Trois histoires d'amour
Une pièce sur le sentiment d'exister
Notes de mise en scène
La compagnie Le théâtre du jeu
Extrait
Cette pièce raconte trois histoires distinctes.
La femme d’un autre traite de la rencontre dans la rue entre l’amant et le mari d’une même femme. La rivalité, le thème du double, sont mis en valeur à travers la quête de cette femme insaisissable. Cela donne lieu à de nombreux quiproquos, développés jusqu’à la caricature.
Nuits blanches témoigne d’une confession des hommes à propos des femmes (et vice-versa), et de l’incompréhension réciproque entre eux, à travers le souvenir de leurs passions.
A propos de la neige fondue raconte la tragédie de l’amour impossible entre Lisa et l’homme du sous-sol, imaginé par Dostoïevski. Ce tableau illustre la difficulté à aimer sans vouloir posséder. Par là, les personnages éprouvent consécutivement le désespoir, la culpabilité, la trahison et l’anéantissement de l’autre.
Ces trois histoires sont empreintes de différentes atmosphères. En effet, il existe un mouvement continu, qui passe de la dérision au tragique et du réalisme à l’onirique.
L’amour y apparaît dans toute sa complexité, avec ses contradictions, son insatisfaction perpétuelle et finalement son impossibilité… Au cœur du mensonge, de la culpabilité et de la peur du désir, le besoin de posséder l’autre apparaît comme l’illusion d’une quête de soi, jamais acquise.
Malgré le caractère vertigineux de ses enjeux, la pièce aborde le drame personnel de chacun des personnages, d’une façon ludique, en privilégiant la force de l’élan vital. Le rythme, les chorégraphies, expriment toute la spontanéité de la rencontre, du lien entre les êtres dans la passion amoureuse et ainsi en manifestent l’intensité. Certaines scènes peuvent apparaître comme de véritables tableaux vivants sur le couple, l’état amoureux. Voilà des êtres qui parlent, s’installent au cœur de nous-même, passent d’un endroit à un autre, d’un moment à un autre, alternent pensée et émotion dans un « lâcher prise » permanent. C’est dire qu’il y va pour eux de l’emprise incontestée de la pulsion.
A travers ces personnages qui parlent (et à qui parlent-ils ?), c’est la parole même qui livre son inconscient secret et donne à voir un monde éclaté, en morceaux, déployé à l’infini ; un univers mental à la fois saturé et ouvert. Chacun des acteurs et actrices constitue une incarnation, une partie de l’humain, mais tous ont en commun de défendre un amour pur, exceptionnel et absolu.
Caroline Cohen
« Une création audacieuse, usant de ressources chorégraphiques et musicales contemporaines. Cette pièce met en scène des êtres qui se cherchent, se dédoublent, et vivent des émotions contradictoires dans une atmosphère parfois onirique, toujours sur le point de passer du burlesque au tragique. Un spectacle résolument moderne. »
C'est une pièce sur le sentiment d'exister. Celui-ci apparaît à chaque instant à travers le débordement des affects de ses personnages. Cette exaltation incessante forme l'unicité d'un élan vital réprimé, car constamment happé par le miroir de la représentation. Des êtres qui s'articulent tels des pantins déstructurés, en proie en vain à un souci d'authenticité. Ils ne trouvent aucune réponse à leur façon d'être au monde.
Leur vérité se puise dans le fait qu’ils ne s'unissent qu'à travers ce qui les déroute : cette puissance de vide présente et identique en chacun d'eux. Ils ne sont que des monstres décapités, déroutés et dévorés par leurs pulsions. Cette rencontre avec leur vide intérieur témoigne de la réconciliation possible de l'être avec l'altérité, de l'être avec le logos. Une réconciliation qui pourrait être une vision juste de l'unité originelle.
Cette pièce traite de l'être perçu comme chaos. Etre en déperdition constante de toute structuration et qui comme à travers des cristaux a puisé sa force dans ce chaos.
Alors notre travail scénique consiste à explorer des sentiments, des atmosphères, des connections, propres à figurer ces thèmes dostoïevskiens que sont le double, la culpabilité, la peur, le ridicule, l’impossibilité du désir, et - en respectant toute la complexité et les contradictions en jeu ici - à rechercher leur intensité. La spontanéité, l’impulsivité du mouvement, seront mises à contribution pour entreprendre cette exploration.
Chercher ce qui nous fait du mal, être en contradiction permanente, ne pas savoir répondre à nos propres désirs, n’est-ce pas là que réside le sentiment d’exister, le fait de se sentir humain, voire trop humain ?
Dostoïevski, au cœur de cette pièce, s’est amusé à toucher le ridicule mené à son paroxysme, ce ridicule qui parfois va même trop loin, est interminable, et qui pourtant, au-delà du burlesque, nous est si familier. En effet, à travers les psychodrames qui remplissent notre quotidien, nous pouvons quelquefois nous rendre absurdes, à la fois tragiques et comiques, car nous ne savons pas toujours contrôler nos émotions et surtout nous avons peur de montrer ce que nous ressentons.
Les êtres humains en viennent ainsi souvent à faire le contraire de ce qu’ils désirent, à prouver leur amour par la haine et le mensonge, à être pris, comme le héros de Dostoïevski, dans des malentendus, paradoxes et conflits sans fin. Ce qui suscite particulièrement mon intérêt dans cette pièce, si légère au premier abord, si proche du vaudeville -comme si la nouvelle initiale : La femme d’un autre, avait été pensée pour le théâtre, c’est sa question fondamentale : parvient-on, nous, êtres humains, à assumer nos actes, à ne pas être aveuglés par nos colères et nos contradictions, sommes-nous capables de ne pas nous mentir à nous-mêmes ?
