La Main passe ou la crise du mariage
La Main Passe, du vaudeville à
la comédie
La Main passe, quelques extraits¼
Feydeau vu par Sacha Guitry
Eléments de Bibliographie
La Main passe ou la crise du mariage
Depuis ses origines, le théâtre na cessé de sinterroger sur le couple et sur la question du mariage, qui est pour toute société une préoccupation capitale ; Feydeau ne fait évidemment pas exception à la règle.
Il appartient à la société bourgeoise de son temps, qui a fait du mariage une institution clé de son système de reproduction. Elle est censée régler la question de la propriété et de sa transmission, celle de la sexualité, qui ne doit sexercer que dans le cadre conjugal, non dans le but de plaisir mais dans celui de la procréation et, très accessoirement, celle de lhypothétique inclination des époux lun pour lautre.
Ainsi, cette société prétend-elle corseter les murs aussi fortement quelle corsette les femmes, mais à trop serrer, il arrive que les coutures lâchent et que le refoulé en profite pour accomplir son grand retour.
Et cest bien le retour du refoulé, qui va fournir à Feydeau la matière première de son oeuvre dans tout ce à quoi il peut prêter à rire, jusquaux confins de la folie et du tragique (tant il est vrai quun vaudeville nest après tout quune tragédie qui a mal tourné).
La Main passe est par excellence la pièce de la crise du mariage : pris entre leurs coupables pulsions érotiques et les convenances sociales, les époux mal ajustés se trompent, divorcent, les ex-amants adultérins se marient puis, une fois mariés, se trompent à nouveau, songent à divorcer, et ainsi de suite dans une réaction en chaîne qui semble ne jamais vouloir finir. Des fiascos piteux en replâtrages hasardeux, Feydeau nous offre le spectacle peu glorieux de leffondrement sur elle-même de linstitution conjugale telle que la classe bourgeoise lavait rêvée depuis un siècle. Il le fait sans passion, avec une sorte dobjectivité dentomologiste; la morale nest pas son fort, il ne prétend rien critiquer ni corriger, et cest là sans doute lun des secrets de son exceptionnelle puissance comique : " Lorsque je suis devant mon papier, et dans le feu du travail, je nanalyse pas mes héros, je les regarde agir, je les entends parler... " confiera-t-il. Il est comme le phonographe de la première scène de la Main passe par lequel tout le malheur arrive, " il ne sait pas, il ne distingue pas, il enregistre ce quil entend ". Je ne doute pas un instant que Feydeau ne soit représenté sous les traits du phonographe en question; mais pour que le portrait soit complet, il faudrait ajouter à linnocence de lappareil, le génie malin du vaudevilliste.
Gildas Bourdet
La Main Passe, du vaudeville à la comédie
La Main passe, est créée aux Nouveautés le 1er mars 1904. La pièce obtient un important succès : elle est jouée 211 fois pendant lannée de sa création. La critique est très bonne: on approuve Feydeau davoir, cette fois-ci, mêlé à son vaudeville des scènes de comédie : " Voici écrit Stoullig, du tout nouveau Feydeau, un Feydeau méconnu que nous soupçonnions à peine sous sa réputation de vaudevilliste avéré. Nallez pas croire, surtout quil soit le moins du monde inférieur à lancien, bien au contraire (...). De la vraie, sérieuse et fine comédie, sil vous plaît, et pas le plus petit quiproquo, voilà qui est rare et fort beau! ". De même, dans le Théâtre, Félix Duquesnel apprécie, outre " un acte de gaieté folle, le second, un acte de fine comédie, le quatrième, dont la psychologie est tout à fait charmante, son comique voisinant avec une émotion à fleur de peau ". Comme Stoullig, il semble inciter Feydeau à quitter le vaudeville pour la comédie littéraire, en écrivant à propos de ce quatrième acte : " Le vaudevilliste, si débridé dordinaire, sy révèle auteur dramatique dune valeur plus élevée quon ne pouvait le supposer. " De Même, encore René Maizeroy loue lauteur davoir " mêlé des scènes dexquise comédie à des situations de vaudeville ".
