Qui sont les Barbares ?
Il n’y a pas d’idée en dehors de l’homme...
Une pièce qui dépasse le message politique
Une sorte de « Platonov, 20 ans après »
Les Barbares, ce pourrait être la suite de La Cerisaie... Les arbres sont coupés et le chemin de fer traverse les grandes propriétés où s’organisaient de longues fêtes ennuyeuses. Un monde est fini, un autre a commencé. Aux militaires sans batailles, aux étudiants sans projets, aux riches propriétaires désœuvrés, succède une société de petits-bourgeois, intellectuels, dévoyés, vagabonds, déclassés, sous-prolétaires analphabètes.
Dans Les Barbares, deux ingénieurs arrivent à Verkhopolie, lointaine province oubliée par la culture et le progrès, pour installer le chemin de fer. Agissant comme des révélateurs, ils vont agiter les vagues de la vulgarité de l’âme humaine : privilèges mesquins, abus de pouvoir, asservissement, humiliation, égoïsme, violence, dans les relations sociales comme dans les relations intimes. Les intrigues se nouent, se côtoient, se croisent, progressent, se perdent, et parfois se résolvent. Elles sont toutes teintées de pouvoir, de passion, de pulsions, sombres souvent.
On pourrait se croire chez Tchekhov admiré par Gorki et avec qui il entretint une correspondance régulière, mais on sent passer le souffle de Dostoïevski. Une grande pièce digne d’un roman aux accents crépusculaires, très peu montée en France et qui ne donne pas de réponse quant à son étrange titre : Les Barbares, qui sont ils ? La mesquine société de Verkhopolie ou les étrangers porteurs de « lendemains radieux » ?
Éric Lacascade
Le texte français d'André Markovicz est paru aux éditions Les solitaires intempestifs.
Pour moi, il n’y a pas d’idée en dehors de l’homme, c’est lui, et lui seulement, qui m’apparaît comme le créateur de toutes choses et de toutes les idées. C’est lui le thaumaturge, et, dans l’avenir, le maître de toutes les forces de la nature. Ce qu’il y a de plus beau en notre monde est créé par la main de l’homme, et toutes nos pensées, toutes nos idées naissent du travail. L’histoire du développement de l’art, de la science, de la technique nous en convainc. La pensée vient après l’acte. Je m’incline devant l’homme, parce que je n’aperçois sur cette terre rien qui soit en dehors des incarnations de son intelligence, de son imagination, de son invention.
Maxime Gorki, Extrait de Le Métier des lettres, essais, notes et souvenirs(1924), chapitre I, texte français Véra Volmane, La Nouvelle Édition, Paris, 1946.
Lorsque Gorki commence à écrire Les Barbares, il est âgé d’une trentaine d’années, il sort de prison, il est contraint à l’exil. Il ne cherche pas pour autant à faire des Barbares une pièce politique. Il écrit sur la vie, la souffrance, les difficultés de l’existence, les aspirations, les notions de résistance et de groupes. Cette pièce dépasse le message politique. Les problématiques politiques de la Russie de cette époque : collectivisation, acquisition de la connaissance par les masses populaires, paysannerie, goulags, prolétarisation, sont présentes, mais n’en font pas l’action principale. L’action principale tient dans les échanges amoureux qui circulent. C’est autour de cette action principale que se perçoivent les échos de l’histoire de la Russie révolutionnaire, et c’est ce qui rend la pièce représentable, cent ans après son écriture.
Il n’y a pas de lendemain chez Gorki, pas de nostalgie de l’avant. Tout se joue dans le présent, dans l’instant. La pièce a souvent été lue dans un sens unilatéral : Gorki, l’écrivain honoré malgré lui à son retour d’exil dans une Russie stalinienne, n’oublie pas qu’il crut au socialisme révolutionnaire même si, très tôt, il s’est défié du bolchevisme. Les ingénieurs des Barbares peuvent être interprétés comme les porteurs du socialisme. C’est dans ce sens que la pièce fut montée en URSS jusque dans les années 70. À Saint Petersbourg, montée par Tostagonoff, le message en fut bouleversé : apparut alors la confrontation violente entre les porteurs du savoir, de la culture, du progrès, et une population coupée de tout, privée de culture, réduite à la misère sociale, intellectuelle et affective.
Entretien avec Éric Lacascade, propos recueillis par Angelina Berforini
Après un long compagnonnage avec Anton Tchekhov - Ivanov, La Mouette, Cercle de famille pour trois sœurs et Platonov -, Éric Lacascade met en scène Les Barbares de Gorki pour raconter ce qui pourrait être une suite aux aventures des héros tchekhoviens, une sorte de « Platonov, 20 ans après »...
Dans cette œuvre, rarement jouée, Gorki imagine l’arrivée de deux ingénieurs chargés de construire un chemin de fer dans une province oubliée de l’Empire russe, dans une ville où il ne peut rien se passer. Ils vont par leur seule présence mettre en ébullition le petit monde étriqué de ces endroits figés dans le passé qui, d’un coup et brutalement, se confrontent aux changements sociaux et économiques d’une Russie en plein bouleversement. Tout un quotidien de mesquineries, d’humiliations, de ridicules abus de pouvoir, de petitesses en tout genre apparaît alors.
Imaginant une construction dramatique où de multiples petites histoires s’entrelacent pour former une fresque, Gorki raconte cette vie qui souvent tourne à vide, ces désirs inassouvis d’une population qui voudrait le changement et en même temps craint les bouleversements qui pourraient survenir et déranger le petit ordonnancement du quotidien qui rassure. Nous ne sommes plus dans le regret du monde ancien que développent les héros tchekhoviens mais de plain-pied dans le nouveau monde, celui des « barbares ». Petits-bourgeois, étudiants et intellectuels sans causes et sans avenir, déclassés de toutes sortes, mais aussi ingénieurs venus d’ailleurs promettant un avenir enthousiasmant, tous peuvent être barbares dans cette Russie prérévolutionnaire de 1905 dont Gorki dresse le sombre tableau. Plus de nostalgie, plus d’excuses, mais un constat sans complaisance de la réalité puisque, selon Gorki, « le carrosse du passé ne nous conduit nulle part ».
Réunissant son collectif de comédiens qu’il avait déjà mis en scène dans Platonov avec l’engagement qu’on leur connaît, Éric Lacascade veut faire entendre la force de l’écriture de Gorki à travers les voix multiples qui composent ce chœur de personnages. Un Gorki engagé dans la lutte politique pour un monde meilleur, un Gorki révolutionnaire, mais toujours indépendant, dont l’œuvre entière est un témoignage fort sur cette société qui brime et écrase les plus faibles. Un auteur dont Éric Lacascade se sent proche, lui qui a toujours lié sa pratique artistique aux préoccupations des hommes de son temps.
Jean-François Perrier
pièce magnifique qui vous prends et vous emmène pendant 3h30 dans un univers dans lequel vous apprenez tout, j'ai adoré, mes sentiments sont sans cesse utilisé pour me laisser à la fin une très jolie trace, des comédiens sublimes!!
pièce magnifique qui vous prends et vous emmène pendant 3h30 dans un univers dans lequel vous apprenez tout, j'ai adoré, mes sentiments sont sans cesse utilisé pour me laisser à la fin une très jolie trace, des comédiens sublimes!!
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