Spectacle tout public à partir de 10 ans.
La pièce
Entretien avec le metteur en scène
La presse
Dorante -qui doit épouser Marton-, aime Araminte -qui doit épouser le comte. Aidé de son ami Dubois, il va tenter de la séduire et de changer l’ordre des mariages… L’intrigue semble d’abord amoureuse, mais voilà : Araminte est riche et Dorante tout désargenté. Amour ou affaires ? Jeu de rôles ou jeu de massacre ?
Derrière le charme d’une atmosphère policée et d’un dialogue spirituel, l’absence de scrupules ou de morale est frappante ; qu’il soit épris d’Araminte ou de sa richesse, Dorante est prêt à tout pour atteindre son but et fait peu de cas des moyens… Un chef d’œuvre de perversité, où Marivaux sait préserver la bienséance pour parler d’une cruauté raffinée qui ne se repère pas dans le discours.
Pièce trouble pour aliénations amoureuses, Les fausses confidences nous plonge dans un univers de victimes consentantes et d’amours vénéneuses, voire vénales : proies des sentiments et prédateurs opportunistes sont ici bien difficiles à distinguer, car Marivaux semble jusqu’au bout cultiver l’ambiguïté. C’est cet inquiétant et subtil décalage entre les apparences et les motivations profondes des êtres que Jean-Louis Thamin a voulu travailler, en gardant justement tout l’apparat des costumes et des décors d’époque.
Par la Compagnie Indépendante.
Pourquoi monter (et faire jouer) aujourd’hui « Les Fausses
Confidences » ?
Marivaux est toujours d’actualité. Il fait partie des auteurs classiques que
l’on aime à revisiter. Et puis Les Fausses Confidences est une pièce
particulière dans l’oeuvre de Marivaux : c’est sa dernière grande pièce
en trois actes. Après il n’écrira plus que des pièces en un acte. Cette pièce
est très curieuse parce qu’elle s’ouvre sur un théâtre à venir :
parfois on frôle ici la comédie larmoyante, ce qui, au XIXe siècle, va
devenir le mélodrame.
L’intérêt réside dans le décalage qu’il y a entre les apparences et le
propos clandestin de Marivaux.
Les apparences, c’est l’évidence. Un canevas classique pour une intrigue
classique et des personnages apparemment classiques dont on peut aisément déterminer
les origines.
Ajoutez à cela la beauté de la langue et le ton spirituel, jovial, l’humeur
comique qui règne dans la pièce et on se croit dans une vraie pièce de
Marivaux.
Qui dit Marivaux dit marivaudage. Qu’en pensez-vous ?
Personnellement je déteste ce terme de marivaudage et la mièvre préciosité
qui y est attachée ; c’est une vision réductrice de l’auteur qui a été
mal compris pendant longtemps. Il semble que ce soit dans la deuxième moitié
du XXe siècle que le malentendu ait commencé à se dissiper.
Mais Marivaux n’a rien fait pour nous détromper. On a vu en lui un auteur délicat,
charmant et spirituel (ce qu’il est aussi) mais on n’a pas voulu aller plus
loin. Il y a des oeuvres « sociales » (La Colonie, L’Ile de la
Raison) mais on a mis cela sur le compte des thèmes à la mode dans cette période
des Lumières ; c’était plus du domaine de l’utopie et on ne s’est
pas trop alarmé de ce que l’on prenait pour des fictions. Thomas Bernhard a
écrit « A mon théâtre il faut tendre l’oreille ». Si on tend
l’oreille et que l’on scrute de près le théâtre de Marivaux et particulièrement
Les Fausses Confidences, on s’aperçoit avec étonnement qu’il
y a un monde qui nous avait échappé et qui fait la force et l’originalité
d’un auteur retrouvé puisqu’à partir de cette découverte on considère
d’une autre façon une oeuvre au côté de laquelle on était passé au nom de
la bienséance.
Marivaux : un auteur aux idées avancées ?
Il ne s’est jamais affiché comme tel (d’ailleurs il ne faisait pas partie
du cercle des Encyclopédistes) et pas du tout comme un auteur à scandale. On
ne sait pas grand chose de sa vie qui semblait, selon les maigres témoignages
que l’on a, celle d’un homme « normal », agréable en société
et qui ne faisait pas d’histoire. Et qui n’a pas laissé d’écrit qui
puisse nous éclairer sur ses intentions ni sur sa philosophie. Il faut donc
revenir à l’oeuvre. Oui, il a des idées en avance sur son temps...
A votre avis, Marivaux a-t-il écrit une pièce sociale ou une pièce
morale ?
Cette oeuvre est, une fois que l’on a décidé d’être vigilant et de s’écarter
du cliché d’un Marivaux plein de grâce, un véritable théâtre cruel.