Cela dit, la critique apprécie également les qualités quelle a coutume de rencontrer chez Feydeau : innombrables situations comiques, péripéties inattendues, mots plaisants, comme celui de Francine qui, du fond du lit adultère où son mari la surprise, lance de toute son effronterie, le célèbre " Quest-ce que tu vas encore imaginer ? " Mais ce qui soulève particulièrement lenthousiasme du public, cest lirruption du pochard Hubertin chez Massenay et le long soliloque qui la précède, lorsque, dune main maladroite, il essaie de trouver lorifice de la serrure.
Les critiques de 1904 ne se trompaient pas lorsquils croyaient discerner dans la nouvelle pièce une part de comédie dobservation nettement plus importante que dans les précédentes ; disons plutôt que cette matière psychologique y était répartie dune façon nouvelle. Ordinairement, Feydeau, dès lexposition, dessinait brièvement ses personnages et les douait demblée dune sorte dexistence concrète ; puis il les jetait dans les mésaventures les plus folles, ne se souciant plus denrichir les portraits quil en avait initialement tracés. Ici, au contraire, tout en procédant comme dhabitude lors de lexposition, il était, au quatrième acte, revenu sur ses personnages, pour en enrichir la peinture. Sans quitter vraiment le vaudeville, lauteur sorientait donc vers la comédie et donnait même une sorte de morale à sa pièce. Il sattardait non sans quelque mélancolie désabusée, sur la déception de cette épouse qui se rend compte, une fois remariée à son amant, quil ne vaut pas son mari.
La pièce comporte dingénieuses trouvailles. Ainsi lauteur se montre fort habile à exploiter les inventions modernes et les applications pratiques de la science. Cest un phonographe enregistreur - et aussi reproducteur - ancêtre de nos magnétophones, qui, trahissant Francine, va révéler à son mari linfidélité dont elle sest rendue coupable. Mais comme le son est assez mal reproduit - nous ne sommes quen 1904 - pour permettre un quiproquo sur lidentité de lamant, le mari va se lancer sur une fausse piste. Par ce genre de procédé, lauteur renouvelle la dramaturgie traditionnelle du vaudeville et larticule sur la réalité contemporaine, ce que ses confrères ne savaient pas faire.
Dans un tout autre domaine, citons aussi une de ces inventions drolatiques qui fourmillent dans le théâtre de Feydeau : lauteur a imaginé ici létrange personnage du maçon Lapige qui sexprime normalement en temps ordinaire mais aboie comme un chien dès que quelque émotion sempare de lui. On devine quelle atmosphère ubuesque peut créer ce Lapige lorsquen présence de nombreux témoins qui attendent ses révélations, il est interrogé par le commissaire de police...
Henry Gidel
La Main passe, quelques extraits¼
Acte I, scène VII
Chanal : Aha! A la bonne heure! Toujours le même!... vieux copain!... Je disais donc
: " Tu ne te rappelles pas Chanal ? "Massenay, cherchant :
Attends donc!
Cest pas un petit dont on disait que le père était cocu ?
Chanal : Mais non voyons, cest moi!
Massenay, décontenancé par son impair : Oh! Oh!... Mais oui que je suis
bête! je le sais bien parbleu, que cest toi, puisque je suis ici!... Où avais-je
la tête ?
Auguste : Non!... Jai bien fait tout ce que Madame ma dit : dabord, la tournée des restaurants ; tous fermés !... Chez Maxim, jai trouvé des garçons qui balayaient... et un pochard quon balayait... Ce nétait pas Monsieur... De là, jai été, comme Madame ma dit, à la Préfecture ; jai fait la déclaration... au bureau des objets perdus...
Acte III, scène V
Sophie : Eh! bien, quest-ce que cest ?
Auguste : Madame, cest un maçon.
Tous : Un maçon ?
Auguste : Qui apporte les vêtements de Monsieur.
Tous : Hein ?
