Les visiteurs sont invités à entrer, pour leur propre découverte du lieu ; des objets ont été déposés là, en correspondance avec des photographies, des cartes de la contamination.
Une clochette tinte, comme auparavant, au pays, la cloche annonçait les catastrophes. Le guide apparaît alors, présence simple, étrangère. Cette femme, contournant silence et langue de bois de rigueur en Ukraine, prend le risque d’une parole singulière. Elle plante le décor de l’apocalypse avec la douceur de ceux restés là-bas, en terre contaminée. Dans l’espace tendu entre vie et mort, vont affleurer les indices d’un monde à l’envers, les noirs et blancs, les gris de la complexité des cho-ses : nature débordante ou brûlée, kolkhoses abandonnés ou livrés à privatisation précaire, commémorations délaissées, tradition dangereuse…
Traversée documentaire et poétique avec la présence au cœur de l’espace de Vassia, liquidateur de la catastrophe et gardien de l’école. Vies dévoilées en de brefs portraits rythmés. Et toujours les chiffres de la contamination. Et l’humour pour la survie. De la distance. Et la vie qui surgit de la perte. Les enfants qui naissent et grandissent, malades souvent, et qui créent dans la joie des poèmes d’amour à leur pays. Traversée descente dans le corps de la langue ukrainienne, jusqu’au chant.
Ce monde, ici exposé, nous regarde. Il est aussi le nôtre.
Depuis 1998, Brut de béton production a mis en scène 9 “spectacles” à partir de la catastrophe de Tchernobyl. Nous sommes allés plusieurs fois en Biélorussie et en Ukraine. En 2006 -vingt ans après la catastrophe- nous avons joué devant le réacteur en hommage aux liquidateurs (1 million) qui se sont sacrifiés pour réduire les effets de la contamination.
Un des projets que nous comptions réaliser à partir de la diagonale de Tchernobyl (c’est le nom générique du projet 2005-2006) était un “ musée de la catastrophe” inspiré par les écrits de Paul Virilio. C’est pourquoi durant notre séjour en Ukraine en avril mai 2006 nous avons visité trois musées relatifs à la catastrophe de Tchernobyl.
Depuis la luxueuse et impressionnante exposition de la Fondation Cartier sur Paul Virilio la question de la représentation de la catastrophe est un objet d’étude. Toute catastrophe est spectaculaire et pour peu qu’au moins un photographe ou vidéaste ait été présent, ce qu’il aura enregistré fera le tour du monde médiatique tant le public jouit littéralement de cette rupture du temps et de l’espace.
Mais le temps passe et l’émotion aussi. Bientôt ne reste qu’un vague souvenir, une date.
Notre expérience va nous amener à adopter un point de vue radical et inédit concernant la muséographie : il est inutile d’avoir des pièces originales. Ce qui garantit c’est le dis-cours. En effet, outre que les objets de “valeurs” sont contaminés et par là même dange-reux, c’est le témoignage à partir de l’objet (représenté par une photocopie et pourquoi pas par un autre objet) qui l’authentifie.
La contamination n’est pas représentable. Tchernobyl n’est pas représentable.
Notre musée ne sera pas le lieu de l’authentique, de la valeur. Il sera fondamentalement pauvre. Il sera le lieu de la transmission d’un savoir acquis par l’expérience.
Véronique Boutroux va prendre en charge ce musée. De retour en France, elle écrit un texte. Enfin elle adoptera un jeu qui créera une tension entre représentation théâtrale et visite guidée.
La catastrophe de Tchernobyl n’en finit pas de commencer.
Le petit musée de la catastrophe pose aussi la question d’un musée du temps présent. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’il assume.
Bruno Boussagol
35, rue Léon 75018 Paris