En effet, au cœur du mensonge et du quiproquo, se situe l’intrigue théâtrale animée par ce fameux triangle amoureux : le mari, la femme, l’amant. A partir de ce trio banal, le mari accomplit peu à peu son sabotage, et entraîne tout le monde dans son masochisme, dans ses bassesses, ses mesquineries, qui, poussées à fond, s’avèrent irrémédiablement ridicules. Ainsi la situation est comique, car elle en devient impossible, à force d’être invraisemblable. C’est pourquoi, mon travail de mise en scène consiste alors, non pas à rendre crédible cette réalité fictive, mais à construire scéniquement, au-delà du leitmotiv de l’homme ridicule, le trouble qui affecte son sentiment de réalité.
Ce que nous voyons, est-ce la vie réelle, ou tout cela ne serait-il pas le fantasme du héros Ivan Andréevitch en proie à ses « démons » et vertiges émotionnels ? Par conséquent j'ai choisi de déployer autour du drame une atmosphère onirique. Et, pour rendre tangible la profondeur de ce fantasme, la scène sera parcourue d'éléments lyriques, poétiques ; le personnage féminin se dédoublera, les séquences dansées et musicales viseront à faire vaciller le sens du réel, elles symboliseront les visions du héros, détourneront et envelopperont le burlesque en lui ajoutant une beauté, une esthétique.
En contraste, se dévoilera un dernier plan : celui de la noirceur profonde et de l'amertume qui habitent l'âme du héros. Sa démesure n'est qu'un symptôme de son désespoir. Derrière ce bouffon machiavélique trahi et humilié, se dessine progressivement la figure de cet « éternel mari » dont la pièce est une ébauche. En même temps, apparaissent progressivement, les imprécations de l'homme des Carnets du sous-sol, dans les tableaux intitulés : « A propos de la neige fondue » et « les nuits blanches ». J'ai donc jugé essentiel de rendre sensibles les échos que trouve cette oeuvre de jeunesse : La femme d’un autre dans des thématiques cruciales de l'oeuvre de Dostoïevski.
Par là, ces tableaux, exemples aboutis d'un comique de situation, prennent une consistance humaine. Le trait incisif et sans concession, respecté par une mise en scène qui ne cherchera ni la couleur locale ni la reconstitution historique, nous rendra cette pièce d'autant plus cruelle, lucide et proche.
Caroline Cohen
Créée en 1993 par Christophe Boudé, son directeur, la CTJ va fêter en octobre son onzième anniversaire. Organisatrice de plus de 300 représentations à Paris, en province et jusqu'en Afrique Centrale, la compagnie présente La femme d'un autre et affiche sa douzième création.
Après La visite de Victor Haïm jouée dernièrement à Toulouse et Les dernières lettres de Stalingrad, de et mis en scène par Laurent Terzieff, La femme d’un autre dévoile l'ambition de la CTJ à présenter dans son théâtre un registre d'auteurs le plus large possible.
Soucieux, très particulièrement dans notre actualité, de maintenir une activité théâtrale et culturelle intense, la compagnie et ses partenaires réaffirment leur engagement à promouvoir un théâtre qui soit toujours plus proche du public. Le faisant réfléchir en le distrayant, dans le jeu de sa créativité, comme un effet de miroir, les spectacles de la CTJ ont cette particularité de laisser chaque fois une empreinte toujours plus lucide, donc ironique, de cette « formidable comédie de la désillusion sociale » ... Dramatique oblige !
Christophe Boudé
Ivan Andréevitch : Cher honnête homme, mon bon monsieur, je suis loin de penser que vous êtes "Lui" ; je ne vous salirai pas par cette idée, mais... mais, vous me donnez votre parole d'honneur que vous n'êtes pas l'amant ?
L'autre : Bon, c'est bien, si vous voulez, parole d'honneur, je suis l'amant... mais pas celui de votre femme ; sinon, en ce moment, je ne serais pas ici, dehors, mais dedans, avec elle !
Ivan Andréevitch : Ma femme ? Qui vous a dit "Ma femme", jeune homme ? Je suis célibataire, je suis, c'est-à-dire, un amant moi-même...
L'autre : Je vous crois tout à fait. Mais je vous dis sincèrement qu'en vous détrompant aujourd'hui, je veux me tranquilliser moi-même, et que c'est pour cela, au fond, que je suis sincère ; vous m'avez troublé et vous me dérangez. Je vous promets que je vous appellerai. Mais je vous demande humblement de me laisser passer et de vous écarter. Moi aussi, j'attends.
Ivan Andréevitch : Je vous en prie, monsieur, je m'éloigne, je respecte l'impatience passionnée de votre coeur. Je comprends cela, jeune homme. Oh, comme je vous comprends en ce moment !
L'autre : C'est bon, c'est bon...
Ivan Andréevitch : Au revoir... Mais, excusez, jeune homme, je reviens vers vous... je ne sais comment dire... redonnez-moi votre parole d'honneur, votre parole d'honnête homme que vous n'êtes pas l'amant...
L'autre : Ah, Seigneur mon Dieu !
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