Nominations Molière 2003
Révélation théâtrale féminine : Julie Delarme
Adaptation théâtrale de Françoise Sourzac et Paula Jacques d’après le roman de Paula Jacques "Les femmes avec leur amour"
Le Caire, octobre 1956. Les avions d’Israël survolent le Sinaï. Prélude à la guerre du canal de Suez qui servira de prétexte aux persécutions, aux arrestations et, pour finir, au bannissement des juifs d’Egypte. Sur un fond de catastrophe imminente, l’histoire d’un exil tout aussi définitif que celui qu’on éprouve à quitter son enfance.
Mara, petite juive de 12 ans, vient d’avoir ses premières règles. Sa mère, une bourgeoise dolente, ne se soucie que de l’enfant - « un petit bout de garçon » - espère-t-elle, qu’elle va bientôt mettre au monde. Son père est un pharmacien volage, sarcastique, dont l’indifférence aux évènements dissimule en réalité une amère appréhension du destin juif. Mara doit se sauver seule du désespoir de « devenir grande » et de voir les adultes empêtrés dans leurs faiblesses, leurs mensonges, leurs lâchetés. Heureusement, il y a Zanouba, la bonne musulmane à la peau noire. Zanouba incarne pour Mara le pays, la féminité, la rébellion. Femme du peuple, impériale et cassée tout à la fois, Zanouba a la violence des filles excisées, des femmes violées, des combattantes. Elle se raconte sans pudeur. Sa vie est une suite de batailles souvent perdues, dont elle est ressortie meurtrie, mais jamais défaite. Elle s’essaie à endiguer la rage capricieuse de sa jeune maîtresse, à lui apprendre « à faire son chemin dans la vie ».
L’histoire s’affole. Le Caire est bombardé. Dans les rues, les manifestants réclament le départ des étrangers et des juifs promptement assimilés aux étrangers.
Restées seules à la maison - le père est en prison, la mère couchée dans un lit d’hôpital - Mara et Zanouba nouent des rapports amour-haine d’une extrême complicité, entre fascination et rejet, comme si toute la violence de cette époque venait à se cristalliser entre elles deux. Jeux de séduction érotique et initiation à la sensualité féminine, rapports de classe et règlements de compte. Mara va être contrainte à l’exil, tout l’amour de Zanouba n’y pourra rien changer. Zanouba prend un amant car « il ne faut pas s’attacher aux enfants des maîtres parce que les maîtres finissent toujours par s’en aller et ils emmènent avec eux leurs enfants ».
Mara comprend que les femmes avec leur amour trahissent, parce qu’il n’y a pas d’amour, nulle part, dans ce pays … A travers cette situation houleuse, c’est le lien passionnel et ambivalent de Mara avec l’Egypte - des juifs avec leur terre natale - que la pièce met à jour.
Les femmes avec leur amour est une pièce à deux voix : elle s’ouvre par les confidences d’une petite fille qui devient une femme, au matin du 5 octobre 1956, dans un flot de colère et de honte. Cette petite fille s’appelle Mara, elle habite Le Caire, elle est juive, elle a 12 ans. En face d’elle et parfois proche d’elle, une femme, une vraie femme, qui a connu la vie et souffert dans son corps, dans son âme : Zanouba, la nounou, la dada comme disent les Arabes. Zanouba n’a pas vraiment d’âge, sa peau est noire et Zanouba est musulmane de religion. Zanouba est une rebelle. Les deux voix féminines alternent et se répondent. Mara, les nerfs à fleur de peau, confond le vrai et le faux, adorable penchant de l’enfance. Zanouba, avec feu, avec orgueil, avec une douceur sereine aussi parfois, raconte sa vie comme un roman, un conte noir où alternent magie et trivialité.
A l’arrière-plan, la famille de Mara, les Louria, fortunée que la guerre de Suez va chasser à jamais du Caire, des adultes irresponsables, un père absent qui a la passion des femmes et des échecs, une mère que trop de sucreries et de dentelles apparentent à un pachyderme somnolent, et des voisins, des voisines, des cris, les bruits de la rue, de la ville entière, qui envahissent l’appartement des Louria.
Scène après scène, au fil des deux monologues passionnés qui résonnent en écho et croisent leurs aveux, se noue peu à peu un dialogue, qui est un véritable chant d’amour.
Les deux histoires, si diverses par la couleur, par la musique même, orchestrent leurs points de vue. Elles ne font pas que se parler, que se répondre, elles s’enlacent, elles s’étreignent, affamées d’un même amour. L’émotion va crescendo. Lorsque le drame éclate, le face à face des deux créatures, désormais esseulées, et appelées à plus de responsabilités, se précise, s’aiguise, et devient un rapport de force amoureux. Mara sort de son cocon, dans la douleur, Zanouba vit un premier amour, avec l’exigence et la sensibilité de la maturité.
Puis la paix revient et s’annonce l’exil. L’ordre s’installe enfin, du moins le croit-on, dans ces deux vies torturées. La pièce semble vouloir s’achever avec plus de douceur, mais non moins de fièvre, qu’elle a commencé. On sent pourtant des accents d’une révolte qui ne se taira jamais. Sensible et poétique, aussi vibrante qu’un journal intime, Les femmes avec leur amour recèle des trésors de compassion et a l’étrange et mystérieux pouvoir de consoler les cœurs.
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