La guerre des « deux France » bat à nouveau son plein, avec son lot d’« affaires » surmédiatisées, de manifestions de rue, de tentatives de blocages et de censure, de violence aussi. D’un côté, il y a ceux qui veulent imposer leur vision religieuse à la vie publique et politique au nom d’un Dieu, qu’il soit chrétien, juif, musulman ou autre. En face, la réaction est épidermique de ceux qui dressent la laïcité en barricade imprenable. Radicalité contre radicalité, violence contre violence.
Au milieu de la mêlée, une Femme, citoyenne lambda qui ne sait plus à quel saint se vouer. Elle participe à des manifestations pour la défense de l’avortement, contre la censure de spectacles, mais l’anticléricalisme virulent de certains discours la met autant mal à l’aise. Perdue, désarmée, elle repère un jour, dans une manifestation houleuse, des femmes à la dégaine étonnante, qui osent aller au front avec un courage incroyable.
Elle réussit à trouver leur contact puis à prendre rendez-vous pour partager avec elles son désarroi et ses questionnements. La discussion est vite enlevée, conflictuelle, drôle aussi. Ces femmes professent leur liberté de conscience, leur « hérésie » propre contre le consensus du moment, quitte à être ostracisées. Ou jetées aux lions. Ou au bûcher… Et si cette réunion était en fait un sabbat de sorcières ?
Mariette Navarro a écrit un conte sur notre malaise actuel. Presque une comédie. Tant qu’on peut encore en rire…
« Au théâtre de l’Aquarium, François Rancillac met en scène un conte philosophique sur les dangers d’une laïcité dévoyée. Une réflexion puissante sur la liberté de conscience. » Jeanne Ferney, La Croix, 30 novembre 2018
On ne se connaissait pas, mais comme bien d’autres, j’avais été impressionné par ses textes si singuliers, par leur invention formelle, la qualité de l’écriture où les mots les plus simples vibrent de toutes leurs harmoniques (Mariette « vient » de la poésie), et pour leur obstination à vouloir décrire au plus près ce qui fait « nous », ce qui suscite du « en commun ». Que ce soit dans Nous, les vagues (2011), Prodiges® (2012), Les feux de poitrine (2015), Zone à défendre (2016) par exemple, elle explore opiniâtrement les tentatives - parfois discrètes et fragiles, mais toujours émouvantes et courageuses - d’invention d’autres « vivre ensemble » - même si ce n’est encore qu’un besoin « d’autre chose » en amont même de sa formulation, loin de tout discours revendicatif. C’est à partir du plus intime, de nos désirs profonds, de nos peurs inavouées que l’écriture de Mariette, profondément politique, va déceler ce qui fait « société ». La « question laïque », qui croise et confronte l’individu à l’espace public, était bien pour elle.
Très impressionnée par la commande, elle a pourtant vite relevé le pari. Avec le souci (partagé) d’éviter la thèse et le documentaire, d’échapper au fait divers et à la polémique dont se délectent les médias. Comment faire théâtre de ce malaise démocratique dans lequel nous sommes aujourd’hui englués ? Comment partager avec les spectateurs ce qui, derrière les « affaires laïques », est profondément en jeu : la liberté de conscience comme pilier d’une démocratie apaisée, au sein d’un pays où le dissensus et la diversité des êtres et des convictions seraient enfin ressentis comme une infinie richesse et non comme une menace ?…
Cela a donné un conte. Presque fantastique, puisque Mariette y a convoqué la figure de la Sorcière pour pourvoir sonder notre actualité avec la distance et la légèreté requises. Et parce que les procès en sorcellerie (qui ont fait fureur entre le XIVe et le XVIIe siècle - la pièce s’en fait l’écho) concernaient essentiellement des femmes et que, dans les « affaires laïques » contemporaines, c’est le plus souvent le corps féminin, toujours trop ou trop peu vêtu, qui se retrouve bien malgré lui au centre des polémiques – sans que les intéressées n’aient jamais droit à la parole. Les femmes, suspectes dès qu’elles ne collent pas exactement à ce qu’on exige d’elles, ont toujours été de parfaits boucsémissaires pour justifier les désordres du monde et détourner l’attention des vrais causes et des combats utiles.
