Le conte
Ray Bradbury
L'oeuvre
Notes de mise en scène
Les images de Mars
J’ai toujours rêvé de Mars
« Le conte se présente comme un milieu translucide, mais non transparent, dans lequel le lecteur voit se dessiner des figures qu’il ne parvient jamais à saisir tout à fait. Le conte est une nouvelle « hantée » par une signification fantomatique qui nous touche , nous enrichit, mais ne nous éclaire pas. Archétype noyé dans l’affabulation puérile, tel est le secret du Conte. Il serait sans doute facile de dégager les mêmes ressorts de son avatar contemporain : la science-fiction. »
Michel Tournier
L’enfance de Ray Bradbury a été marqué par les contes de fées, les récits d’aventures et les comics. A 12 ans, il est à la fois impressionné et émerveillé par une représentation de magie. Il déclare à ses parents qu’il deviendra le plus grand magicien du monde.
A 22 ans, il publie des contes fantastiques, mais alors qu’il souhaite s’affirmer dans la science-fiction, « Astounding » refuse ses récits parce que pas assez scientifiques. Le soin qu’il apporte à l’écriture, notamment à la mise en place de réseaux d’images, de jeux d’oppositions, donnent à ses récits un supplément de sens, une dimension symbolique.
C’est à partir des années 40 qu’il fut consacré pour son originalité et son sens poétique avec les Chroniques Martiennes. Il est aujourd’hui considéré comme l’auteur de science-fiction le plus populaire.
Depuis 1993, l’Air du Verseau travaille autour de la parole : le conte, le théâtre, ainsi que le chant et la poésie. Le projet artistique de la compagnie est la transmission d’histoires : contées ou jouées, réelles ou imaginaires, à travers la parole d’un conteur, l’incarnation d’un acteur… Avec les Chroniques martiennes, nous abordons l’épopée futuriste. Nous remercions M. Ray Bradbury de nous avoir accordé l’exclusivité des droits.
Voilà un texte qui se propose de nous faire rêver le futur et nous conduit le plus souvent dans le passé. Mars ne saurait être un nouveau monde que pour les terriens qui apportent aussi leur temps avec eux. Un temps moderne, collectif, qui s’oppose au temps martien. Mars, pour les martiens, est au contraire un monde très ancien, pourvu d’une longue histoire inscrite dans le paysage.
Bradbury établit un parallèle flagrant entre la conquête de Mars et celle de l’Ouest américain. On peut lire ces Chroniques Martiennes comme une parabole de toutes les formes de colonisation. L’œuvre en aborde d’ailleurs les aspects les plus nobles dans leurs intentions : l’ambition de peupler et de rendre fertile un nouveau territoire, mais aussi les plus sordides : l’envahissement « par vagues », le génocide (bien qu’involontaire) dû à la transmission d’un virus, l’exploitation mercantile d’un sol conquis, la destruction des équilibres écologiques.
Bradbury met en scène des personnages « moyens », en général des braves gens qui, sans penser à mal, ne songent qu’à rebâtir sur Mars leur décor familier. Cela permet de montrer à quel point nos usages sont tenaces et peu compatibles avec le changement radical que demanderait une fusion harmonieuse avec un nouvel environnement et une autre civilisation.
Ce paradoxe est d’autant mieux mis en relief que les valeurs de civilisation sont du côté martien : opposition entre la Terre (agitation, violence, production en série, matériaux industriels rapidement usés, matérialisme…) et Mars (silence, paix, noblesse et pérennité des matériaux, spiritualité…).
La maison du couple martien a beau être d’une technologie avancée, elle n’a pour but que de recomposer un paysage naturel, de mettre les occupants en contact avec les éléments primordiaux : la terre (mur producteur de fruits frais), l’eau, l’air (une brume sert de lit à Ylla), le feu.
A travers cette œuvre, la mission de Bradbury est d’être un moraliste de l’âge de l’espace. L’ « utopie » martienne évite à l’auteur d’achever son histoire dans un pessimisme sans mélange.
Dans Pique-nique d’un million d’années, lors d’une scène fortement symbolique, le père brûle devant ses enfants des documents titrés : l’argent, l’abstraction, le cours de la bourse, le dogmatisme, l’impérialisme, etc.
