Je voudrais ne rien dire sur Le Crime du XXIe siècle. La pièce est écrite. Elle peut parler pour elle-même. Mais je vais essayer de dire quelque chose. A la fin de ce siècle, le monde sera-t-il tel qu’il est montré dans la pièce ? Comment cela pourrait-il arriver ? Non par une soudaine catastrophe mais lentement, centimètre par centimètre. La pièce est une parabole sur la vivacité et la lenteur.
Le monde de C21 est impensable. Mais l’histoire montre que l’impensable arrive toujours - qu’il devient inévitable. Mais ce qui est impensable n’est pas inimaginable. Une des fonctions de l’imagination est d’imaginer l’impensable.
Il y a deux éléments dans C21. Le premier élément est le monde réel créé par l’économie, la technologie et l’administration. Elles ont transformé le monde en friche stérile et la société en désert. Tandis que la société s’effondre, l’administration la réorganise pour la contrôler plus facilement. Elle met tout le monde dans des prisons et des ghettos. L’administration et les soldats sont partout, ils défilent dans le ciel mais ne sont jamais vus. Tout cela a lieu dans le futur. L’autre élément de la pièce a lieu dans le présent parce qu’il est déjà dans nos imaginations. Dans la friche stérile, quatre personnes jouent leur drame personnel en termes universels. Cela est dans notre présent parce que, quand nous avons une appréhension ou une peur du futur, le futur lui-même devient un poids réel, objectif, qui pèse sur notre présent. Nous plions sous le poids d’un fardeau que nous ne portons pas encore. Nous plions sous la terreur que nous en avons. Nous plions et nous nous brisons pour nous trouver nous-mêmes. C’est le drame caché qui a lieu aujourd’hui dans notre imagination - déjà ses symptômes apparaissent dans notre vie quotidienne et sociale. Le théâtre trouve les images qui révèlent ce drame caché pour que sa réalité ne nous conduise pas à l’extinction.
Une saga nordique décrit la durée d’une vie humaine comme le passage vif d’une hirondelle qui entre dans le grand hall par une fenêtre et ressort par la fenêtre de l’autre côté. Imaginez que les êtres humains se soient détruits et, qu’un jour, une hirondelle trouve un bout de chiffon autrefois tissé par des mains humaines, qu’elle s’envole en le tenant dans son bec pour qu’il serve à la construction de son nid - et que devant cela toute la création frémisse. Les poètes ne peuvent pas raconter cette histoire. Le vestige de chiffon est devenu possible et nous avons déjà fait frémir la création avec nos bombes. Nous devrions avoir peur du futur - nous y sommes déjà allés.
Edward Bond, avril 2000
Texte français Michel Vittoz
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