Spectacle en français et en allemand surtitré.
Un opéra-ballet très politique
La pièce dans l'oeuvre de Brecht
Entretien
L'action du ballet se situe aux Etats-Unis. Anna, jeune et pauvre louisianaise, est envoyée par sa famille successivement dans sept grandes villes afin de gagner suffisamment d'argent pour construire une belle maison au retour de son périple. Pour réussir, la jeune danseuse va devoir commettre les sept péchés capitaux (un par ville) que Brecht retourne en sept vertus cardinales, nécessaires selon lui pour réussir dans le monde capitaliste ; façon pour lui de démontrer, à la suite de Marx, que les vices sont indispensables au bon fonctionnement de la société bourgeoise dans laquelle l'homme devient une marchandise. Le personnage d'Anna y est dédoublé. Une chanteuse, Anna I, femme raisonnable, dirige et conseille Anna II, danseuse, afin qu'elle ne se laisse pas aller à ses bons sentiments naturels, qui l'entraîneraient immanquablement vers l'échec.
Fable dialectique, hors de tout naturalisme et sans aucun psychologisme, Les Sept péché capitaux est une critique acerbe et ironique de l'univers familial de petits-bourgeois puritains, doublée d'une vision cruelle du statut des femmes dans le monde capitaliste. Regard très politique sur la fragilité de la démocratie américaine aux prises avec la sur-consommation et la médiatisation à outrance, cet opéra-ballet est indémodable et universel.
Brecht réussit là à nous parler de l'émancipation de la femme, de l'american way of life et de l'idéologie chrétienne. Et il le fait au moyen de sept courts textes d'une page chacun, en quarante minutes !
Co-signé avec Jean-Claude Gallotta, ce spectacle associera actrice, chanteuse et danseurs et entrelacera différentes formes scéniques au cours de sept "stations" qui représentent Les Sept péchés capitaux.
Avec les danseurs du Groupe Emile et l'Ensemble Estrada Monaco.
Avec en préambule, De la séduction des anges de Bertolt Brecht,
musique de Peter Ludwig.
Les Sept péchés capitaux tient une place singulière dans l'oeuvre de Brecht. Il ne s'agit pas d'une pièce dialoguée mais de sept courts textes écrits à la demande du chorégraphe George Balanchine (qui en fait la création mondiale au Théâtre des Champs-Elysées en 1933) alors que Brecht, en exil à Paris, vient de fuir son pays sous la pression de la censure nazie.
Rédigés rapidement, en deux semaines, quasiment sur un coin de table, ces sept chants marquent la dernière collaboration et la rupture entre Brecht et le compositeur Kurt Weill qui s'opposaient sur la question de la prévalence de la musique et du texte, au point que l'auteur refusa de mentionner Les Sept péchés capitaux parmi ses oeuvres complètes. Mais ces conditions d'écriture particulières, voire inconfortables, permirent peut-être à Brecht de se libérer de ses contraintes dramaturgies habituelles et de produire des textes plus fulgurants, à la fois poétiques et philosophiques.
Hans Peter Cloos est un familier des oeuvres de Brecht et Weill. Jean-Claude Gallotta, lui, s'en approche. Leur rencontre scelle, chose rarissime, un travail à totale égalité entre un metteur en scène et un chorégraphe. Une forme nouvelle de collaboration semble s'inventer ici. Cloos / Gallotta répondent ensemble à Brecht / Weill et aux exigences d'une oeuvre qui entrelace les formes scéniques les plus diverses. Les Sept péchés capitaux sont qualifiés tour à tour de drame musical épique, de pièce avec musique, de ballet choral, d'opéra-ballet ou de ballet avec chant... Et si on se réfère à l'histoire elle-même, celle du personnage d'Anna à travers les Etats-Unis, on pourrait l'appeler road movie musical.
Hans Peter Cloos C'est une oeuvre singulière, inclassable en effet. Mais pour moi, c'est avant tout un ballet. C'est une oeuvre qui appartient au genre du tanztheater. Si l'histoire est somme toute assez banale, en revanche, sa symbolique est forte et très actuelle.
