Le lieu de la métamorphose
Note de mise en scène
Les essais
Resserrer le regard sur l’intime, traiter du nombrilisme, du voyeurisme de soi-même, montrer au théâtre, espace ouvert au public, la cabine d’essayage, espace dont la clôture est multipliée par les miroirs. Alors, le seul ailleurs devient l’espace du corps, tel qu’il est rêvé, désiré, fantasmé.
Dans la cabine d’essayage, lieu étroit et confiné, circulent successivement des personnages en nombre illimité, trop de monde pour un trop petit endroit. Il y a là toute une typologie des comportements sociaux : la femme manipulatrice qui renvoyait un reflet trompeur à son amie aveugle, le petit homme qui rêvait d’acheter une femme extra-small, la demoiselle qui avait oublié ses seins, le velléitaire qui prend la cabine pour un sésame… car la cabine d’essayage, tout le monde s’y presse, c’est aussi l’étape fugitive, le lieu de la métamorphose d’où chacun espère sortir autre, différent, revêtu d’une seconde peau.
La cabine, un lieu clos : boîte de nuit, boîte d’habillage, cercueil, boîte à musique, peep-show, réduit obscur, maison de poupée, chambre noire pour le développement de photos… Le confinement est un terreau sur lequel poussent les fantasmes, les facettes secrètes de l’individu (comme le rêve d’un prisonnier). Aussi, la cabine d’essayage de ce spectacle n’est pas un lieu anecdotique, lié au magasin de vêtements ; elle est un lieu de rituel, symbolique, qui peut se transformer réellement au contact du personnage, de même que le personnage se transforme à rester dans la cabine, cabine d’essayage traditionnelle, qui devient loge de théâtre, illustrant ainsi le pouvoir du fantasme de contaminer les objets eux-mêmes.
La Cabine d’essayage parle de la précarité d’aujourd’hui. Dans la société actuelle aussi, on est à l’essai (dans le travail, en amour…) : la précarité envahit le monde moderne. Qui dit essai dit jugement, mise en cause, possibilité d’être interrompu à tout moment, d’être refusé. Qui dit essai dit peur de l’échec, incertitude du résultat ; et l’inquiétude qui en déroule prépare à une vision tragique du monde.
Le nombre important de contributions d’auteurs en permet une vision kaléidoscopique, privilégiant le morcellement, et la vitesse syncopée liés à la modernité. Des points de vue d’auteurs différents justifiaient que les femmes tiennent autant de place que les hommes dans ce spectacle : autant d’auteur(e)s, autant d’acteurs(trices). Le fantasme n’est plus l’apanage des hommes seulement comme le prouve l’éclosion massive de l’écriture des femmes pour le théâtre. C’est de ça aussi que parlera ce spectacle.
Dans ce parcours, la mise en scène, privilégiant le travail sur l’image, opte pour l’apparition magique, l’effet de rideau, le discontinu de l’histoire. C’est que la cabine est un prisme qui fait fi des relations ordinaires de causalité ; c’est un sas, un passage vers l’ailleurs, vers les autres, à la recherche des grands absents : le père, la femme idéale, l’homme absolu, l’image mythique de soi-même. C’est, par essence, le lieu du fantasme, qui doit échapper à tout traitement naturaliste.
Avec François Cabanat, scénographe, nous avons imaginé un volume modulable, « espace à volonté » transformable en cours de spectacle, avançant vers le public ou reculant vers le fond en fonction de l’effet recherché : le public se retrouve alors soit dans la position du voyeur, l’œil collé au trou de la serrure de la cabine, soit dans celle du rêveur pour qui la cabine toujours se dérobe, telle un mirage (ou un fantasme).
Dans le droit fil de ce traitement, les acteurs ne jouent pas des personnages au sens psychologique du terme, mais des pulsions, des fragments d’identité, des éclats d’un moi unique qui recherchent désespérément dans la cabine, vue comme un creuset alchimique, une unité perdue, ou à défaut assument une identité morcelée.
La bande-son joue un rôle crucial dans la structuration de l’espace dedans/dehors. L’intimité de la cabine est une chambre d’écho de l’extérieur : enfermé dans la cabine, on ressent de façon plus aiguë l’effervescence et la vitalité du monde. Aussi le son renvoie autant aux bruits du monde du dehors, qu’aux rumeurs intérieures liées à l’enfermement passager.
Frédérique Lazarini
Cabinou-binette de Fabienne Rouby
Plusieurs cabines d’essayage où tout le monde veut tout essayer : on ne parle plus d’achat compulsif mais d’essayage compulsif.
La chemise neuve de Gilles Costaz
Un homme dont la chemise, choisie par une vendeuse, va transformer la vie.
Ah ! J’ai oublié mes seins ! de Koulsy Lamko
Quand Geneviève, 40 ans, bien en chair, essaie un manteau dans un grand magasin, c’est l’occasion d’une plaidoirie contre les modèles de beauté imposés par notre société.
Je l’aime trop de Denise Bonal
Conversation de deux amies rivales autour d’une robe, prétexte à évoquer l’histoire d’amour de l’une d’entre elles.
Premier coup… (avec essai) de Stéphanie Tesson
Description d’une société où l’on change et échange tout : de son corps à sa femme…
Déshabille toi de Denise Chalem
Dominique sort de prison. Elle est entraînée par Caroline dans une cabine d’essayage où elle ressent la nostalgie de cet enfermement.
Tu verras quel homme nouveau… de François Chaffin
Un homme croit pouvoir se transformer grâce à une cabine d’essayage.
Cabine 3 : Cris et chuchottements de Laurent Maurel
Scène comique, où un vendeur est pris à son propre jeu.
Rouge de Sylviane Bernard-Gresh
A travers l’essayage d’une robe les rivalités entre une mère et une fille explosent. L’enjeu : un père et mari absent.
Vaste et ensoleillé de Sylvie Chenus
Un homme vient visiter un placard à louer.
Courte mais vraie… ou presque d'Alain Pierremont
Alain, 50 ans, décide un matin d’aller vivre l’expérience de la cabine d’essayage.
45 rue Richard Lenoir 75011 Paris