Les chaises

Marseille (13)
du 22 mai au 7 juin 2003
1H30

Les chaises

«Le thème de la pièce n’est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le désastre moral des vieux, mais bien les chaises, c’est à dire l’absence de personnes, l’absence de l’Empereur, l’absence de Dieu, l’absence de matière, l’irréalité du monde, le vide métaphysique. Le thème de la pièce c’est le rien, un rien qui se fait entendre, se concrétise, comble de l’invraisemblance ». Eugène Ionesco

Une pièce sur le rien
Le monde incompréhensible

Un impossible résumé
Les mots des chaises
Eugène Ionesco entre la vie et les rêves

«Le thème de la pièce n’est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le désastre moral des vieux, mais bien les chaises, c’est à dire l’absence de personnes, l’absence de l’Empereur, l’absence de Dieu, l’absence de matière, l’irréalité du monde, le vide métaphysique. Le thème de la pièce c’est le rien, un rien qui se fait entendre, se concrétise, comble de l’invraisemblance ». Eugène Ionesco

Deux vieillards isolés sur une île, liés par une tendresse aux manifestations infantiles, ressassent leurs souvenirs et leurs regrets. Mais ce soir est leur grand soir : le Vieux a convoqué tout ce que la ville compte de «savants» et de «propriétaires» pour divulguer enfin son «message» à l’humanité.

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Le monde m’apparaît à certains moments comme vidé de signification, la réalité : irréelle. C’est ce sentiment d’irréalité, la recherche d’une réalité essentielle, oubliée, innomée - hors de laquelle je ne me sens pas être - que j’ai voulu exprimer à travers mes personnages qui errent dans l’incohérent, n’ayant rien en propre en dehors de leurs angoisses, leurs remords, leurs échecs, la vacuité de leur vie. Des êtres noyés dans l’absence de sens ne peuvent être que grotesques, leur souffrance ne peut être que dérisoirement tragique.
Le monde m’étant incompréhensible, j’attends que l’on m’explique...

Eugène Ionesco
1952

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Nous sommes dans une salle aux murs nus : c’est la nuit, et deux personnages, le Vieux et la Vieille, attendent. Ils sont isolés du monde, dans une île battue des flots, et ils parlent, ils parlent : tous les mots de la tendresse humaine, mais stéréotypés ; tous les gestes d’un vieux couple amoureux, mais burlesques. Le Vieux et la Vieille sont au terme d’une longue vie tissée d’habitudes et d’échecs inexprimés ; leur conversation rebondit au hasard des paroles, mais ce soir n’est pas un soir comme les autres : le Vieux a un message à communiquer à l’humanité et il a convoqué pour cette nuit «tous les personnages, tous les propriétaires, tous les savants», tous les hommes. L’univers n’attend plus que lui. «Toute ma vie, je sentais que j’étouffais ; à présent ils sauront tout»... Un orateur parlera au nom du Vieux, parce qu’il n’a pas de facilité : mais toute sa vie est suspendue à ce moment, c’est en cette minute que sa vie va prendre un sens. On sonne : c’est la première invitée qui arrive.

Désormais les personnages vont se succéder sur la scène. Ils sont invisibles, mais le Vieux et la Vieille les reçoivent, leur parlent, leur apportent des chaises : la scène se peuple de présences, et c’est le brouhaha des conversations mondaines, cocasse et déchirant. « Bonjour, Madame, très heureuse de vous connaître - Vous avez eu beau temps ? - La vie n’a jamais été bon marché - Il serait temps que cela change - Nous avons la radio - Une vie modeste mais bien remplie...». Les personnages prolifèrent, envahissent tout : un Colonel, une amie d’enfance, un photograveur. Tout le passé, toute la vie : la conversation devient fébrile, se disloque, s’épuise. La sonnette retentit désormais tout le temps, le Vieux et la Vieille ne savent plus où donner de la tête, la scène se remplit de chaises, les portes sont fermées, les personnages invisibles se bousculent, s’écrasent. « Savez-vous, mon époux a toujours été incompris. Son heure est enfin venue. - Ecoutez-moi. J’ai une riche expérience. Dans tous les domaines de la vie, de la pensée... » Le Vieux proclame qu’il a beaucoup souffert, qu’il a mis au point un système parfait, qu’il a la certitude absolue : et seul l’écho de la Vieille lui répond.

Mais voici qu’entre l’Empereur, toujours invisible : le Vieux sait désormais qu’il est sauvé, qu’il peut tout dire. Il devient volubile, veut tout raconter, et ne parvient qu’à exprimer des phrases pitoyables : une vie d’humiliation, de silence et de souffrance, mais il n’aura pas vécu en vain puisque son message sera révélé au monde. Car l’Orateur est entré, personnage de chair et d’os, mais plus irréel que la foule des invités invisibles ; le Vieux et la Vieille, sûrs enfin de laisser des traces (car ils sont sûrs enfin d’être des personnes), sautent chacun par une fenêtre abandonnant la scène à l’Orateur. Mais l’Orateur ne peut rien dire : il pousse quelques barrissements inintelligibles. Le rideau tombe lentement, tandis qu’on entend pour la première fois le bourdonnement de la foule réunie.

Je relis le résumé que j’ai essayé de faire, et je m’aperçois qu’il est impossible de rendre compte d’une pièce comme Les Chaises en en retraçant le schéma. Car tout réside dans le dialogue, dans le mouvement, dans la pantomime : les mots fusent et s’enchaînent au petit bonheur la chance, dirait-on. Ces personnages ne sont pas tout à fait des hommes, et ils ne sont pas tout à fait des pantins : cela ne saurait être perçu qu’à la représentation ou à la lecture de la pièce. Ils sont essentiellement comiques, et d’innombrables détails viennent à chaque instant nous empêcher de les prendre au sérieux : Ionesco ne s’écoute jamais parler. 

