« La liberté sera notre linceul. » Flavius Josèphe
Qu'il réalise des fictions ou des documentaires, Amos Gitai interroge, laisse parler : comme l'a noté Serge Toubiana, sa position est celle du guetteur ou du veilleur, scrutant le terrain où les forces en présence se déploient dans toute leur irréductible singularité. Gitai respecte trop le réel pour imposer un point de vue. Sa rigueur face aux pièges des images, sa liberté d'approche, lui ont valu en Israël des difficultés sérieuses ; elles le poussèrent à finalement choisir de se soustraire à la censure de la télévision d'état par un éloignement qui dura une bonne dizaine d'années, entre 1982 et 1993, années au cours desquelles il continua à exercer son regard critique.
C'est précisément vers la fin de cette période qu'il créa en Italie, d'abord à Gibellina en 1992 puis à la 55e Biennale d'Arts Plastiques de Venise, au mois de juin 1993, La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres. Cette performance théâtrale, qui tient de l'oratorio parlé et chanté, emprunte l'essentiel de sa matière à La Guerre des Juifs, où l'historien Flavius Josèphe retrace la destruction de la souveraineté juive par l'Empire romain au premier siècle de notre ère. Amos Gitai apprécie depuis toujours la complexité de cette œuvre. Car Flavius Josèphe, comme son nom l'indique, a un pied dans les deux camps. Fils d'une grande famille sacerdotale, il prend une part active à la première guerre judéo-romaine en qualité de commandant en chef des forces juives en Galilée. Capturé, il garde la vie sauve à condition de se mettre au service de la grandeur romaine - une grandeur qui n'excluait nullement, au contraire, la glorification des peuples soumis. Sur les traces de Josèphe, Gitai est allé filmer, au sud de Jérusalem, le site de Massada, où se dressent encore les ruines de la forteresse défendue par les ultimes patriotes juifs (selon l'historien, qui constitue notre seule source pour ces événements, les assiégés se suicidèrent après une résistance de près de trois ans pour échapper à la servitude).
Dans ce dialogue des siècles qu'orchestre Gitai, les voix se répercutent, se font rumeur, chant, musique, passant d'une langue à l'autre, incarnant l'un ou l'autre pouvoir, brouillant parfois les frontières : dans ce bruissement où français, hébreu, yiddish, arabe, anglais se répondent, comment situer encore les identités ? Sept narrateurs incarnant des exilés de différents pays se partagent la charge du récit. Quatre d'entre eux relaient la parole des interprètes principaux. Parmi ceux-ci, Jérôme Koenig (qui reprend le rôle qu'il a créé à Gibellina). Jeanne Moreau le rejoint à l'occasion de cette recréation, d'abord au Festival d'Avignon 2009 à la Carrière de Boulbon, puis dans la Grande salle de l'Odéon.
D'après La guerre des juifs de Flavius Josèphe.
Place de l'Odéon 75006 Paris