La terre est une histoire de crime. Un crime sans criminel. Un de ces crimes qui " nous a échappé " . Que le silence a caché. Silence des gens qui ont regardé ailleurs. Maria revient chez elle neuf ans après le crime et découvre que le silence est pire que tous les châtiments.
C'est peut-être cela qui définit le XXe et le XXIe siècle : notre regard absent, qui n'a pas vu la fumée dans le ciel de Buchenwald, qui ne voit pas l'Atlantique plein d'Africains morts ou qui fait semblant de ne pas voir.
José Ramon Fernandez
La Terre s’est imposée à nous en 2010 à l’occasion du festival « La scène espagnole d’aujourd’hui ». Irène Sadowska nous a soumis ce texte, trouvant qu’il faisait écho à d’autres pièces et créations de notre compagnie. En effet, La Terre parle d’Espagne, comme Traversée parlait du Brésil et Parfums de plaisir et mort de Taiwan. Or, à chaque fois, c’est bien de nous qu’il s’agit. Ces trois textes ont en commun la lutte contre les autoritarismes, contre « le silence », contre l’invisibilité imposée à certains êtres humains, la mise en question du racisme, du sexisme… Autant de motifs qui inscrivent La Terre dans la continuité de notre recherche, de notre trajectoire et nous n’avons pas pu rester indifférents à la force, l’intelligence, la beauté, la fluidité et le rythme de l’écriture de José Ramón Fernández.
Dans son écriture, nous trouvons cette même volonté qui est la nôtre, de questionner le passé des personnages afin de comprendre leur comportement présent. Ainsi, la relation entre les protagonistes d’une scène va trouver ses racines dans des situations antérieures. Cela rendu visible, on peut anticiper ou élucider l’enjeu dramatique, le rapport entre les personnages.
L’écriture épurée de J.R. Fernández, la présence du conteur en relation directe avec le public, sont des éléments qui trouvent écho dans notre pratique dramaturgique. En adoptant le jeu frontal, où le public est le partenaire privilégié du dialogue entre les personnages, nous faisons le choix de la sobriété. Pas d’artifice, pas d’excès.
C’est le texte et l’interrelation entre les personnages qui constituent le moteur de l’action théâtrale. Avec le soutien précieux de Delphine Dey, pour une première distribution des personnages et actions, nous réalisons une lecture publique en octobre 2010. La pièce s’impose alors dans la continuité de notre travail, de notre trajet. Avec Isabel Ribeiro nous commençons un travail d’adaptation, en dialogue avec José Ramón Fernández.
Deuxième étape en novembre 2011 : fragments du travail en cours dans le cadre de EDGE Festival, au Teatro Verdi de Milan. Entre le texte, la musique et la vidéo, le spectacle se construit, facilitant l'inter-relation entre les personnages et le public.
La musique est essentielle dans chacune de nos créations. Dans La Terre des compositions originales créées spécifiquement pour la pièce, se construisent au même temps et en harmonie avec la mise en langage théâtrale et sont partie intégrante de la pièce. L’objectif recherché n’est pas celui de créer une musique d’inspiration espagnole mais de trouver des éléments musicaux qui s’intègrent naturellement au texte. Les arrangements avec des cordes, des claviers de percussion, des percussions ainsi que les voix, se structurent pendant les répétitions et selon les impératifs de la mise en scène. Les deux musiciens, en scène, sont en symbiose avec les personnages dramatiques, permettant la mise en place d’atmosphères bien définies.
C’est un moyen de faire émerger doucement de l’intimité de l’acteur, ce qui sera pour le public la fiction du personnage, ses interrelations : le théâtre.
La corrida, archétype de l’âme espagnole, élément dramatique, qui pousse les personnages vers la déraison, sera une inspiration forte lors de la création de ce spectacle, surtout en évitant tout aspect folklorique.
La scénographie, ici, est déterminante. Nous avons choisi Sylvain Barré, plasticien, graphiste, artiste visuel, pour concevoir un double espace de jeu. Au coeur, un lieu sobre, épuré, ascétique, dessiné par les lumières et les ombres.
Le soleil et la nuit. C’est le lieu de la famille, où l’essentiel de l’action dramatique se déroule. Ce lieu nous permet, autant qu’au public, de vivre les changements d’époque, de situations : habité simultanément par le présent et par le passé. Au-delà, les champs, les cérémonies collectives, le village, sont suggérés par le trompe-l’oeil, par des projections d’images et par des sons, des bruits. Des vidéo projecteurs élargissent vers l’infini l’espace de la scène et font exister la pression du monde extérieur. Évitant toute tentation réaliste, l’utilisation de la technologie (vidéo et son) cherche à stimuler l’imaginaire. En outre, Telma Rinkes, qui travaille avec nous depuis plusieurs années, propose des costumes contemporains qui se construisent sur les corps des comédiens, en coïncidence avec la création des personnages.
En créant ce spectacle au Théâtre de l’Opprimé, avec sa scène irrégulière et son mur en pierres, nous tirons parti de l’intégralité de son espace : le monde est autour de tous, dans les alvéoles (côté cour), entrées et sorties, coulisse, loges. Ce dispositif est conçu pour s’adapter aux autres lieux d’accueil, faisant de la différence entre les uns et les autres un atout supplémentaire.
Rui Farti
78, rue du Charolais 75012 Paris