C’est la septième fois que Marcel Maréchal met en scène et joue Molière. Il monte sous le chapiteau des Tréteaux de France une de ses comédies les plus brillantes, celle qui a connu le plus grand succès.
Créée en octobre 1670, Le Bourgeois Gentilhomme est un feu d’artifice de rires, de couleurs et de musiques que Marcel Maréchal inscrit dans l’univers du cirque. On connaît l’histoire de Monsieur Jourdain, ce marchand qui se rêve gentilhomme et décide d’apprendre les usages de l’élite – les mots qu’il faut dire, les danses qu’il faut danser, les vêtements qu’il faut porter et qui vous classent dans l’élite sociale sur votre seule apparence.
Comme toujours, Molière parle de son temps et du nôtre. Et si on rit de Jourdain, grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf, on rit autant de cette société du paraître et du bling-bling dont il est le révélateur.
Le héros comique est un fou, et Jourdain est par excellence un héros comique. Totalement inconscient, totalement en proie à son délire, vivant d’une vie totalement imaginaire, et enfermé par sa folie dans une totale solitude, Jourdain est de la même race qu’Argan, Harpagon, ou la Bélise des Femmes savantes, qui ne voient plus le réel qu’à travers leur folie et veulent régler sur elle l’ordre du monde. Il semble qu’après Le Misanthrope, après la démission d’Alceste renonçant à un monde injuste et faux qu’il sait ne pas pouvoir changer, Molière ait laissé la porte de son théâtre ouverte à tous ces fous fieffés, ces délirants maniaques qui vont peupler la scène comme ils peuplent le monde.
Jourdain est de ceux-là. Pour Jourdain muré dans sa folie, la réalité a épousé totalement la forme de son rêve. Héros comique à l’état pur (ce héros dont on a pu dire qu’il était la figure comique du héros cornélien, lui aussi ivre de volonté), Jourdain, maître de lui comme de l’univers qu’a créé souverainement son délire, règne en homme libre sur ses songes, comme les enfants et les fous. Il force le spectateur à le suivre dans sa folie par la vie prodigieuse dont il éclate. On a beau savoir qu’en bourgeois qu’il est, c’est le sentiment de pouvoir tout acquérir par l’argent qui est la clef de sa folie (car c’est l’argent qui fait le bourgeois), son délire a un dynamisme tel qu’il finit par avoir une force conquérante ; il a la sottise éblouissante.
Gilles Sandier
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