- Un maudit des lettres françaises
Il y a d’abord derrière ce spectacle un écrivain, bref compagnon de route des surréalistes, reclus volontaire jusqu’à sa mort, dans un hôpital psychiatrique. Tel fut Stanislas Rodanski, dont la quasi-totalité des œuvres ne parut qu’à titre posthume, malgré l’admiration que lui vouait l’exigeant Julien Gracq. Rodanski, un maudit des lettres françaises.
Toute son écriture semble marquée du sceau de l’énigme. Ses phrases paraissent sculptées dans un ivoire inconnu sur terre. Chacune ouvre les portes d’un jeu mystérieux des correspondances.
Quand Georges Lavaudant découvre le texte, il est, comme beaucoup, foudroyé par la force poétique de cette langue, par la vérité quasi charnelle de ce huis clos où la mort et l’Hamour – c’est ainsi que l’orthographie Rodanski – dansent un étrange ballet.
Créé au Printemps des Comédiens en 2016, le spectacle est joué au TGP pour trois représentations exceptionnelles.
- Note d'intention
Comme très souvent avec Rodanski, qui à ma connaissance n’a jamais écrit de véritables pièces de théâtre, nous nous trouvons confrontés à plusieurs énigmes qu’il nous faut déchiffrer, parfois même accepter de laisser irrésolues. En apparence, nous sommes dans un hôtel/palace/tombeau (chez Rodanski, ne biffez jamais les mentions inutiles). Un dandy/criminel/poète du nom de Lancelot (comme le valet de trèfle) vient d’empoisonner/pousser au suicide une amie/amante portée sur le mensonge et les jeux érotiques. Bientôt on frappe à la porte. Apparaît alors la Dame du Lac, sorte de double ou d’ombre de la précédente, venue pour jouer son rôle. Mais c’est aussi, bien évidemment, la Mort, une mort aux multiples masques.
S’ensuivent quelques échanges décalés, des réponses incertaines, des jeux de mots, des sommations, tout un attirail verbal évoquant des paysages enneigés ou retraçant la figure de la défunte («Imago»). Tout cela à travers de longues phrases enroulées sur elles-mêmes comme des serpents se mordant la queue, sous le regard amusé et en la présence manipulatrice d’un serviteur : Carlton (« la voix de son Maître »). Tout ce beau monde, après l’apparition inopinée de deux gangsters, finira par s’enfuir pour la « Villa des mystères » qui, comme son homonyme pompéienne, réserve bien des surprises.
Bien sûr, ce résumé ressemble à un mauvais fait divers, à la description d'un trip onirique ou à un scénario de série B, un genre que prisait particulièrement Rodanski. Il ne serait rien sans la langue somptueuse, elliptique, surréaliste de celui qui, tel Pessoa et d’autres, emprunta de multiples identités pour mieux brouiller les pistes.
Mais derrière ces jeux de miroirs, ce dandysme de façade, ces chausse-trappes ironiques, il y a une vraie douleur, pudique, distanciée. Douleur de la naissance, douleur de la séparation de ses parents, expérience malheureuse de la déportation en camp de travail près de Mannheim, de la folie. Et douleur d'une Histoire tragique et aveugle, avec en toile de fond la menace jamais apaisée de l'extermination.
Georges Lavaudant