"L’oiseau qui tient la branche d’olivier dans son bec se cache encore quelque part dans la brume de l’horizon. En quelque rivage lointain. En attendant l’aurore."
Un pan de l'histoire du Vietnam
Un écrivain debout dans la terre des oublis
Entretien avec Duong Thu Huong
Entretien avec Gilles Dao
La presse
Hang travaille en URSS, comme beaucoup de Vietnamiens. Appelée à Moscou au chevet de son oncle maternel malade, elle se souvient de son enfance et de l'histoire familiale telle qu'elle l'a vécue et telle qu'elle lui a été racontée. Son Vietnam natal lui revient en mémoire, avec ses odeurs et ses images, et par dessus tout le visage de sa mère.
Le passé de Hang et de sa famille, c'est un pan de l'histoire du Vietnam, avec ses soubresauts et ses cruautés, avec ses trouées de lumière, ses souvenirs de douleur, en cette terre russe. Au cœur de cet univers, Philippe Malone et Gilles Dao esquissent une traversée de l'oeuvre de la romancière Duong Thu Huong, une reconstitution d'un Vietnam vécu dans la chair même de l'auteur, mais aussi dans ses représentations que nous portons en nous. Entre les ombres coloniales, les estampes de pacotille, les fantômes entraperçus, les espoirs et les attentes, l'exubérance tranquille et la réalité brutale.
Le texte est disponible aux éditions des femmes, traduit du vietnamien par Phan Huy Duong.
Aux États-Unis, elle serait Rosa Parks et refuserait de se lever dans le bus pour céder sa place. À Rangoon, elle aurait la dignité d’Aung San Suu Kyi, assignée à résidence par la junte militaire birmane. Elle serait folle de mai à Buenos Aires. On l’imagine Rigoberta Manchu au Guatemala ou Winnie Mandela en Afrique du Sud avant qu’elle ne soit emportée par la fièvre des colères... Son nom rime avec celui d’Helena Bonner ou de Nadine Gordimer, en d’autres lieux ; en d’autres temps, avec ceux de Louise Michel ou de Flora Tristan... mais Duong Thu Huong est avant tout elle-même, dissidente et rebelle. Une de ces femmes qui permettent au monde d’être moins laid, de celles qui relèvent la tête et le corps et refusent de se soumettre aux diktats de toute nature. Une de ces entêtées qui ont choisi l’intransigeance et le refus des compromis, contre vents et régimes.
C’est dans le Vietnam dévasté par des années de guerres et d’oppressions qu’elle s’insurge et fait front, dissimulant sous le masque du sourire et des mots ses douleurs intimes. Passionaria sans excès ni vindictes mais avec la force des convictions, elle a l’audace d’une insubordination majuscule. Livre après livre, elle construit une oeuvre irriguée des élans de la poésie et débarrassée du militantisme pesant et empesé.
Ses paradis aveugles sont ceux de son héroïne partie pour l’URSS rejoindre son oncle et revoyant son passé, tel qu’elle a pu le vivre, tel qu’il lui été rapporté, tel qu’il lui a été volé. Elle retrouve la figure de la mère, les gestes d’antan, les odeurs de l’enfance, les dérisoires mesquineries des grands et petits tyranneaux de province et de la capitale, les faiblesses des puissants, et les forces obscures et supérieures de l’oppression balayant tout sur leur passage...
Égarés entre les étreintes d’hier et les fièvres d’aujourd’hui, ses personnages voient resurgir leurs avants. Ils souffrent et s’offrent aux lendemains dans un même déchirement, emportés par une histoire personnelle et collective dont ils ne parviennent pas à maîtriser les outrances, éperdus dans le désespoir de leurs utopies inabouties, de leurs amours impossibles, ratées ou détruites.
Duong Thu Huong sonde les coeurs et les folies d’un Vietnam meurtri où ses personnages s’élèvent, s’indignent, ou s’abandonnent à leur destin, de guerre lasse, quand ils ne sombrent pas dans les dérives du cynisme, de la corruption et les remugles du pouvoir. Elle creuse au coeur de l’interdit et de la soumission, dans les méandres des amours, tour à tour proscrites ou prescrites, là où les êtres ne s’appartiennent plus tout à fait au nom de la raison d’état qui est rarement celle du coeur.
Au-delà des illusions, un parfum d’automne, un écrivain debout dans la terre des oublis. Des paradis aveugles comme les enfers voyants d’une libre insoumise.
Bernard Magnier
Bernard Magnier : Comment est née votre passion pour l’écriture et la littérature ?
