Les objets sont-ils,
quest-ce à dire ?
Scénario
Intentions de mise en
scène et réflexions diverses
Les objets sont-ils, quest-ce à dire ?
Nous nous proposons de faire se rencontrer deux modes spécifiques du spectacle vivant que nous appellerons, faute de mieux, le théâtre clownesque et le théâtre dimages. Point dcuménisme béat de notre part ; nous partons de la constatation quà y regarder de plus près, plusieurs éléments contribuent à rapprocher ces deux formes de manière insistante.
Le rapport au texte tout dabord, car il est clair que dans un cas comme dans lautre, ce nest pas le texte qui génère la théâtralité. Le rapport à lobjet ensuite, que clowns et manipulateurs utilisent et poétisent, le clown ayant un rapport plutôt chaotique à lobjet quand le manipulateur sefface et le magnifie.
Enfin et surtout parce que clowns et manipulateurs possédant la faculté de séchapper des carcans du quotidien ainsi que celle de musarder hors des sentiers battus du théâtre, il y a de part et dautre un goût prononcé pour la poésie, lhumour, la rêverie, labsurde, lincongru, le déraisonnable, le franc délire et la déconnade, que nous comptons bien entretenir.
Stéphanie Richard, Jean-François Maurier
Lespace imaginé par Jean-Pierre Larroche est composé dune structure métallique autoporteuse à géométrie variable. Sous la structure se trouve une longue table de conférence recouverte dun gazon vert, montée sur un châssis de landau, donc très instable. Cette structure est biscornue.
Séquence 1
Entrée du 1er personnage, nous lappellerons 1. Cest un homme.
Comme tous les autres personnages par la suite, il porte sur le visage un nez bleu et à
la main un dossier. Il apparaît immédiatement que 1 éprouve un problème à structurer
son langage, sa pensée et ses gestes. De son discours confus et intranscriptible, il
ressort quil sexcuse du retard de ses collègues et remercie le public
dêtre parmi lui.
Séquence 2
Entrée du 2e personnage. 2 est une femme coiffée dune casquette à
rabats qui la rapproche de lépagneul breton. Fréquemment dailleurs au cours
du spectacle, sous le poids dune grande émotion, contrariété ou joie, 2 émettra
un aboiement bref et puissant qui surprendra ses partenaires..2 entame immédiatement sa
conférence. Elle nous parle du 1er objet auquel elle-même a été confrontée, à savoir
la " teuteute ". 2 est une intellectuelle, 2 est une poète, 2 disjoncte
facilement.
Séquence 3
Entrée de 3. 3 est une femme tout en longueur. Elle se déplace en
ondulations, mi-danse mi-nimporte quoi, semble afficher en permanence une joie et
une bonne humeur un tantinet plaquées. Sera pourtant capable de brusques coups de colère
et de retours tout aussi brusques à la béatitude. 3 nest pas très loin du
ridicule. Demblée, elle prend les choses en main dune manière énergique et
joviale.
Séquence 4
Entrée intempestive de 4. 4 est un homme, ses mouvements sont saccadés, sa démarche
nerveuse, il déborde dénergie, il nous fatigue déjà. Sa parole est limitée, son
mode dexpression est le bruitage, lonomatopée et une pantomime relativement
imagée. A la seule vue du gazon, 4 entreprend, en un tour de main, lévocation de
nos campagnes profondes, ce qui donne approximativement : " brrr, meuh, bêêê,
pioupiou, ouah ouah ! " 2 aboie, 1 sexcuse.
Séquence 5
Sortie de 5 de dessous la table. 5 est une femme. Elle semble avoir en permanence un train
de retard sur les autres et la plus grande difficulté à appréhender les événements.
Cest pourtant elle qui, tout au long du spectacle, introduira par ses
questionnements insolites les recherches de léquipe. Elle sort, le nez dans le
gazon, y voit dailleurs du cresson et claironne en brûlant la politesse à ses
partenaires : " les objets ! "
Séquence 6
Changement brusque déclairage, départ en bande-son dun
chur résolument grandiloquent, play-back des personnages, descente des cintres
dune cocotte-minute très star. Cette séquence est pensée comme une sorte de
générique, une entrée dans le vif du sujet.
