Quelle est cette chose qui fait que l'on se présente un jour au public, que l'on attende de lui un verdict, que l'on se soumette à son regard, qu'on veuille lui plaire, qu'on le supplie de nous aimer alors qu'il ne sait rien de nous ? Quelle est cette folie d'espérer un salut qui viendrait de là, de ce rabaissement et de cette disparition ?
Dans le noir d'une salle un comédien parle, pas un acteur qui joue, non, le comédien lui-même. L'homme parle quelque part, dans un lieu entre le privé et le public, la scène, le décor ou le lieu réel, il cherche le sens de sa présence, de son jeu, de son choix, de sa vocation... Que venons-nous voir quand nous allons au théâtre ? Ou plutôt par quoi ou par qui souhaitons-nous être regardés ? Par ce(s) personnage(s) que nous cherchons à nous approprier du regard et qui inéluctablement nous échappe(nt) ?...
Yves Heck est comédien, nous nous connaissons depuis des années. Un jour, Yves m’a demandé d’écrire en pensant à lui si j’en étais d’accord. Il m’a autorisé à puiser parfois dans certains éléments de sa biographie quitte à les déformer et les trahir. Cela relevait de l’idée de l’écriture et de l’idée de l’amitié à la fois, de ce croisement même.
L’origine des Invités réside dans l’envie de travailler la question du comédien, les questions du comédien devrait-on dire, mais plus encore de les travailler à partir d’un matériau brut, premier, celui de l’expérience même.
À partir de ce matériau, le souhait était de mêler l’anecdote à un dispositif dramatique, de fouiller les rapports entre l’intime et le public, le secret et le dévoilement. Terrains sur lesquels se retrouvent à égalité finalement l’auteur et l’acteur. À égalité certes mais à ce détail près que l’acteur y met sa peau, son visage et son corps.
Le texte cherche les contours de l’acte de jouer, s’interroge sur la nature de cette entreprise, de ce projet que l’auteur examine de l’extérieur, mais que l’acteur seul fonde et anime.
Le théâtre est toujours le mélange des voix, des points de vue, des expériences, il réunit et confond les territoires, l’écrit et le verbe, la présence réelle et l’imaginaire. Cette fois le public est convié à jouer son rôle et c’est peut-être de lui que nous finirons par parler.
Thierry Illouz
Les Invités est une fiction où un personnage parle, il vit une expérience du silence dans lequel s’élève une voix : la sienne. La «pièce», est également le lieu physique où le comédien, un homme, (se) raconte une histoire et incarne un corps : le corps du texte.
C’est une « pièce » parlée. C’est -à-dire un objet de réflexions et un espace de projections par lequel j’installe le public dans une position d’indétermination face à l’objet théâtral qui prend forme devant lui.
Ce qui m’intéresse ce sont les attentes développées par le public par rapport aux codes d’un spectacle, et comment dans le temps de la représentation il va investir cet espace mental et ce corps, s’y projeter, projeter sa propre histoire et ses émotions. En effet, que venons-nous voir quand nous allons au théâtre ? Ou plutôt par quoi ou par qui souhaitons-nous être regardés ? Par ce(s) personnage(s) que nous cherchons à nous approprier du regard et qui inéluctablement nous échappe(nt) ?...
La fiction dans laquelle je place le personnage est l’espace scénique tel qu’il est : un espace potentiel, dépouillé. Ce «degré zéro» de la scénographie m’intéresse, je le pose comme contrainte de travail afin de l’épuiser, en épuiser ses ressources, son sens, ses sens.
Je veux réinventer ou revitaliser (en tout cas questionner) le regard que nous portons sur un plateau nu avec une table, une chaise, un micro (et un interrupteur au sol). Dans mon travail je ne cherche jamais de surgissements spectaculaires mais l’apparition de phénomènes décalés qui nous éclairent et nous montrent le réel différemment, au travers d’un prisme d’inquiétante étrangeté, d’étrange familiarité.
Avec Yves, nous travaillons la relation du corps de son personnage à l’espace, comme je le pratique pour l’ensemble de ma production - chorégraphique, plastique, photographique. Une approche sensorielle et kinesthésique à l’environnement, aux choses, aux êtres en essayant de réinventer chaque jour cette relation pour ne pas qu’elles deviennent insignifiantes. C’est le rapport que ce personnage entretient à ces choses qui fait qu’elles deviennent ou pas insignifiantes, telles qu’il les articule et les agence. Le rapport au son de sa voix dans l’espace, à la lumière, aux murs, au sol, aux textures, aux couleurs, au vide.
Finitude de sa rétention dans l’espace scénique, dans l’imaginaire de l’auteur, dans le texte, dans la parole… il lui faut inventer un monde comme il lui faut un public !
Le rôle de la lumière est très important dans cette mise en scène. Elle constitue en soi une partition, un double du personnage, une présence, un regard, un oeil. Elle sculpte l’espace et le temps et propose les zones de l’effacement, de la parole, du hors-champs, de la confidence, du mensonge et de la « vérité », du spectacle (la scène de la chanson). Elle nous met en présence d’un être de lumière et d’obscurité, manipulé et manipulateur et accentue dans une mise en abîme la perception trouble du public, la frontière entre fiction et réalité.
J’ai imaginé que le personnage puisse entretenir un rapport domestique avec ce « décor », qu’il puisse agir directement dessus aussi, l’interrupteur au sol en est le symbole, il singe la possibilité d’actionner le plein feux du plateau et la pièce démarre sur cette action. S’ensuit une série de va et vient entre lumière et obscurité. Entre une fausse proximité auréolée, un peu comme une conversation de bord de plateau adressée au public et une réelle transparence du personnage dans le noir : un effacement « moïque », un vide apte à recevoir et à diffuser la parole de l’auteur, une voix acousmatique qui s’adresse directement à notre pensée.
La dramaturgie de la pièce est d’ailleurs construite sur un ultime retour à ce dispositif, nous laissant croire «naïvement» que le personnage/comédien maîtrise jusqu’au bout la situation, dans ses débordements, ses excès même, et nous abandonne avec cette question quand une fois levés et sortis nous tentons de reprendre nos esprits : « Qui parle en moi quand je parle ? »
Combinées au travail d’espace et de lumière j’utilise plusieurs adresses vocales où se mêlent des adresses de proximité dites de cinéma relayées par un micro HF, et différentes qualités de projections de la voix sans amplification. L’adresse à SOI, l’adresse à l’AUTRE, l’adresse aux AUTRES, en dissociant le regard de l’adresse. Cette recherche d’une polyphonie crée le doute sur l’origine de la parole (du comédien ou du personnage) elle fait résonner ailleurs le message, spatialise la voix et produit des changements d’échelles, elle nous aide à rentrer dans la fiction universelle de cet homme aux prises avec ses doutes, ses mensonges, ses blessures...
Johann Maheut
Superbe réflexion sur le rapport du comédien à son public, portée par une scénographie subtile et sensible. La performance du comédien est impressionnante! Courrez-y!
Superbe réflexion sur le rapport du comédien à son public, portée par une scénographie subtile et sensible. La performance du comédien est impressionnante! Courrez-y!
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