Duong Thu Huong : L’envie est venue très tard car dans mon enfance et mon adolescence, je ne pensais pas à la littérature. J’étais très sportive et je faisais beaucoup de compétitions dans lesquelles je représentais ma province. Je voulais être championne de ping-pong ou de gymnastique. J’ai même voulu apprendre à nager mais mon père me l’a interdit car le maître-nageur était un homme... J’ai arrêté mes activités sportives pour commencer à travailler et gagner de quoi manger pour ma famille. C’était au temps du régime socialiste, les rationnements étaient maigres et je devais aller chercher les poissons et les crevettes comme une vraie paysanne. Dans cette vraie pauvreté tous mes rêves d’enfant devaient mourir (rires).
Vous souvenez-vous de vos premières lectures importantes ?
Vers 15 ou 16 ans, j’ai découvert ma première lumière littéraire : Tchekhov puis Dostoïevski, Gogol, Léon et Alexis Tolstoï.
Que des Russes...
Rien que des Russes car nous sommes dans le Vietnam communiste, mais ma jeunesse se trouve éclairée par ces lectures. Surtout par Tchekhov dont j’aime beaucoup le théâtre, en particulier Les Trois Soeurs, La Mouette, Oncle Vania. À cette époque, je n’envisageais pas du tout d’être écrivain car c’est le moment où je me suis engagée dans la guerre comme animatrice culturelle. Nous faisions du théâtre ambulant et nous allions sur tous les fronts pour distraire les soldats et les victimes de la guerre. Tout cela n’a pas contribué à faire naître l’idée d’être écrivain.
À quel moment avez-vous ressenti le besoin d’écrire ?
Pendant la guerre, j’ai découvert des choses qui sont totalement contraires à ce que l’on m’avait appris. J’ai découvert que nous étions des animaux trompés par le pouvoir et que notre jeunesse s’était perdue à cause d’un pouvoir imbécile. Une vie perdue. Des millions de vies perdues. Une génération perdue. Cela a fait naître en moi un besoin de m’exprimer. Après la libération du sud, je suis allée travailler à Hué. Je voulais changer de métier et c’est là que j’ai commencé à écrire, des pensées, des réflexions que j’ai publiées dans des revues. J’ai été embauchée comme scénariste par les studios de fiction du Vietnam et je suis devenue une scénariste autodidacte. Quelque deux ans plus tard, j’ai commencé à écrire des nouvelles.
Dans les années 80 environ...
Oui et cinq ans plus tard j’ai publié mon premier roman, Au delà des illusions.
Vous venez d’évoquer les auteurs russes qui ont beaucoup compté pour vous, plus tard y a-t-il eu d’autres auteurs importants ?
Les auteurs français qui avaient été interdits pendant la guerre et que j’ai découverts plus tard lorsque l’interdiction de traduction a été levée et que nous avons pu découvrir Balzac, Victor Hugo, Anatole France, les poètes classiques, Lamartine, Baudelaire, Apollinaire et aussi les nouvelles de Maupassant, un auteur que j’aime beaucoup. J’ai vraiment été étourdie par ce monde littéraire que je découvrais. Ce sont tous des auteurs classiques, pour l’essentiel du XIXe siècle, vous n’aviez pas accès aux auteurs contemporains. Les contemporains comme Sartre ou Camus sont arrivés beaucoup plus tard, avec d’autres auteurs européens comme Remarque, Hesse, Kafka...
Où se trouve la source de vos romans ?
Je ne suis pas aussi douée que vous le pensez. Je ne suis pas assez douée pour aller chercher mes personnages dans ma tête. Tous mes romans s’appuient sur des histoires vraies, sur la réalité. Mes personnages sont ceux que je côtoie, les membres de ma famille, les gens avec qui je travaille...
Vous souhaitez établir une nette distinction entre vos essais politiques et vos oeuvres de fiction. Vos romans ne sont-ils pas aussi des romans... politiques ?
Je ne sais pas. J’écris d’une façon inconsciente. J’écris les histoires qui défilent dans ma tête et dans mon âme. Je vois tous mes personnages comme sur un petit écran de télévision et j’écris. C’est comme une sorte de script qui s’impose à moi.
Élaborez-vous un plan ? Un cadre sur lequel vous allez construire votre récit ou vous laissez-vous aller au fil de la plume ?
Non, non, non ! Pas de trame ! Pas de plan ! Pour mes romans comme pour ma vie ! Les personnages surgissent de ma mémoire, comme un film et je ne fais que noter...
C’est aussi simple que cela ?
Oui. C’est aussi simple que ça !
