Le Roi Lune

Le Roi Lune, c'est la fin d'un monde. Louis II est l'image inversée, en clair-obscur, d'un autre roi qu'il admirait tant, Louis XIV, le roi Soleil. Etrange et fascinant destin que celui de Louis II de Bavière, le "roi fou", qui, avant d'être interné et de mourir "noyé" dans soixante centimètres d'eau, organisait d'étranges soupers où, le plus souvent seul, il conviait des fantômes à sa table.

L'auteur, Thierry Debroux (Le Livropathe, Sand la scandaleuse...), imagine l'un de ces soupers. Le Roi vient d'apprendre la mort de Richard Wagner et, fou de douleur, tente de faire revivre le compositeur. Cette scène fantastique est le prétexte à l’évocation de la vie du monarque. Les autres convives sont son mignon du moment et son premier ministre. L’un vacille entre l’affection qu’il porte au roi et le chantage dont il est l’objet de la part du gouvernement ; l’autre est un homme terre-à-terre, au pragmatisme bien bavarois, qui voudrait écarter le roi du pouvoir (estimant que « cet homme n’a plus sa place dans ce siècle » et que « s’il était cohérent avec lui-même, il se tirerait une balle dans la tête »).

De confidence à son mignon en joute oratoire avec son ministre, le souper va se transformer, à sa propre demande, en procès de Louis II et de ce qu’il incarne : une conception finissante de l’Europe, la résistance au pangermanisme prussien, la folie, et une certaine incarnation jusqu’au-boutiste et surannée du romantisme allemand en bute aux « petits esprits des Allemands de ce siècle ». Etrangement les adversaires du monarque ne semblent pas vouloir utiliser ouvertement l’homosexualité du roi pour l’écarter du pouvoir…

Celui qu’on appelait le roi fou était également un roi maudit, comme il y a des poètes maudits. Thierry Debroux nous le présente sous les traits et avec le discours d’un personnage à l’humour cinglant et cynique. Il en fait un être plus volontaire, une espèce de battant sur le retour qui réagit, en un dernier sursaut, aux menaces qui pèsent sur son pouvoir. Il dresse un portrait différent du souverain, qui est souvent dépeint dans les livres d’histoire et les biographies comme un être faible et fou, au romantisme mélancolique et alangui. L’auteur lui prête également une profondeur, et une clairvoyance politique qui n’est pas historiquement avérée. Cette approche est donc peut-être idéologiquement idéalisée. Cette liberté d’auteur ne nuit pas à la puissance de la pièce et en nourrit le texte de considérations très actuelles.

L’évocation de ce despote éclairé et dément, torturé et culpabilisé par son homosexualité, nous vaut quelques tirades particulièrement bien écrites, équilibrées et interprétées. Le Roi Lune est une pièce à ressorts et à rebondissements. Elle capte l’attention et maintient l’intérêt ; et il n’est nul besoin de particulièrement bien connaître la vie de Louis II de Bavière pour la suivre. Au fil de la pièce, les dialogues entrent en abîme, entraînés par la spirale morbide de la folie du roi. Et là, la puissance du texte et de l’interprétation donnent toute leur mesure !

Le texte est publié aux éditions Lansman.