Le Sourire de Sarah Bernhardt
Interview d’Anne Delbée
Anne Delbée a adapté à la scène le livre que lui a inspiré cette grande tragédienne, à laquelle elle porte un immense admiration.
Elle emmène le public dans un Voyage Imaginaire à travers les grands rôles de Sarah
Bernhardt : la Dame aux Camélias, Ruy Blas, La Tosca, Hamlet, Adrienne Lecouvreur, Phèdre et
l’Aiglon, qui fut un de ses grands triomphes, et qui marqua profondément sa carrière puisque Rostand l’a écrit spécialement pour elle.
Ce rôle apporta à celle qui était déjà la voix d’or du théâtre le moyen de traduire cette jeunesse brisée de l’Aiglon et à travers lui tous les espoirs, les révoltes, les grandeurs des jeunes gens.
Sur scène, vous croiserez, incarnés par Anne Delbée et ses partenaires, autour d’une Sarah Bernhardt forte et présente, son père, l’éternel absent de sa vie, son fils Maurice, si cher, l’Aiglon, les soldats de Wagram et de tous les temps, la figure désespérée d’Oscar Wild, et bien d’autres figures, dont celle de la Mort.
Cet hommage, dans le style de celui qu’Anne Delbée avait rendu à Camille Claudel, n’est pas un calque biographique, mais une évocation puissante et émouvante qui tisse un lien entre les évènements et les œuvres d’hier et d’aujourd’hui.
Pourquoi faire du théâtre, peut-on parler d’appel ?
Je mène un profond combat que certains, malheureusement, appellent d’arrière-garde. J’ai reçu un choc apocalyptique toute jeune, en découvrant Claudel, et la grande interprétation de Jean-Louis Barrault, Laurent Terzieff et Alain Cuny. Ce fut une véritable déflagration.
Et Camille Claudel ?
J’ai écrit sur Camille Claudel pour parler de Paul Claudel et de l’art de la sculpture. A partir de ma rencontre avec Paul Claudel, c’est ce vers quoi j’ai tendu.
Le théâtre est une lutte constante !
A 19 ans, j’ai monté toute seule aux Halles les Brigands de Schiller, et j’ai trouvé de jeunes comédiens inconnus à l’époque : Jean-Paul Wenzel, Michel
Boujenah, Jean-Claude Jay, René Ferret, Jean-Pierre Sentier. Mon premier spectacle était une rencontre avec Victor Hugo que j’ai intitulée Le Verbe du Peuple, et quel verbe ! : « Je serai le verbe du peuple », écrit-il, « je dirai tout, ce sera grand ».
J’ai aussi monté la première version de la Ville de Paul Claudel, avec Philippe Bouclet qui créa le rôle
d’Avare, relançant ainsi les rencontres de Brangues.
Votre travail d’écrivain et de metteur en scène a été largement reconnu : votre livre Une femme, Camille Claudel, a obtenu le Prix des Lectrices de Elle en 1983 et a été traduit dans de nombreux pays, et votre nom reste associé à celui de Camille Claudel. En quelque sorte, vous avez révélé Camille Claudel !
Tout cela est vrai, mais ces périodes ne représentent qu’une partie de mon parcours, et je pense qu’il est maintenant temps d’imposer une nouvelle conception de la création et de l’interprétation théâtrale, une certaine manière de vivre un texte, de le faire entendre et d’insuffler ainsi le sens véritable et la force d’une pensée qui continue ensuite à vivre en vous et à vous transformer. Et j’ai la conviction profonde que je peux aider à entrevoir ce caractère précieux et sacré de la vie que portent les grands textes.
Le théâtre est aventure et poésie !
Oui, quelle est cette voix qui nous habite et nous murmure sans cesse d’avancer ?
C’est un moment de violence et un grand moment d’aventure, c’est la démesure, la poésie.
La poésie n’est pas un mot creux, elle force à un acte de transfiguration, de révolution ou de révélation !
Jean Genet conseillait à Roger Blin de faire du théâtre pour atteindre les morts. L’acte théâtral est un cri qui doit réveiller ceux qui dorment. Il est à chaque fois unique. Ce n’est pas une représentation, c’est la vraie dimension de la vie. Un texte vit à travers un corps, une voix, un acteur. J’entends les débats contemporains sur les mises en scène, je me sens au-delà de tout cela, car, pour moi, l’urgence est ailleurs. J’aime à me dire que je ne suis pas un bourreau de travail mais un bourreau de vie.
Vous portez en vous les textes !
Un texte vit, il est fait pour vivre, l’œuvre de Paul Claudel n’est pas une œuvre du 20°siècle, Claudel n’est pas mort! Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’anecdote de Partage de Midi, ce n’est pas l’anecdote de Ruy
Blas, c’est l’écriture comme une sculpture qui ébranle les certitudes et les conventions d’aujourd’hui.
C’est comme lorsque vous écrivez, en dehors de toutes conventions !
Quand j’écris sur Camille Claudel, j’écris un poème et non une biographie ou un roman, j’écris un cri sur Camille Claudel. Je suis devenue célèbre par remplacement, sans le chercher. Le monde est poétique ou il n’est pas !
Aujourd’hui, vous adaptez et mettez en scène votre livre Le Sourire de Sarah Bernhardt.
Le fait d’avoir joué l’Aiglon m’a entraînée sur les pas de Sarah : je l’ai sentie si injustement assimilée à une femme capricieuse, elle qui avait le génie du cœur et une force de caractère sans commune mesure. Une nécessité intérieure m’a poussée vers elle, stimulée par le souffle des poètes qui l’ont éduquée.
Elle inspirait un tel respect que, le soir de sa mort, tous les comédiens décidèrent de JOUER pour Elle plutôt que de ne pas JOUER pour Elle. Le théâtre doit toujours être vivant !
Propos recueillis par Emmanuelle Pautler
place Parmentier 92200 Neuilly sur Seine