Retravaillez-vous ce premier... « script » ?
Non, pas beaucoup. J’écris et je corrige en même temps. Par la suite, je reviens assez peu sur ce premier travail.
Lorsque vous écrivez, vous imaginez-vous un lecteur ?
Non, non ! Jamais ! Je ne pense à personne !
À vous ?
Même pas à moi ! Je ne pense ni à moi ni à un lecteur. Je ne pense pas à l’édition. Je suis totalement obsédée par mon histoire, comme dans une sorte de transe. J’écris pour me libérer.
Vous écrivez n’importe quand ? N’importe où ?
Je n’écris pas quotidiennement comme beaucoup d’écrivains. J’écris quand je veux.
Vous êtes à Paris depuis quelques mois, pensez-vous que cette situation a changé votre façon d’écrire ?
Au Vietnam, je suis combattante professionnelle et écrivain amateur. Ici, je peux travailler comme une véritable romancière. Je peux me consacrer totalement à la littérature. C’est beaucoup mieux.
Est-ce que cela peut modifier votre écriture ?
Ce sera à vous d’analyser cela lorsque vous lirez ce que j’aurai écrit à Paris. Moi j’en suis incapable. Je travaille comme d’habitude. Je suis obsédée par ces histoires qui s’entassent dans ma tête et j’ai ici une bonne occasion de me libérer.
Votre roman Les Paradis aveugles va être adapté au théâtre. Est-ce une première ?
C’est la première fois.
Vous qui aimez l’oeuvre de Tchékhov, êtes-vous tentée par le théâtre ?
J’aime Tchékhov mais je n’ose pas écrire pour le théâtre. Je dois éviter les plus grands sommets.
Outre en français, dans quelles autres langues êtes-vous traduite ?
En espagnol, en anglais, en japonais, en hollandais, en finnois... Je suis incapable de me rappeler toutes les langues. C’est mon agent qui suit tout cela...
En russe ?
Autrefois, dans l’ancien régime.
Les Paradis aveugles, le titre est-il le même en vietnamien ?
Oui, c’est le même.
De quels « paradis » s’agit-il ?
Le communisme est toujours un paradis imaginaire, non seulement pour le petit peuple vietnamien mais pour la moitié de l’humanité.
Lorsque vous dites « paradis », il faut entendre « enfer » ?
Bien sûr ! Toutes les bonnes intentions qui veulent mener les gens au paradis les conduisent souvent en enfer.
Pourquoi sont-ils « aveugles » ?
Parce que la moitié de l’humanité est totalement aveugle. Comme le peuple vietnamien ! Je crois que la vie humaine est toujours comme ça.
Vous avez un jour déclaré « écrire est dangereux et cent fois plus dangereux pour une femme »...
La destinée de la femme c’est l’amour des hommes mais quand on écrit, on doit totalement se perdre dans la littérature et c’est pourquoi la vie privée en subit les conséquences. Un écrivain c’est une sorte de fou ou de folle !
Lorsque vous relisez vos...
Je ne relis jamais ! Ce qui est passé est passé. J’oublie tout de suite.
Cependant lorsque vous regardez votre passé de femme, de militante, d’écrivain, y a t-il des moments que vous regrettez ? Pensez-vous avoir fait des erreurs ? Pensez vous que ces erreurs ont été utiles?
(rires) C’est une question importante. Les erreurs sont quelquefois utiles. Bien sûr. Les erreurs font naître la sagesse.
Quelles sont les erreurs qui ont fait naître votre sagesse ?
L’erreur de m’engager totalement avec la confiance d’une Vietnamienne traditionnelle qui pense que la chose la plus importante c’est de garder l’indépendance. Nous nous sommes battus mille ans contre les Chinois ! L’histoire est comme une sorte de comédie. Un peuple peut être trompé comme une personne.
Et si c’était à refaire... qu’est ce que vous referiez pas ?
Je ne regrette rien. Mon destin est celui-ci. J’ai cherché mon chemin de cette façon parce que mon destin m’y obligeait. Je ne regrette rien !
Comment envisagez-vous la suite ? Demain ? Après-demain ?
Je vis depuis très longtemps. Je peux mourir à n’importe quel moment. C’est ma force. Je suis toujours calme, même dans les moments extrêmes, même lorsque j’étais en prison. Je considère la vie comme un jeu.
Un jeu parfois dangereux ?
Bien sûr.
Quel est votre statut aujourd’hui au Vietnam ?