Jean-Claude Gallotta J'ai approché Les Sept péchés capitaux par la musique que vient d'enregistrer Peter Ludwig pour ce spectacle. Curieusement donc, j'ai abordé l'oeuvre ni par la chorégraphie ni par le texte mais par la musique de Kurt Weill. C'est une façon de travailler qui se rapproche de ce que j'ai pu faire pour l'opéra, avec La Petite renarde rusée de Janacek ou Nosferatu et la musique de Pascal Dusapin. Mais dans mes propres créations, seule La Tête contre les fleurs, il y a une dizaine d'années, a été travaillée ainsi, à partir d'une musique préexistante, celle de Schnittke.
Vous aimez travailler l'un et l'autre avec d'autres artistes, plasticien,
vidéaste, réalisateur...
HPC Oui, chaque média a ses règles et confronter le théâtre à ces
autres règles m'intéresse beaucoup. Par exemple, ma rencontre avec le
plasticien Christian Boltanski m'a permis de me questionner sur la notion de
temps. Pour Boltanski, par nature, le temps de l'oeuvre, le temps du tableau ou
de l'installation, ne se pose pas. Au théâtre, je me pose essentiellement des
questions de temps, de rythme, de début, de fin. J'apprends beaucoup de cette
confrontation avec des artistes qui se posent d'autres problèmes que les miens.
Et si j'ai eu envie de faire ce spectacle avec Jean-Claude Gallotta, dont
j'adore le travail, et que je connais depuis les années 80, c'est que je pense
que mon théâtre peut trouver des impulsions nouvelles en côtoyant la danse,
et réciproquement.
JCG J'ai toujours aimé ces confrontations. J'ai travaillé avec des vidéastes (Mourieras) ou des cinéastes (Ruiz, Blier, Anne-Marie Miéville). Avec le théâtre, jusqu'ici, je me suis trouvé plutôt en position d'intervenir dans des séquences que des metteurs en scène (Georges Lavaudant, Jean-Michel Ribes) me demandaient de chorégraphier. Co-diriger une oeuvre est une première.
A priori, votre rencontre artistique peut surprendre. Jean-Claude, tu es
un chorégraphe qui aime jouer avec l'abstraction, Hans Peter, tu t'inscris plutôt
dans un courant expressionniste.
HPC Je viens en effet d'une tradition allemande expressionniste, réaliste,
fondée sur la narration. Mais dans mes choix artistiques, ce n'est pas une
question que je me pose. Les spectacles de Jean-Claude m'ont toujours touché.
C'est cela qui compte. Si je respecte un artiste, je le respecte avec tout son
univers, même s'il est apparemment éloigné du mien. La rencontre ne se fait
pas avec un genre chorégraphique, elle se fait avec l'artiste Jean-Claude
Gallotta et sa danse. Bien sûr, chaque artiste a ses propres obsessions, sa
manière à lui de raconter le monde. Mais ce qui m'intéresse ici, avec
Jean-Claude, est d'être créatif ensemble. Cela dit, à propos de
l'abstraction, ne nous y trompons pas, le théâtre, même expressionniste, est
toujours une abstraction. À partir du trou noir qu'est la scène, il s'agit
toujours, pour chaque spectacle, d'inventer une syntaxe, un langage, un
mouvement, une esthétique.
JCG Sur cette question, j'ai toujours perçu Hans Peter comme quelqu'un capable de dépasser le strict cadre expressionniste. J'ai vu des choses de lui très plastiques, qui n'étaient presque plus du tout théâtrales. Moi non plus je ne me soucie pas de cette question expressionnisme / abstraction même si en effet, dans mes spectacles, j'ai tendance à me débarrasser de toute figuration, de tout décor. Il s'agit avant tout pour moi de saisir l'occasion d’immerger ma danse dans un autre univers, de bousculer mon propre savoir-faire.
Le décor de Jean Kalman, avec qui tu travailles régulièrement, est
d'ailleurs une boîte noire, dépouillée de tout accessoire.