Dans bon nombre de pièces de Marivaux, les héroïnes féminines sont des
veuves aristocrates. Or ici, nous sommes dans un milieu bourgeois où l’argent
et l’intérêt sont âprement défendus. On est dans un roman de Balzac. Les
apparences font que tous les personnages ont l’air de prime abord plein de
bonhommie, de bonne humeur, mais derrière, dès que l’on gratte, les
personnages sont horribles. A l’exception peut-être d’Araminte parce
qu’elle a tout (la richesse) et qu’elle est entièrement à son combat intérieur,
déchirée entre l’Amour et l’amour propre. Tous les autres personnages sont
intéressés : Dubois et Dorante ont fomenté un vrai complot pour faire
« tomber » la riche et encore belle veuve ; la mère d’Araminte,
Madame Argante, veut sacrifier sa fille à un noble sans doute désargenté à
qui il ne reste plus qu’un beau nom ; Monsieur Rémy, l’oncle de
Dorante est un affairiste qui veut caser son neveu et pour qui le sentiment
n’existe pas ; Marton, la confidente d’Araminte, est prête à la
trahir pour l’argent que lui a promis le Comte si elle l’aide à conquérir
Araminte ; Arlequin, balourd et naïf, sait tirer l’argent du bourgeois
pour aller boire chopine. Et le Comte Dorimont est en porte à faux parmi ces
bourgeois qui finiront par l’exclure.
Qui est Dorante ?
Marivaux passe son temps à le « sauver ». Dorante n’a de cesse de
dire et redire qu’il aime vraiment Araminte. Il y a un côté romantique chez
Dorante : il s’éprend d’une vision qui descend les marches de l’Opéra
et qu’il poursuivra des mois durant, vision qu’il fixe dans un portrait
qu’il peint et, une fois entré dans la place, il contemplera le modèle en
chair et en os, le modèle dont un autre portrait orne la chambre qu’on lui a
donnée. Mais Dorante accepte de jouer le rôle que lui donne Dubois et se sert
de Marton que M. Rémy lui jette dans les bras pour la laisser choir sans ménagement
et lui briser le coeur. Ce Dorante -qui avoue tout à Araminte à la fin, quand
elle ne peut plus reculer, qu’elle est éprise- qui est-il ? Un amoureux
passionné et inconscient ? Un franc coureur de dot, qui sait très bien où
il va malgré ses hésitations ? L’enigme ne sera jamais levée et fait
partie du mystère de la pièce. Je pense qu’il est les deux à la fois.
Quant à Dubois, son rôle se limite-t-il à celui de simple valet ?
Le mystère de cette pièce est surtout celui de Dubois, un valet, certes, comme
le veut la Tradition, ingénieux, intelligent à la place de son maître, comme
on en voit tant dans le théâtre classique. Mais pourquoi se livre-t-il à ce
jeu, lui, le véritable manipulateur de l’intrigue et des personnages ?
D’abord son rapport avec Dorante est très ambigü. Il fait pressentir le
rapport de Vautrin avec Rubempré (Dorante est parfois aussi Rastignac) et ce
n’est pas le seul aspect balzacien de cette pièce qui se déroule dans un
milieu bourgeois où l’argent est tout. Dubois dépasse de loin le modèle
dont il est issu : le Zani du Théâtre Italien qui a donné chez nous des
personnages comme Mascarille de l’Etourdi ou le Scapin des Fourberies pour ne
citer que Molière. Il dépasse même son propre rôle dans la pièce. Il
n’est pas qu’un hypocrite amuseur et cynique. Son rôle va plus loin. Il est
là pour faire exploser des valeurs bourgeoises fondamentales qui sont celles de
l'argent et de la puissance que donne l’argent. Ses manigances aboutissent à
ce qu’une veuve bourgeoise qui a une fortune considérable (elle a environ 500
000 Frs de revenus par mois) et qui peut donc prétendre à une alliance
prestigieuse, sortir du Tiers-Etat et entrer dans le monde fermé de la noblesse
(comme le souhaite ardemment Madame Argante, sa mère) renonce à cet avenir
tout tracé d’avance et prestigieux pour épouser l’homme qu’elle aime -
bourgeois comme elle, certes, mais sans le sou.
Le comportement d’Araminte n’est-il pas courageux pour l’époque ?
L’histoire de la pièce est aussi celle d’une libération. Il faut remettre
la situation dans le contexte historique et la liberté que prend Araminte en dépit
de son veuvage et de sa fortune qui lui donnent une certaine indépendance, est
un acte de courage social car elle se met au banc de la Société, en tout cas
d’une certaine Société mais sa position ne sera pas aussi tragique et méprisée
que celle d’Anna Karénine. L’Amour -car c’est une pièce d’Amour- est
au-dessus de tout, même au-dessus du mal, car si Dorante est « immoral »,
il accède à l’Amour absolu, peu importe les moyens - c’est ce que pense
Araminte quand, à la toute fin, Dorante lui dévoile le complot dont elle a été
l’objet.
Les Fausses confidences : une pièce sensuelle ?