Depuis 1990, on interdit la publication de mes livres. Le secrétaire général du Parti a même donné l’ordre de récupérer tous les exemplaires des Paradis aveugles mais la directrice des Editions des femmes vietnamiennes a dit que cette opération était impossible car les livres avaient déjà été vendus... Mon nom ne doit pas être cité dans des articles. Cela fait longtemps maintenant que je suis comme un fantôme dans mon pays.
Mais vous avez eu l’autorisation de sortir...
L’année dernière, j’ai reçu un prix littéraire en Italie et un groupe de personnes autour de l’ambassade d’Italie s’est battu pour récupérer mon passeport. Cette année, c’est l’ambassade de France qui est intervenue pour que je puisse sortir.
Vous imaginez le retour au Vietnam ?
Imaginer ? Non !
Vous l’espérez ?
Peut-être un jour mais aujourd’hui je suis totalement prise par mon prochain roman et mes personnages et je profite de l’occasion qui m’est offerte pour terminer ce travail. Je ne pense à rien d’autre. Je ne planifie jamais rien dans ma vie. C’est comme ça. Vous avez une personne totalement folle devant vous !
Votre prochain roman...
Non ! Excusez-moi mais dans toute ma vie, j’ai toujours refusé de parler des choses inachevées...
Propos recueillis à Paris, le 5 juillet 2006
Bernard Magnier : Vous avez choisi de mettre en scène une adaptation des Paradis aveugles de la romancière vietnamienne Duong Thu Huong, pouvez-vous nous donner les raisons qui vous ont guidé vers ce texte et cet auteur ?
Gilles Dao : Choisir un texte, c’est mêler la part obscure, souterraine, intime, et ce que l’on croit reconnaître dans l’oeuvre : une dimension poétique, un monde, une vision, une façon de nommer, de trancher le réel, la singularité d’une construction dramatique, les résonances avec son propre travail...
Pour Duong Thu Huong, apparaît une évidence, la part biographique, à commencer par mon origine vietnamienne, et aussi mon engagement politique et le compagnonnage avec de vieux militants exilés. J’ai connu son oeuvre et même dit des extraits à l’occasion d’une performance avec un chorégraphe franco-vietnamien, Thierry Niang, et un musicien, Nguyen Lê. Sa trajectoire de romancière comme son combat m’ont fasciné. Aller à la rencontre de Duong, c’est poursuivre mon exploration des écritures contemporaines et mon dialogue avec un auteur vivant.
Pourquoi avez-vous choisi d’adapter son roman Les Paradis aveugles ?
Ce qui m’a séduit c’est ce destin d’une jeune femme des années quatre-vingt, ce portrait d’une génération, ce portrait d’un Vietnam méconnu, ignoré de l’Occident. Ce que j’ai aimé, c’est le regard qu’elle porte sur la société vietnamienne et son histoire, ce sont les déplacements qu’elle opère dans son écriture, déplacement géographique, raconter le Vietnam à partir de la Russie ; déplacements littéraires, loin du réalisme socialiste, au coeur même de la littérature.
Le choix d’un texte romanesque est-il pour vous le gage d’une plus grande liberté dans l’adaptation et dans la mise en scène ?
Non, mais cela induit d’autres problématiques de construction dramatique, de forme : comment traiter la narration, le récit ? Comment le traduire dans le jeu des acteurs ? Je crois qu’un texte romanesque nous place immédiatement dans cette relation à la partition et cela permet d’évacuer radicalement la psychologie des personnages.
Pour l’adaptation, j’ai invité Philippe Malone qui a dû abandonner son écriture et sa langue de dramaturge car la réalité poétique de Duong est puissante et emporte tout avec ses images, ses corridors, ses pentes, ses aspérités. Mais il est vrai que dans les choix de construction de l’adaptation sont inclus ceux de la mise en scène. Il est question de superpositions qui s’enchevêtrent, se mêlent et s’excluent.
Quels ont été vos partis pris dans l’adaptation du texte ?
Nous avons construit deux espaces symboliques, le voyage en train d’une petite ville de Russie vers Moscou où Hàng va rejoindre son oncle malade, et le Vietnam bruissant de tous les fantômes de sa mémoire ; le temps de la traversée de la Russie et le temps de la traversée de l’enfance.
Nous avons dédoublé le personnage en Hàng femme et Hàng enfant. Le présent est la langue de la Russie, la langue de Hàng femme, l’imparfait est la langue du Vietnam, la langue de Hàng enfant.