HPC Et comme vient de le dire Jean-Claude, ce n'est pas si inhabituel chez
moi. J'ai déjà fait des projets comme ça, comme dans le Cabaret Schoenberg, où
le décor était constitué d'une grande table et de deux ampoules. Dans les
projets musicaux, j'ai tendance à vouloir des décors non réalistes, plus
graphiques, de façon à ne pas être tenté d'illustrer ma musique. Pour ce
spectacle, je ne voulais pas inscrire le théâtre, la danse, le chant, dans un
cadre qui risquerait de les étouffer. Je voudrais que la scène soit une sorte
de plate-forme de méditation.
Les Sept péchés capitaux sont faits de théâtre, de danse, de
musique... Sans revenir sur ce qui opposa Brecht et Weill à ce sujet, c'est-à-dire
sur la question de la prévalence de la musique sur le texte ou du texte sur la
musique (on pourrait ajouter : de la musique sur la danse, de la danse sur
le texte...) quel médium va porter la ligne directrice du spectacle ?
HPC Idéalement, j'aimerais que tout se fonde en un même rythme. Je mets en
scène des opéras et je sais que le résultat est intéressant à la seule
condition que tout soit travaillé ensemble. Il faut aimer aller dans l'univers
de l'autre. Ou alors on ne fait qu'un travail de juxtapositions. Le choix
artistique de jouer sans la présence de l'orchestre va dans ce sens. La musique
enregistrée doit habiter tout l'espace. Là-dessus, Jean-Claude et moi sommes
d'accord, dans cette oeuvre, la musique doit être au premier plan, ne pas
disparaître sous la danse, sous le théâtre, sous la scénographie.
JCG Ayant eu une approche d'abord musicale de l'oeuvre, je n'ai lu les textes de Brecht que dans un deuxième temps, je me suis imprégné du continuum musical pour construire mes séquences chorégraphiques. J’ai fait ce travail avant même le début des répétitions communes, pour ne pas arriver les mains vides, pour apporter mon cadeau dans la corbeille du mariage ! Mais bien entendu, tout ce matériau pourra ensuite, dans le travail commun, être malaxé, fondu autrement, repensé.
Vous rejoignez ce que disait Weill à propos de la forme de l'opéra, la
musique ne doit pas laisser tout le travail au drame et son idée au texte et au
décor. Elle doit prendre une part active à la représentation des événements.
Dès lors, il apparaît que ce que vous préparez ensemble représente une
aventure assez neuve. On a vu des metteurs en scène inviter des chorégraphes
à venir agencer des séquences dans leur spectacle mais très rarement une
oeuvre réellement co-signée par un metteur en scène et un chorégraphe.
JCG Brecht et Weill nous ont montré la voie en co-signant l'oeuvre.
HPC Nous avons réellement l'intention de fabriquer ce spectacle ensemble même si sur l'affiche le metteur en scène et le chorégraphe sont des personnes distinctes.
Un metteur en scène de culture allemande doit-il faire avec Brecht ou
s'en débarrasser ?
HPC Quand j'ai commencé à faire du théâtre, Brecht était un dieu
incontournable, plus présent encore que Shakespeare. J'ai abordé toutes ses pièces,
tous ses poèmes, toutes ses chansons. C'était un moment (les années 68-70) où
le dogme du Berliner Ensemble s'effritait, on ne faisait qu'y répéter
sans imagination ce que faisait Brecht dans les années cinquante. C'était
insupportable. Pour les jeunes metteurs en scène, monter Brecht ne pouvait se
faire que dans un esprit de révolte, contre le Berliner Ensemble. Du
coup, cela a donné un nouveau souffle à Brecht. Chaque fois, j'ai essayé de
l'inscrire dans la modernité. Quand j'ai mis en scène Homme pour homme, au
lieu de placer l'action dans le décor de guerre habituel, j'ai installé les
acteurs dans un supermarché. Brecht peut être sans cesse revisité, il a
quelque chose à dire sur le monde d'aujourd'hui.
A quoi tient selon vous deux la modernité de cette oeuvre ? A son
positionnement idéologique, toujours d'actualité, ou à sa structure, sa
construction, son agencement, ses libertés ?
