Tout semble sourire au jeune prince de Hombourg : la gloire, qu’il récolte sur le front, face aux envahisseurs suédois, et l’amour, qui s’incarne sous les gracieux traits de la princesse Nathalie, sa cousine. Mais vient le jour où tout bascule. À l’aube d’une bataille décisive, le prince fait un étrange rêve. Tandis qu’au petit matin ce songe embue encore son esprit, il écoute à peine le plan d’actions et les ultimes recommandations qu’on lui dicte concernant la direction de sa cavalerie. Au moment décisif, plutôt que d’attendre le signal convenu, Hombourg, intrépide mais guerrier hors pair, transgresse les dispositions prévues, lance l’assaut final et permet de remporter une victoire décisive sur les Suédois. Le voici héros du jour, mais, en même temps, coupable de désobéissance. (…)
Toute la pièce est une énigme… ou peut-être un songe… qui commence par un somnambulisme et qui finit par un évanouissement…
Ou bien est-ce l’histoire d’une lâcheté et d’un héroïsme ? Est-ce le résultat d’une impulsion inconsciente ou celui d’un véritable choix ?
De quoi parle Le Prince de Hombourg ? De comment on peut vivre tout en dormant… ou rêver de la vie… comment Éros se mêle impitoyablement aux décisions conscientes… comment la mort joue avec les glissades et les chutes des hommes… comment on peut entendre sans écouter… en écoutant les voix intérieures plutôt que celles de l’extérieur… comment la guerre est le terrain extrême de toutes les possibilités d’action… par le geste le plus extrême, l’homicide… comment les impulsions nous dominent… et comment la raison nous condamne à mort pour faire taire ces impulsions… L’ordre, l’obéissance aux règles, est-ce cela la mort ? Qu’est-ce que cette pièce tente de nous dire ?
Comment le symbole finit par l’emporter sur le réel… Le symbole, est-ce une couronne de laurier sur la tête des poètes et des héros ? Seul un geste de clémence ou d’appréciation du père peut nous sauver… mais cela vaut seulement une fois que nous aurons accepté de monter sur l’autel, le couteau sous la gorge. Le père dispense-t-il la justice… ? Ou la clémence… ? Ou bien le pardon quand il nous a condamnés à mort pour l’avoir emporté contre la loi ? Au fond, est-ce notre victoire qui a été condamnée ?
Et cette victoire, peut-elle être seulement remportée contre les lois du père ? Pour ensuite nous emmener à une condamnation et accepter celle-ci comme la seule possibilité d’affirmation de notre être au monde ? La seule issue de la condamnation, est-elle vraiment notre acceptation, et la conséquente clémence du père ?
La mort, vient-elle vers nous habillée en femme perdant un gant ? Éros dissémine des gants perdus, dévoilant des mains délicates et gracieuses – l’histoire de notre culture… Combien de temps faudra-t-il pour que ces mains deviennent squelette ?
le sens se perd dans les élans, dans les fulgurances… le prince est notre héros, l’avatar de nos songes… nous vivons avec lui dans des formes et des paysages durs, de pierre ou de fer… des scènes coupées au sabre… comme dans la charge d’une cavalerie exaltée… des scènes fragmentées, éclatées, livides… incongrues, l’une après l’autre… chaque scène, un tableau différent… qui répond à un système symbolique tour à tour différent… mais qui, toutes assemblées, créent une grande fresque… comme une chapelle cachée dans une grande cathédrale dépouillée…
Sur le chemin du prince, une fosse… les croque-morts au travail… Par le biais de sa mère putative, le prince demande clémence à l’Électeur, son père électif… Au théâtre, est-il possible que, dès que le père prend du pouvoir, les fossoyeurs commencent à creuser ?
La Cour d’Honneur est une paroi ardue, un plateau sous un abîme… c’est là où le prince affronte la guerre, la peur, l’exaltation, le désir, la mort… c’est là où les personnages tombent et se redressent. On les croit morts, mais ils vivent pourtant pour condamner ou être condamnés, pour donner la grâce ou la recevoir…
Mais où est la guerre dans tout cela ? Là, au fond, là où l’élan et le cri surgissent sans calcul, sans raison… c’est ce moment d’exaltation qui nous fait remporter la victoire ou perdre, qui nous perd, dans lequel nous nous perdons… car nous n’avons pas écouté… car nous pensions à autre chose… à l’autre… Images, rêves, fer, chevaux… armes… une paroi gravée de signes picturaux… explosions de couleurs… feu… lances incendiées… visions du jugement dernier… combats… chutes sans fin… corps nus et corps protégés… enveloppes… surfaces en mouvement transpercées par les coups… corps projetés… couleurs vives… explosions de couleurs… fer, pierre…
Giorgio Barberio Corsetti
49 avenue Georges Clémenceau 92330 Sceaux