« Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il ne soit advenu. » Marguerite Duras
De la difficulté d'aimer
Quelle est cette voix qui raconte ?
Extrait
Je crois, qu'il n'y a pas d'autre "décor", que la lumière, pour La Maladie de la mort, ce texte, à part, dans l'oeuvre de Marguerite Duras, « ce récit en lui même suffisant, ce qui veut dire parfait, ce qui veut dire sans issue » - comme le dit si bien à son propos, Maurice Blanchot, dans La communauté des amants et que le décor, c'est le théâtre, ses murs nus, avec ses traces d'autres spectacles, qui me font rêver, à André Masson et Georges Bataille. Il y a les loges aussi, au fond, comme des chambres, - comme Ailleurs, comme Réel.
Et il y a le bord de scène comme abîme... Le spectateur peut tout imaginer dans un théâtre vide et nu, que c'est une chambre, un hôtel, un palais, une "zone", tout simplement, un théâtre. Elle, Fanny A, elle arrive, elle n'avoue pas, elle impose ce secret terrible et impudique, ce vous, qu'il faut souvent entendre, comme un toi. Ce serait beau d'arriver à faire un spectacle-indécent - en tous cas sur l'Indécence.
Bérangère Bonvoisin
« Vous dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être.
Peut-être plusieurs semaines.
Peut-être même pendant toute votre vie.
Elle demande : Essayer quoi ?
Vous dites : D’aimer. »
Extrait de La Maladie de la mort
Quelle est cette voix qui raconte, qui s’adresse, impérative, à vous, à toi, à un homme qui, au conditionnel d’une histoire passée, aurait entrepris de savoir ? De savoir quoi ? Ce que seule l’expérience enseigne, celle de la vue, du toucher, de l’odeur du corps de la femme dans le bruit lointain de la mer. Mais aussi ce qui ne peut s’apprendre, ce qui s’accepte et se prend, ce qui se découvre dans la possession et surtout l’abandon : aimer.
Ils sont trois, comme toujours lorsqu’il s’agit d’amour chez Duras : l’homme qui cherche à aimer et paye une femme pour plusieurs nuits ; la jeune femme qui s’ouvre à lui, pour de l’argent mais aussi par plaisir de la jouissance, et parce qu’elle veut identifier cette maladie dont il est atteint et qui, en retour, ne la laisse pas indemne ; et une troisième personne, qui énonce le texte, qui raconte, en s’appropriant parfois la situation par l’emploi du « je » et qui regarde. Elle dit ce qu’elle sait, non pas de connaissance apprise, mais d’expérience vécue : elle est à distance, elle ne pleure pas comme l’homme, elle ne dort pas comme la jeune femme, mais elle les accompagne geste après caresse, question après réponse, au plus près de chacune de leurs sensations, au cour de sa jouissance à elle, de son envie de tuer à lui et de leur impuissance à se rejoindre : celle des hommes et des femmes, irrémédiablement séparés.
Qui est-elle cette troisième personne ? A la fin du livre, dans des indications pour une mise en scène qu’elle n’a jamais faite, Duras décrit un homme lisant le texte « soit arrêté, soit marchant autour de la jeune fille ». Michel Piccoli dans le spectacle de Bob Wilson, puis Gérard Desarthe ont lu La Maladie de la mort laissant intactes certaines possibilités du texte.
La troisième personne cherche, elle aussi, comme les deux autres, comme l’homme qui paye et la femme qui se livre. Elle cherche à entrer plus loin dans la connaissance, de cette maladie qui empêche d’aimer, de cette étrangeté profonde et de cet éloignement, de cette maladie de la mort atteignant certains êtres qui, dans le texte, ne sont que masculins. La voix du récit cherche à comprendre l’homme et c’est la femme qu’elle révèle, totalement, dans sa jouissance, dans les replis de son corps et de ses sensations, dans « la force invincible de sa faiblesse sans égale » et dans une façon d’être à l’écoute tout en se mettant à l’écart, dans le sommeil.
Dit par une femme profondément consciente du pouvoir de sa beauté - intérieure tout autant que physique - ce texte révèle une toute autre puissance : elle éprouve au plus profond d’elle-même ce que l’homme ne fait que pressentir. L’indécence s’accentue avec l’ampleur de la transgression, celle d’une femme disant en scène ce que la jouissance recèle en son secret et la mise en danger que le texte évoque sans cesse devient celle de l’actrice seule sur une scène dépouillée de tout sauf de sa présence.
La mer est noire. Le corps est blanc. Les extrêmes s’affrontent et même la lumière solaire reste sombre. La mort rend l’amour impossible. Un homme incapable d’aimer rencontre une femme qui ne peut être aimée. Et pourtant la rencontre se fait. Le texte s’écrit, se dit et les spectateurs l’entendent. Car au-delà des personnages, au-delà du vous, du toi, c’est à tous que la narratrice s’adresse, à nous tous, hommes et femmes, que l’amour ne cesse d’interroger et son manque de mettre en péril de mort.
Aliette Armel, écrivain, critique littéraire
Ensuite c'est presque l'aube. Ensuite il fait dans la chambre une sombre clarté de couleur indécise. Ensuite vous allumez des lampes pour la voir. Pour la voir elle. Pour voir ce que vous n'avez jamais connu, le sexe enfoui, voir cela qui engouffre et retient sans apparence de le faire, de le voir ainsi refermé sur son sommeil, dormant. Pour voir aussi les taches de rousseur répandues sur elle depuis la lisière des cheveux jusqu'à la naissance des seins, là où ils cèdent sous leur poids, accrochés aux charnières des bras, jusques aussi sur les paupières fermées et sur les lèvres entrouvertes et pâles. Vous vous dites : endroits du soleil de l'été, aux endroits ouverts, offerts à être vus.
Elle dort.
Vous éteignez les lampes.
Il fait presque clair.
La Maladie de la mort - éditions de Minuit
Texte magnifique, présence incroyable de la magnifique Fanny. Le jeu de lumières est très subtil et anime bien mais cela ne comble toutefois pas la mise en scène un peu minimaliste. La beauté du texte ne suffit pas toujours. Je garderai toutefois un bon souvenir de ce spectacle.
Texte magnifique, présence incroyable de la magnifique Fanny. Le jeu de lumières est très subtil et anime bien mais cela ne comble toutefois pas la mise en scène un peu minimaliste. La beauté du texte ne suffit pas toujours. Je garderai toutefois un bon souvenir de ce spectacle.
19, rue de Surène 75008 Paris