JCG L'histoire, le thème, sont toujours d'actualité. C'est construit de façon
très subtile, sur plusieurs plans, narratif, poétique, philosophique. La
musique également est moderne, et même éternelle. C'est une matière riche,
avec des accents romantiques, des rythmes populaires des années vingt, valses,
fox-trot, marche, tarentelle. Elle pulvérise les codes des genres et les frontières
établies.
HPC Il y a aussi cette façon de faire sonner le sens entre les lignes qui est terriblement moderne. Le texte résonne entre les mots.
Vous avez choisi de présenter un prologue aux Sept péchés capitaux
en faisant entendre des poèmes de La séduction des anges.
HPC J'ai dès le début voulu faire un spectacle en deux parties pour
composer une soirée qui propose un traitement varié des différents thèmes.
L'idée est de reprendre les thèmes des Sept péchés sur des
compositions originales de Peter Ludwig en utilisant d'autres textes de Brecht,
des poèmes sur l'amour notamment. Dans l'esprit du cabaret, ou du cirque, dans
une ambiance à la Fellini. On y parlera, chantera, dansera plus librement.
JCG Pour ma part, dans le même sens qu'Hans Peter, je vois De la séduction des anges comme une sorte de prologue de la pièce de Brecht, comme un hommage.
Comment allez-vous travailler ensemble ?
JCG Il s'agit pour moi de faire résonner mon travail avec celui de Hans
Peter. Si je peux prendre une image, cette aventure artistique est un peu comme
un voyage à l'étranger, je vais devoir m'adapter à un autre climat.
HPC Pour ma part, contrairement à mes habitudes, je ne vais pas préparer la structure de ma mise en scène de manière précise. Je viendrai avec quelques éléments de réflexion. Je veux être ouvert à ce qui va se présenter pendant les répétitions.
La prise de risques est plus grande ?
HPC Au début de ma carrière, cette perspective de travail m'aurait angoissé,
mais aujourd'hui j'ai confiance dans ce processus.
JCG En danse, on a l'habitude de partir de rien, sans le support d'un texte. La chose s'invente à mesure qu'on le fait.
On dit cette musique difficile à chanter ?
HPC Il y a quelques difficultés en effet. Autant L'Opéra de
quat'sous et Mahagonny peuvent être chantés par des comédiens, autant
ici l’écriture pour chœur, et dans une tonalité assez haute, exige une
grande technicité de la part des deux ténors, du baryton, et de la basse.
Peter Ludwig a enregistré la musique avec les musiciens de l'Ensemble Estrada
Monaco, quant à Meret Becker, elle a déjà chanté Brecht/Weill en concert.
La distribution, avec Meret Becker et Mathilde Altaraz, s'est imposée
rapidement ?
JCG D'habitude, Anna I, fille pleine de bon sens, est interprétée par une
comédienne plus âgée que la danseuse, Anna II, considérée comme un peu
follette. Une des originalités du spectacle, qu'il me plait de travailler, est
que le rapport d'âge entre la chanteuse et la danseuse est inversé.
HPS Tout de suite, quand j'ai eu l'idée de ce spectacle, Meret Becker m'est apparue comme évidente. C'est une comédienne jeune, fragile, sensible, qui possède une sorte de transparence. Elle est très représentative du Berlin d'aujourd'hui et possède une tradition derrière elle, née d'une grande famille de comédiens. Et aussitôt, j'ai pensé à Mathilde pour jouer Anna II et à Jean-Claude pour chorégraphier. Si l'un ou l'autre avait dit non, je ne sais pas si j'aurais fait ce spectacle.
Propos recueillis par Claude-Henri Buffard, avril 2005
9, bd Lénine 93000 Bobigny
Voiture : A3 (Porte de Bagnolet) ou A1 (Roissy) ou RN3 (Porte de Pantin) sortie Bobigny / centre-ville ou A86 sorties N° 14 Bobigny /Drancy.
Parking à proximité (un parking gratuit dans le centre commercial Bobigny 2 est accessible les soirs de représentation)