Il brûle un mode d’existence. Finalement, ce ne sont plus des colons qui viennent s’installer sur Mars mais des immigrants désireux de rompre avec le passé pour devenir les nouveaux martiens.
D’après Jacques Chambon.
Au départ, les Chroniques martiennes est un recueil de nouvelles. Bien qu’organisées suivant une chronologie précise, chaque récit constitue un tout indépendant. A travers cet assemblage de nouvelles, c’est en réalité une histoire qui nous est racontée, mettant en scène deux héros : Mars et la Terre.
L’œuvre sera traitée au moyen de différentes formes d’expressions. Avant tout le récit conté et interprété par les comédiens-conteurs, accompagnés au fil de l’histoire par un musicien. La musique viendra répondre à la parole, la rythmer, quelquefois s’y substituer. Les histoires seront racontées en alternance à une ou deux voix.
Alors que les interludes reliant les nouvelles font la part au collectif, les récits, plus développés, sont centrés sur des destins individuels. Certaines nouvelles, riches en dialogues, notamment Ylla, invitent à l’interprétation de personnages. Nous y voyons une théâtralisation possible tout en restant dans le récit. Ce qui concerne le monde des martiens, leurs coutumes, la télépathie, sera travaillé avec une chorégraphe et empreint d’une gestuelle particulière qui mettra en avant l’harmonie de la civilisation martienne.
La nouvelle Viendront de douces pluies est éminemment rythmique, car le récit ne comporte aucun personnage excepté les voix pré-enregistrées d’une maison terrienne automatisée. La parole et le mouvement seront étroitement liées pour souligner l’omniprésence de la machine.
Les interludes ont pour fonction de marquer les étapes successives de la conquête de Mars puis de l’évolution de la Terre vers une troisième guerre mondiale. Certains seront en voix-of ou dialogués, un autre réécrit sous une forme versifiée.
Nous utiliserons également le Chœur. Cette forme plus épique accentuera le tourbillon de cette colonisation spatiale.
Il n’y aura pas de décor, l’expression majeure du spectacle étant le Conte. L’éclairage figurera les changements de lieu et de monde. Une projection d’images réelles de Mars viendra illustrer certains passages du spectacle.
Christophe Hatey et Florence Marschal
Partenariat avec le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales)
La scénographie consistera essentiellement en une projection d’images de Mars. Au départ, la cinéaste Clara Ott pensait créer des « univers martiens », mais grâce à notre récent partenariat avec le Cnes, nous avons rencontré Francis Rocard (astrophysicien au CNES) et François Forget (astrophysicien au CNRS). Ils nous ont fait découvrir de magnifiques vues de la planète rouge, nous persuadant qu’il serait bien plus intéressant d’utiliser les véritables images.
En effet, les récentes photos prises par les satellites nous donnent à voir un relief chaotique, sculpté par les vents, aux formes et couleurs étranges : Canyons gigantesques, vallées de débâcles, nuages de brume autour d’ « Olympus Mons », rides et failles striant le sol, tornades de poussières, ciel orangé, givre et manteaux de neige carbonique…
Tous ces paysages d’un autre monde emportent l’imagination. Ces images si concrètes évoquent des sensations, des sentiments, nous nous surprenons à y voir un tableau d’art moderne, un fond marin, une femme couchée…
Etonnamment, ces documents scientifiques présentent une correspondance avec le monde créé par Ray Bradbury dans son oeuvre poétique.
La planète rouge fascine. Si lointaine encore et si proche à la fois. Une planète vierge, inconnue. Prochaine étape de l’exploration spatiale. Sur Terre, nous vivons désormais dans un monde en vase clos, cartographié, qui n’offre plus de place au désir incessant d’expansion vers l’ailleurs.
Même s’il est peu probable que cette épopée martienne voit le jour, l’imagination abolit la distance et le temps. La fable futuriste de Ray Bradbury nous invite à penser un autre monde, agissant comme un miroir, nous renvoyant une fois de plus à nous-mêmes.
Christophe Hatey
7, rue des Plâtrières 75020 Paris