Mais le tragique à tous les moments affleure dans ces mécaniques humaines usées : voilà une phrase aussi pauvre, aussi dérisoire que les autres, qui apporte soudain une nuance de tendresse infiniment lasse ; voilà le poids de la solitude infinie de l’homme qui brusquement est rendu perceptible. Et le spectateur, en réalité, rit jaune. Il rit comme à Luna Park, pour se rassurer ; il rit très fort comme on rit lorsqu’on s’égare, dans les foires, dans un labyrinthe de miroirs déformants : car l’image que la glace me renvoie, ce n’est pas moi bien sûr, mais c’est moi tout de même... Et le malaise s’accroît, de ce que Ionesco met en jeu les choses auxquelles l’homme social tient le plus fermement : l’idée qu’il se fait de lui-même, de son langage, de sa relation à autrui et à la vie. On ne s’esclaffe pas ici, comme dans Molière parce qu’avec les autres spectateurs on forme une tacite assemblée de conjurés, face au Cocu et à l’Avare. Mais parce qu’on est effrayé de se voir si seul et si dérisoire : oui, la farce est tragique.

Robert Abirached / Etudes 1956

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Mystère - Obscurité - Animaux déréglés - Dinosaures - Vieux d’anticipation - Néant - Réminiscence - Indécence- Folie - Prison - Jeu ! - Musicalité - Grincements - Labyrinthe - Humidité - Encaustique - Pourriture - Peur - Horreur - Laideur - Incohérence - Mécanisme - Dérision - Magie - Décomposition - Farce - Méchante - Cauchemar - Humiliation - Blessures - Fatalités - Désillusion - Vacarme - Vide - Plaisanterie - Contradiction - Egoïsme - Etouffement - Indiscrétion - Bêtise - Rotation - Frustration - Impuissance - Errance - Vanité - Persécuteurs - Persécutés - Egocentrisme - Paranoïa - Prétention - Médiocrité - Inexistence - Solitude - Absence - Enigme - Issue - Jouer - Toujours

Laurent Pelly

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Est-ce qu’il y a des moments où vous vous sentez entraîné plus particulièrement par un souvenir ou par une image ou par l’idée que vous vous faites d’un personnage ou par la mécanique du langage qui s’enclencherait toute seule, une phrase en appelant une autre, ou bien est-ce que tout se mêle ?
- Tout se mêle, tout afflue, se propose, les souvenirs littéraires, les rêves, la polémique idéologique, l’étonnement d’être, la spontanéité, la réflexion, la métaphysique, les banalités... Par exemple lorsque j’ai écrit Les Chaises, j’ai eu d’abord l’image de chaises, puis d’une personne apportant à toute vitesse des chaises sur le plateau vide. J’avais d’abord cette image initiale, mais je ne savais pas du tout ce que cela voulait dire. Après j’ai compris. J’ai tout de même compris un peu avant les commentateurs. Ceux-ci ont dit : « Cette pièce c’est l’histoire de deux personnes ratées. Leur vie, la vie, c’est l’échec, c’est l’absurde. Ces deux vieilles personnes qui sont là, qui n’ont jamais réussi à faire quelque chose dans la vie, qui s’imaginent recevoir des gens, elles croient qu’elles existent, elles s’efforcent de s’illusionner, de se persuader qu’elles ont eu quand même quelque chose à dire... » Bref, les commentateurs, les spectateurs racontent le sujet de la pièce. La pièce, ce n’était pas du tout cela. C’était tout à fait autre chose : elle était les chaises elles-mêmes et ce que signifiaient ces chaises, eh bien, j’ai fait un effort pour le comprendre comme lorsqu’on essaye d’interpréter ses rêves. Je me suis dit : « Voilà, c’est l’absence, c’est la viduité, c’est le néant. Les chaises sont demeurées vides parce qu’il n’y a personne. Et à la fin le rideau tombe sur des bruits de foule alors qu’il n’y a sur le plateau que des chaises vides, que des rideaux que le vent fait flotter, etc. et il n’y a rien. Le monde n’existe pas vraiment, le thème de la pièce était le néant et non pas l’échec. C’était l’absence totale : des chaises avec personne. Le monde n’est pas puisqu’il ne sera plus, tout meurt n’est-ce pas ? Or, on a donné de cela une explication raisonnable, psychologique, claire, tandis que là, il y a une autre conscience, celle de l’évanescence.

Est-ce que l’écriture de la pièce n’a pas consisté à élucider cette image de la chaise vide ?
- Je pourrais écrire une autre pièce sur ce qu’est la pièce ; mais la pièce elle-même, c’était : les chaises vides et l’arrivée des chaises, le tourbillon des chaises que l’on apporte, qui occupent tout l’espace scénique comme si, je puis dire, un vide solide, massif envahissait tout, s’installait...

La multiplication des chaises.
- C’était à la fois la multiplication et l’absence, à la fois la prolifération et le rien.

Par la prolifération des chaises, vous étendez l’absence à tout l’espace scénique qui est la représentation de tout l’espace du monde.
- A tout l’espace du monde, oui, c’est cela.

Entretien entre Eugène Ionesco et Claude Bonnefoy (Belfond)

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Informations pratiques

Criée

30, quai de Rive Neuve 13007 Marseille

Spectacle terminé depuis le samedi 7 juin 2003

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