Nous avons découpé le récit et fait alterner la Russie et le Vietnam, la narration et les dialogues, en reliant les séquences par des associations d’images, de sensations, de leitmotivs, et parfois par la linéarité du récit. Nous avons introduit une parole chorale, chantée, et des poèmes, des slogans idéologiques. La narration peut prendre plusieurs formes : chantée, chorale, dialoguée, monologuée.
Nous avons privilégié les relations de Hàng avec son histoire familiale (sa mère, son père absent, sa tante paternelle, son oncle maternel) en faisant en sorte que la part intime et la part mythologique, fantasmée, historique, politique finissent par s’enchevêtrer.
Vous avez souhaité également la présence quasi-physique du Vietnam...
La nourriture, les repas, les odeurs, les sensations physiques occupent une place prépondérante. Et en même temps, c’est un monde où il est question d’amaigrissement du corps comme de l’être, victime d’un double régime, alimentaire et idéologique.
Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées ?
La construction du roman se complexifie au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, et nous avons choisi une construction déchirée, non linéaire, avec pourtant la volonté de ne pas perdre le destin de ce personnage. Nous avons voulu équilibrer les parties descriptives et les parties dialoguées, équilibrer les agencements de temps et d’espace, les différents types de parole. Nous avons voulu rendre compte de la beauté et de la simplicité de cette écriture, simplicité de la fable et complexité de la forme.
Pouvez-vous nous donner votre interprétation du titre ?
Ce n’est pas tout à fait un oxymore, mais ça en a la force, l’intention, et l’ironie. Les « paradis » sont ceux de l’enfance, de la mère, et ceux... de la société communiste, fantasme d’une société idéale, usant de mysticisme et de fétichisme, un paradis où l’on n’est que ce que l’on mange, que ce que l’on possède. Dans ce paradis, ce que l’on mange ou ne mange pas, ce que l’on possède ou ne possède pas constitue la condition de l’existence, la mesure de l’humain, l’unique obsession, la mesure de tout. Amour, haine, honneur, humiliation se résument à un mot : manger. On donne la nourriture à ceux qu’on aime, on supprime la nourriture à ceux qu’on hait. On se pavane, on humilie avec de la nourriture.
« Aveugles » les parents qui dévorent leurs propres enfants, qui lèguent une malédiction. « Aveugles » ceux qui éliminent, tuent, effacent au nom des réformes, pour ensuite dans un deuxième temps rectifier leurs erreurs...
Propos recueillis le 4 juillet 2006 par Pierre Magnier
« Gilles Dao propose une mise en scène épurée et subtile du magnifique roman de Duong Thu Huong qu’il a adapté avec Philippe Malone. Une odyssée glissée dans les méandres de la mémoire. Choisissant de traiter le texte de Duong Thu Huong comme une partition, Gilles Dao en confie les différentes variations chromatiques aux comédiens qui, par la complémentarité de leurs voix et de leurs présences, recomposent la subtile architectonique d’un texte construit à l’instar de la complexité mémorielle, faite de touches, de fulgurances et de reviviscences aiguës, douces ou douloureuses. (...) Portrait d’un Vietnam méconnu, ce spectacle en constitue une émouvante et tenace évocation et rend un bel hommage à l’œuvre de celle dont l’écriture en cartographie les stigmates. » Catherine Robert, La Terrasse, octobre 2006
Da. Le texte est remarquable, et les comédiens aussi ! On est plongé dans une ambiance asiatique où la vie paraît à la fois lente, douce et cruelle, où le drame familial rejoint la réalité historique. Certaines confrontations sont poignantes. Un très beau spectacle, même si on ne comprend pas tous les partis pris de mise en scène.
Il n'est pas de théâtre sans émotion. Cette pièce, admirablement jouée par des acteurs expressifs, vous transporte dans une ambiance à la fois triste et gaie, où tout le décor est à imaginer dans un Viet-Nam populaire. Un bon moment, de grands textes et un jeu de scène plus qu'original où l'attention prône pour suivre l'histoire.
Da. Le texte est remarquable, et les comédiens aussi ! On est plongé dans une ambiance asiatique où la vie paraît à la fois lente, douce et cruelle, où le drame familial rejoint la réalité historique. Certaines confrontations sont poignantes. Un très beau spectacle, même si on ne comprend pas tous les partis pris de mise en scène.
Il n'est pas de théâtre sans émotion. Cette pièce, admirablement jouée par des acteurs expressifs, vous transporte dans une ambiance à la fois triste et gaie, où tout le décor est à imaginer dans un Viet-Nam populaire. Un bon moment, de grands textes et un jeu de scène plus qu'original où l'attention prône pour suivre l'histoire.
Parc de la Villette 75019 Paris