Sophie : Comment, les vêtements de Monsieur ?
Auguste : Oui, Madame... quil a trouvés dans la rue.
Tous, Stupéfaits : Oh!
Sophie : Dans la rue ?
Belgence : Les vêtements de Monsieur ?
Sophie : Eh! bien, et monsieur ? Et Monsieur ?
Belgence et Planteloup : Oui ?
Auguste, avec un geste découragement : Il nétait pas dedans!
Je pense quaucun homme, jamais, ne fut plus favorisé que lui par le Destin.
Il avait, dans son jeu, tous les atouts : la beauté, la distinction, le charme, le goût, le talent, la fortune et lesprit.
Puis, le Destin voulant parachever son uvre, il eut ce pouvoir prodigieux de faire rire des personnes assemblées dans ce but. Dautres, me direz-vous, lavait eu avant lui et dautres lont encore, ce pouvoir. Eh! bien, non. Ce que dautres ont eu, ce que dautres ont encore, cest le don de faire rire, cen est la possibilité - et ce nest pas moi qui vais contester à Courteline son génie, ou bien à dautres leur talent et leurs trouvailles - mais lui, Georges Feydeau, ce quil avait en outre, ce quil avait en chef et sans partage, cétait le pouvoir de faire rire infailliblement, mathématiquement, à tel instant choisi par lui et pendant un nombre défini de secondes.
Ses pièces étaient conçues, construites, écrites, mises en scène et jouées à une cadence particulière et que, vingt ans après sa mort, on est tenu de respecter.
Ses vaudevilles, puisque cest ainsi quon appelle ses uvres, portent sa marque indélébile. Dautres vaudevilles ressemblent aux siens, mais les siens ne ressemblent pas aux vaudevilles des autres.
Faites sauter le boîtier dune montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs - mystère charmant, prodige! Cest une pièce de Feydeau quon observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : cest une pièce de Feydeau vue de la salle - les heures passent, naturelles, rapides, exquises...
Il était un ami fidèle, attentif et discret. Cétait un solitaire - et cet homme qui faisait éclater de rire ses contemporains, a traversé la vie mélancoliquement. Son visage était si fin, si beau, si français que cest celui que M. Larousse avait choisi pour illustrer le mot " moustache ".
Jignore ce quil adviendra de son nom, mais jai la conviction que
lorsquil se présentera devant le Tribunal de la Postérité et que le Président
Suprême lui posera cette question :
- Avez-vous des titres de Postérité ?
Feydeau pourra répondre :
- Oui.
- Quels sont ces titres ?
- Champignol malgré lui, Mais nte promène donc pas toute nue, Feu la mère de
Madame et la Dame de chez Maxims!
Sur Feydeau :
Tout lhumour de Feydeau, Robert Nahmias, Grancher, 1995
Georges Feydeau, Henry Gidel, Flammarion, 1991
Le Théâtre de Georges Feydeau, Henry Gidel, Klincksieck, 1979
Georges Feydeau, Jacques Lorcey, Table Ronde, 1972
De Feydeau :
Dormez, je le veux !, Avant-Scène, 1997
La Puce à loreille, Avant-Scène, 1996
Occupe-toi dAmélie, LGF, 1995
Occupe-toi dAmélie, Hachette, 1995
La Dame de chez Maxim, Avant-Scène, 1994
Théâtre, Omnibus, 1994
Notre Futur, Librairie Théâtrale, 1993
Les Pavés de lours, Librairie Théâtrale, 1993
Tailleur pour dames, Librairie Théâtrale, 1993
On purge Bébé ! Librairie Théâtrale, 1991
Théâtre Complet, 4 vol., Garnier, 1988-1989
Le Dindon, LGF, 1989
Mais nte promène donc pas toute nue, Librairie Théâtrale, 1988
Léonie est en avance, Librairie Théâtrale, 1986
La Puce à loreille, Comédie-Française, 1979
Feu la mère de Madame, Librairie Théâtrale, 1977
1-5, place de la Libération 93150 Le Blanc-Mesnil