A partir de là, la pièce prend une dimension qui peut échapper à l’analyse
systématique : une dimension poétique, hors de toute explication. C’est
la dimension « mystérieuse » de la pièce. L’Amour transfigure
tout. Dans l’Amour il y a une part d’érotisme - l’érotisme se trouve
dans le dialogue qui est « piégé » ou codé. Araminte et Dorante
se livrent sans en être tout à fait conscients à cet exercice. Et le
personnage de Dorante est Eros. Dès qu’il entre dans cette maison de femmes (Araminte,
Madame Argante, Marton) où il n’y a pas d’hommes (il y a les domestiques
mais les domestiques n’ont pas de sexe ; nous ne sommes pas chez Lady
Chatterely) c’est l’éveil des sens. Araminte, sans en avoir immédiatement
conscience, éprouve un coup de foudre. Marton, poussée par M. Rémy, s’éprend
de lui. Dubois en véritable destructeur a laché cette « bombe »
dans ce gynécée où régnait « l’indolence » (suivant le mot de
Marton à Dorante).
Marivaux, et on en revient aux apparences, prend toutes ses précautions et reste apparemment dans la « bienséance ». Il n’est pas Crébillon fils, et pas du tout le Marquis de Sade ou Restif de la Bretonne où l’on appelle un chat un chat.
C’est justement ce jeu du chat et de la souris qui est à considérer dans cette pièce où l’on frôle continuellement la sensualité sans avoir l’air d’y toucher. Ce « non-dit » crée le trouble. Et plus on avance dans l’intrigue, plus la pièce s’emballe, plus les personnages perdent la tête. Les « héros » finiront sur les genoux et dans les bras l’un de l’autre !
Quel style de décors et de costumes souhaitez-vous pour Les Fausses
Confidences ?
Nous avons une référence à un graphisme qui est celui de la Grande
Encyclopédie de Diderot. Le décor ne sera pas un décor figuratif,
descriptif ; ce sera une idée de décor. Il représentera un hôtel
particulier du Marais : il y aura vraiment une pièce avec des portes, un
bureau où l’on étale des papiers, et puis, d’acte en acte, le décor
s’ouvrira sur un jardin et, à la fin, on sera dans le jardin. En même temps
que les personnages évoluent, qu’ils se « déshabillent » au sens
moral du terme (laissent tomber leur préjugés), le décor se destructuera. Les
costumes seront dans le style de ceux de la bourgeoisie du XVIIIe siècle, la
bourgeoisie des bonnes étoffes, des bonnes coupes, du solide sans superflu.
Tout sera fait pour donner l’idée des personnages : un costume habille
le personnage et habille l’âme des personnages.
Quel regard Marivaux porte-t-il sur l’Homme ?
Marivaux ne craint ni la censure(et elle est très forte au XVIIIe siècle !)
ni la réprobation morale car il sauve les apparences. Sa vision du monde est
parfaitement pessimiste (le croirait-on avec un dialogue si enjoué, souvent si
drôle...). Il peint l’homme tel qu’il est, à la fois sordide et plein de
charme. S’il n’a aucune confiance dans l’humanité en même temps il a de
la sympathie et de l’indulgence pour elle. Il sait qu’il ne la réformera
pas. Peut-être, les moeurs (les pièces « sociales ») mais pas les
caractères. Alors mieux vaut prendre le parti de paraître optimiste.
"Jean-Louis Thamin nous offre une version exemplaire des Fausses Confidences de Marivaux. Nul besoin d’en rajouter dans la noirceur : cette traque éperdue à la riche veuve que tous, de celui qui l’aime à celui qui n’en veut qu’à ses rentes, manipulent avec une brutalité inouïe, est assez éloquente. Un délicieux spectacle, tout en nuances et en finesse." Laurent Dandrieu, Famille Chrétienne, 26 février 2005
"Rien n’est plus trouble que cette histoire d’amour, où le doute plane si joliment qu’on excuse l’heureux stratagème." Marion Thébaud, Le Figaro, 22 février 2005
"Rythme, précision, élégance sont les maîtres mots d’une mise en scène qui possède l’art suprême de se faire oublier." Valeurs actuelles, 18 février 2005
"Le premier mérite de Jean-Louis Thamin est de nous permettre de voir et surtout d’écouter ce texte éblouissant. Il a choisi, avec Jean Haas, un décor léger, fluide, des costumes soignés. La distribution est brillante, vibrante."Marie-Laure Atinault, Le Journal des Spectacles, mars 2005
« Sachons gré à Jean-Louis Thamin d’avoir tourné le dos à tant de mises en scène sinistres essayant désespérément de transformer Marivaux en un précurseur de Brecht. Ici, du ravissant décor de Jean Haas aux éclairages subtils de Patrice Trottier, tout est fidèle à l’esprit de l’auteur, à sa légèreté, à son refus de s’appesantir, à son pessimisme souriant. » L’argus de la presse, février 2005
106, rue Brancion 75015 Paris