour son comportement durant la guerre coloniale. Mais que la justice s’en mêle est bien venu. Je souhaite qu’il soit condamné, car s’il ne l’était pas, cela signifierait que non seulement on peut commettre tant d’atrocités mais qu’on peut s’en vanter en toute impunité.

Vous considérez-vous comme une sorte de porte-parole des victimes de ces exactions ?

C’est un bien grand mot. Les victimes furent très nombreuses - qu’elles soient mortes aujourd’hui ou qu’elles aient survécu -, on sait bien ce qu’elles ont subi. C’est donc surtout à la jeunesse que je pense, aux familles des victimes : en voyant des crimes condamnés peut-être auront-elles enfin le sentiment que la souffrance de leurs parents n’a pas été vaine, que la société lui rend hommage.

Érulin et ceux qui vous ont torturé, ressemblent comme deux gouttes d’eau au capitaine Aussaresses. Il y avait beaucoup de militaires comme lui à l’époque ?

En fait, je suis tombé entre les mains d’Aussaresses puisque c’est lui qui dirigeait le service action sous les ordres de Massu. Il était le patron des centres de torture. Est-ce à dire que tous les soldats se conduisirent en tortionnaires ? Évidemment pas. Mais, en effet, il y avait à l’époque des quantités d’émules d’Aussaresses ou de gens qui agissaient comme lui, dans ses services et dans d’autres. Cela s’explique parfaitement car la guerre était menée dans l’objectif de sauver le pouvoir colonial quoi qu’il arrive et par tous les moyens, et cela pas seulement en Algérie mais déjà en Indochine.

J’ajoute que dans son livre, tout en se vantant, Aussaresses ne dit que ce qu’il veut bien dire. Pas un mot, en particulier, sur Maurice Audin, qui est mort dans des locaux placés directement sous son autorité et de la main de tueurs qui obéissaient à ses ordres. S’il confirme donc par ses aveux beaucoup de crimes, il ne dit pas toute la vérité.

Pour se justifier, Aussaresses dit : ces méthodes étaient inévitables. Nous avons fait ce qu’on attendait de nous, la guerre ne pouvait pas être « propre » mais nous nous sommes conduits en bons militaires...

Tous les criminels de guerre ont cette façon de présenter les choses - ce fut le cas à Nuremberg. Les accusés ont déclaré qu’ils appliquaient les ordres de leurs supérieurs et que de ce fait, ils n’étaient pas responsables. C’est un raisonnement parfaitement inadmissible : à le suivre, le bon militaire est celui qui commet tous les crimes sans réfléchir ou sans discuter, tandis que le mauvais militaire reste humain en toutes les circonstances. Cela voudrait dire que le bon militaire est Aussaresses et le mauvais militaire, Bollardière.

C’est un pur sophisme. La vérité est à l’opposé : l’homme d’honneur, quelles que soient les circonstances, quel que soit l’habit qu’il porte - militaire ou civil -, agit en homme de conscience.

Pour la première fois, la justice va avoir à se prononcer sur des éléments qui touchent à la guerre d’Algérie, certes indirectement. Qu’attendez-vous de ce procès ?

Si l’histoire doit servir de leçon quel exemple retenir ? Celui d’Aussaresses, qui ne fut pas seulement un instrument consentant mais l’instrument actif et vantard d’une politique odieuse, ou celui de Bollardière et de ceux qui ont refusé de s’aligner sur ces crimes ? La réponse va de soi.

Il serait souhaitable que la justice adhère à une position faisant honneur aux valeurs politiques et humaines de notre pays. En même temps ne nous leurrons pas, si l’on est réduit aujourd’hui, quarante ans après, à poursuivre un tortionnaire médaillé et promu comme Aussaresses, pour apologie et non pas directement pour ses crimes, on le doit à des choix politiques pris de longue date et prolongés au plus haut niveau de l’État.

D’ailleurs, s’il faut juger, est-ce seulement la torture et ses crimes ou l’engagement de la France dans la guerre et plus largement encore le colonialisme comme système d’oppression ? Cette question n’est pas de l’ordre de la justice : elle est posée, elle reste posée à ceux qui se situent au sommet de la pyramide, aux responsables politiques.

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  • Contexte

Auteur d’une histoire de la guerre d’Algérie et militant de l’ex-parti communiste algérien, Henri Alleg a été journaliste et directeur du journal Alger Républicain de 1950 à 1955. Arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes de la 10e DP du général Massu, le compagnon de route de Maurice Audin fut torturé durant sa séquestration qui a duré un mois.

Henri Alleg passa trois ans en détention. La Question est le récit de cette torture. La première édition de La Question d’Henri Alleg fut achevée d’imprimer le 12 février 1958. Des journaux qui avaient signalé l’importance du texte furent saisis.

Quatre semaines plus tard, le jeudi 27 mars 1958 dans l’après-midi, les hommes du commissaire divisionnaire Mathieu, agissant sur commission rogatoire du commandant Giraud, juge d’instruction auprès du tribunal des forces armées de Paris, saisirent une partie de la septième édition de La Question.

Le récit d’Alleg a été perçu aussitôt comme emblématique de ce refus par la brièveté même, son style nu, sa sécheresse de procès verbal qui dénonçait nommément ses tortionnaires sous des initiales qui ne trompaient personne. Sa tension interne de cri maîtrisé a rendu celui-ci d’autant plus insupportable : l’horreur était dite sur le ton des classiques.

La Question fut un météorite dont l’impact fit tressaillir des consciences bien au-delà des « chers professeurs », des intellectuels et des militants. A l’instar de J’accuse, ce livre minuscule a cheminé longtemps. Jean-Pierre Rioux, "La Torture au cœur de la République", Le Monde, 26-27 avril 1998

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Spectacle terminé depuis le samedi 7 avril 2007

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