Une entreprise vend des "greniers" en kit sur internet. Chaque acheteur en fait un usage différent selon son imagination ou ses obsessions personnelles, tandis qu'un homme dont le frère s'est suicidé dans un de ces greniers mène l'enquête pour retrouver le mystérieux fabricant.
Le Grenier, pièce, à la fois onirique et engagée, traite du problème des "Hikikomori" (jeunes qui s'enferment chez eux par refus du monde extérieur) et, simultanément, de la quête du monde imaginaire de l'enfance.
Yôji Sakate oppose, en quelque sorte, la liberté totale de l'imagination aux limites imposées par une société japonaise de plus en plus aliénante.
A travers différents portraits tour à tour comiques ou poignants (ados déboussolés, mère abusive, pervers séquestrant une jeune fille, SDF, etc.) Sakate brosse un tableau assez complet et très critique de la société japonaise contemporaine. Des perles d'humour noir ou absurde émaillent cette pièce profonde et poétique qui, en dernier ressort, nous ramène au monde de l'enfance, ultime refuge d’une société qui court à sa perte.
Une mystérieuse entreprise vend sur internet des greniers en kit permettant de vivre coupé du monde. Un homme dont le frère s’est suicidé cherche à retrouver le "criminel" qui les fabrique. Son enquête le mènera jusqu’au constructeur - son alter-ego -, à l’issue d’un défilé de personnages loufoques, touchants ou inquiétants, qui se croisent dans l’espace clos du « grenier » où se déroule toute la pièce.
D’abord mis en vente dans un salon spécialisé, l’ultime refuge du suicidé connaîtra des usages divers : une lycéenne maltraitée par ses camarades l’installe dans sa chambre ; deux détectives style « Dupond et Dupont » y font la planque, avant d’être remplacés par deux samouraïs surgis du passé mais qui leur ressemblent étrangement ; une jeune femme déboussolée s’y enferme pour se protéger des germes extérieurs, excluant ainsi jusqu’à son mari ; un pervers y séquestre, au vu et au su de sa mère, une toute jeune fille ; des SDF y élisent domicile ; deux membres d’une mission humanitaire égarés sur un champ de bataille s’y dissimulent ; deux alpinistes y trouvent refuge lors d’une tempête de neige fantasmatique…
Un lien se noue peu à peu entre ces différentes saynètes menées sur un rythme enlevé, et l’on découvre finalement que ce "grenier", qui concentre toutes les pathologies d’une société japonaise profondément aliénée, peut également devenir source de liberté et de poésie lorsqu’une imagination enfantine s’en empare.
« Quand nous étions enfants, dit le personnage du frère aîné, mon frère et moi voulions construire une machine à voyager dans le temps. Pour pouvoir aller partout et tout voir. » L’imagination est la seule liberté qui nous reste, semble conclure Sakate, tandis que le grenier redevient celui de la vieille maison familiale et que s’achève, sur le bruit du vent soufflant sur les ténèbres, cette pièce à la fois onirique et ancrée dans un monde très actuel.
Corinne Atlan, traductrice
En partant du phénomène réel des "hikikomori", ces adolescents ou jeunes adultes japonais qui, se sentant accablés par la pression exercée par la société japonaise, réagissent en s’isolant de celle-ci, Yôji Sakate tisse une fable puissante. Miroir de la société japonaise, la pièce dépasse l’aspect purement sociologique pour toucher à l’humain, au rêve et à l’universel.
Comment vivre dans un monde dont la dureté confine à l’absurde ? En prenant le parti d’en rire semble répondre Sakate. Le grenier est traversé d’un humour acéré et lucide, un humour japonais qui me fait parfois penser au film de Shohei Imamura, L’anguille.
Profondément japonaise dans son humour et son traitement, la pièce s’élargit sans peine à notre société occidentale. Elle offre un regard différent sur un monde qui est aussi le nôtre. Cette étrangeté, il faut en profiter, profiter de la liberté que ce nouveau regard nous offre. Cette étrangeté, il faut aussi en tenir compte, ne pas la masquer.
C’est pourquoi, je voudrais qu’un musicien vienne explorer sur scène l’univers sonore qui entoure le grenier. Il s’agit de transposer musicalement les bruits de la ville, d’intégrer des chansons, de jouer de tout ce fond musical qui accompagne chaque jour de nos vies sans qu’on y prenne forcément garde… « Hagawa sort. La jeune femme reste seule, immobile. Le thème musical de « Lumière des Lucioles » se met à résonner, annonçant la fermeture du salon. Noir » ; « Bruits de marteau-piqueur. Bruit de marteaux, de clous etc. (…) », « Bruit de l’ascenseur qui s’élève puis grincement de freins, et arrêt soudain »…
Jouer de cette formidable idée de départ, de ce lieu unique, symbolique, de ce grenier qui est comme un trait d’union, qui se balade dans toutes les strates de la société. Ce grenier tout à la fois angoissant et ludique, il s’agira de le rendre scéniquement : une boîte dans laquelle il est impossible de se tenir debout, une boîte dans laquelle on peut entrer par le haut, le bas, les côtés… Le grenier est un espace réduit, concret et, en même temps, il ouvre tout un imaginaire. Il est toujours le même et toujours changeant, comme un jouet d’enfant, comme une boîte transformée en jouet par un enfant.
Il est d’ailleurs aussi le lieu de l’enfance, le lieu de tous les possibles, le lieu des « on dirait que » (On dirait que je serais un samouraï, on dirait que je serais un soldat…). Par la grâce de l’imaginaire, le lieu de l’enfermement devient un formidable terrain de jeu : « Ceci n’est pas un grenier. Nous sommes à bord d’une petite navette spatiale et nous venons d’échapper à des extraterrestres qui essayaient de prendre le contrôle de la station spatiale, nous allons faire un atterrissage forcé sur la planète la plus proche. »
La réalité est transcendée, mais, et c’est ce qui fait toute la force de la pièce de Sakate, elle n’est jamais oubliée. Sur ce terrain de jeu, neuf comédiens qui se connaissent bien assumeront les multiples rôles de la pièce. Il s’agira de trouver une forme de jeu ludique et chorale au sein de laquelle les personnages de Frère aîné et de Bonnet rouge seront comme des traits d’union. Il s’agira de faire exister les individualités au sein d’un ensemble plus puissant, un ensemble qui les absorbe et leur donne en même temps la possibilité d’exister, celui du groupe. Paradoxalement les personnages ne sont jamais seuls dans Le Grenier. Lointains cousins du Bartleby de Melville, les hikikomori tentent de refuser le monde. Mais le monde se rappelle sans cesse à leur bon souvenir…
Jacques Osinski, octobre 2008