SYLVIA - « Ne valoir rien, tromper son prochain, lui manquer de parole, être fourbe et mensonger, voilà le devoir des grandes personnes de ce maudit endroit-ci. Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? D’où sortent-ils ? De quelle pâte sont-ils ? »
Le Prince veut épouser Silvia. Il la fait enlever et la met sous la surveillance de Trivelin et de Flaminia. Silvia aime Arlequin. Elle ne veut pas se soumettre à la volonté du Prince. Se met alors en place un stratagème pour convaincre Silvia et Arlequin qu’ils ont intérêt à entrer dans le cercle du pouvoir. Le couple initial va-t-il se défaire ? D’autres couples vont-ils se former ?
Avec Marivaux, il n’y a pas d’armes, pas de pistolets, d’épées, de poignards. Il n’y a ni meurtres, ni assassinats, ni viols explicites. Les sujets doivent se plier, mais avec leur propre consentement. Servitude volontaire.
Ce qui tisse la trame de l’intrigue, ce sont les stratagèmes mis en oeuvre pour convaincre l’autre, pour lui faire renoncer à ses convictions originelles et pour en faire un allié alors qu’il aurait pu être un adversaire. De cette manière, la lutte des classes est désamorcée. C’est ce qui se produit dans le monde néolibéral d’aujourd’hui. Pas besoin d’enfermer les dissidents dans des prisons. Il est plus efficace de les faire entrer dans les rouages, de les séduire avec des produits de consommation, de les convaincre qu’en se pliant aux règles ils pourront accéder au confort quotidien et dormir sur leurs deux oreilles.
La Double Inconstance éclaire habilement ce processus. Elle montre comment le Prince et ses acolytes vont dresser deux jeunes « sauvages » qui ont des qualités (énergie, jeunesse, beauté) utiles et nécessaires pour régénérer le pouvoir en place, et comment cette nouvelle génération finira par abandonner son esprit de rébellion pour prendre le pouvoir à son tour. Les personnes seront, tôt ou tard, remplacées, par la force des choses, mais le système, lui, va perdurer. Les têtes des dirigeants vont changer mais le passage de relais se sera fait sans que les fondements du système aient été ébranlés.
Ces personnes qui abandonnent leur naïve sincérité et leurs scrupules vivront-elles mieux du fait d’avoir emprunté l’ascenseur social ? Ce qui est certain, c’est qu’elles auront perdu leur innocence, leur spontanéité juvénile, leur jovialité festive. Alors, de quel côté se trouve le bonheur ?
Adel Hakim
1, rue Simon Dereure 94200 Ivry-sur-Seine