Comment ces sorcières, qui ont subi dans leur chair les pires sévices de la toute-puissance de l’Eglise et de la misogynie, peuvent-elles (dans la pièce de Mariette) se révéler aussi intolérantes que leurs bourreaux vis-à-vis d’autres femmes qui s’écarteraient à leur tour du « droit chemin » ? Pourquoi la laïcité, qui fondait en droit un espace démocratique riche de sa diversité, sert-elle aujourd’hui à stigmatiser celles et ceux qui n’ont plus rien à faire « chez nous » puisque « étrangers » à nos soit disant « racines chrétiennes » ? Pourquoi le mot « hérésie » qui, à l’origine, renvoyait à la liberté de conscience, désigne-t-il depuis la pire des fautes, passible de mort ?
Les Hérétiques propose, avec la tendresse aiguisée propre à Mariette Navarro, non pas des réponses (ce serait bien paradoxal en terrain laïque !) mais, comme elle le dit si bien, « une traversée joyeuse des tensions de notre monde, une variation autour de la façon dont on peut faire cohabiter ou non nos croyances respectives, sans se laisser dominer par nos petits inquisiteurs intérieurs. Un chemin possible vers l’Hérésie véritable, ou l’art de faire des choix libres et surprenants, fût-il celui de la remise en question permanente de nos croyances et de nos propres certitudes ».
François Rancillac
Lorsque François Rancillac m’a proposé de travailler avec lui autour de la laïcité, je me suis rendue compte que ce sujet était au carrefour de toutes les tensions politiques qui déchiraient la France, plus particulièrement depuis une vingtaine d’années. Une crispation, un noeud, un nid de violence manquant - ou ne manquant pas - de faire exploser bien des groupes militants ou partis politiques, de droite comme de gauche. J’ai eu la sensation de mettre le doigt exactement à l’endroit d’une impasse du débat démocratique, dans une zone de glissement du langage et des idées, y compris jusqu’aux endroits les plus nauséabonds du racisme ou du communautarisme.
A cela s’ajoutait la préoccupation principale, pour François comme pour moi : comment faire théâtre de tout cela, et littérature, sans présenter une thèse ni se contenter d’un exposé (forcément maladroit, forcément incomplet) des évolutions législatives et sociétales depuis un siècle au moins ? Je ne souhaitais pas non plus traiter la question par le prisme du fait divers : l’actualité, pendant le temps de l’écriture, a toujours été plus rapide et plus imaginative que moi, je n’aurais fait qu’en tracer une pâle copie. Je crois qu’en ce qui concerne le « réel », nous en sommes assez bombardés pour rechercher au théâtre une autre forme de mouvement.
C’est donc aux Sorcières que j’ai eu recours. Par plaisir et par goût de leur étrangeté, d’abord. Par volonté de proposer un pas de côté. Un espace imaginaire où tout devient possible. Ensuite parce qu’elles sont des femmes, et que, dans les affaires de laïcité, c’est souvent sur le corps et les habits des femmes que tout le monde a un avis. Et puis, parce que dans l’Histoire, ce sont elles qui ont fait les frais de toutes les confusions entre les religions et le pouvoir (…)
Les Hérétiques ne disent pas ce qu’il faut penser, mais proposent une traversée joyeuse des tensions de notre monde, une variation autour de la façon dont on peut faire cohabiter ou non nos croyances respectives, sans se laisser dominer par nos petits inquisiteurs intérieurs. Un chemin possible vers l’Hérésie véritable, ou l’art de faire des choix libres et surprenants, fut-il celui de la remise en question permanente de nos croyances et de nos certitudes.
Mariette Navarro
Bravo pour la mise en scène et des comédiennes au top. Nous recommandons cette pièce.
Mise en scène, sceno, jeu des comédiennes, très belle pièce!
Pour 2 Notes
Bravo pour la mise en scène et des comédiennes au top. Nous recommandons cette pièce.
Mise en scène, sceno, jeu des comédiennes, très belle pièce!
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