Séquence 7
Retour à la lumière précédente. Chacun se présente au public. Nous
avons donc Bruce, docteur en choses ; Berthe, ragouilleuse de bougnasse ; Liliane,
présidente de lassociation française des Femmes dépendantes aux objets tout le
temps, enfin souvent ; Marie-Louise, gaveuse en cruches de terre du Lot ; et
lheureux propriétaire de la quincaillerie Bouchard & fils à
Pouillon-sur-Blèze, dans le Calvados.
Puis 5 pose la première question : " Quest-ce quun objet ? ", ce
qui la plonge ainsi que ses partenaires dans des abîmes de perplexité. Le débat
sengage néanmoins. Il est envisagé comme une chorégraphie sonore, où se
mélangent prises de bec, démonstrations dans le vide, désaccords, station debout,
silences pesants, station assise, inclinaison suspecte de la table, le tout allant vers un
crescendo de confusion.
Séquence 8
Berthe interrompt brutalement le débat en posant une cocotte devant elle.
Marie-Louise louvre, une épaisse fumée sen échappe. Pendant ce temps, les
autres vont chercher divers contenants quils déposent sur la table.
Tous ensemble, concentrés, ils se penchent, et dun geste délicat, chacun tire un
fil quil dévide en silence. Des objets sortent (outils et plomberie), qui viennent
tour à tour se suspendre au-dessus de la table en tournant sur eux-mêmes. On
saperçoit quils forment les lettres du mot objet. Les cinq entament doucement
une musique de manège forain, puis ils sortent
Séquences suivantes
Seront traitées avec grâce, acuité et rigueur, ces différentes questions
: Objets et structure narrative,quel parcours ?
Y a-t-il un objet plus quun autre ?
Les objets sont-ils de lart ?
Lobjet libère-t-il la femme ?
Lobjet sémeut-il ?
De lhomme ou de lobjet qui a le dernier mot ?
Lobjet est-il un paradigme relatif ?
Pourquoi les objets sont-ils si durs parfois ?
De lobjet à nous, ny a-t-il quun pas ou plus ?
Peut-on dire que lon est seul avec un objet ?
Objets, que feriez-vous sans nous ?
Intentions de mise en scène et réflexions diverses
Dans ce type de projet, mise en scène et écriture sont imbriquées. Nous sommes ici nos propres auteurs, nous écrivons debout.
Il nempêche que les questions de mise en scène, sur les choix dramaturgiques, les intentions de jeu, les personnages, le rythme, se posent.
Dabord la question des clowns et, à travers eux, celle du rire. Si nous avons choisi de placer des clowns au centre du projet, cest parce quils nous semblent les plus à même de poser un regard neuf sur le monde des objets, et parce que nous aimons le rire quils proposent, un rire que, osons le dire, nous voulons subtil et intelligent.
A ces clowns, il sera donc demandé beaucoup. Dêtre capable dinventions, de ruptures brutales, de propositions absurdes, de conclusions inattendues. Capables de mener un train denfer sans pour autant nous étourdir. Capables de seffacer derrière les objets.
Il leur faudra être des poètes en action.
La question de la dramaturgie ensuite. Il sagit dune histoire somme toute très simple : 5 personnages viennent faire une conférence sur les objets, ils sinterrogent à haute voix et répondent à leur manière. Cest évidemment dans la manière de poser les questions et dy répondre que se crée le décalage.
Sont abordés les problèmes de la définition même des objets, des hiérarchies subjectives que nous installons entre eux, des liens conflictuels ou affectifs que nous entretenons avec eux, de leur rapport avec la littérature, avec les arts plastiques, avec la musique. Problèmes de leur utilité, de leur autonomie, de leur vie secrète, de leurs sentiments supposés. Il y a aussi des moments totalement gratuits et saugrenus.
Certaines séquences sont fortement inspirées dexpériences artistiques antérieures, jeux surréalistes, sculptures à la Tinguely, combats à la Grok, associations poétiques à la Tati. A la fin du spectacle, nous laisserons les objets se débrouiller tout seuls et nous leur abandonnerons le plateau.
Limage finale est une mise en mouvement autonome dune machine fabriquée à partir des objets du spectacle. Nous avons tenu à ce que les objets qui participent à notre aventure viennent dunivers très différents. Ils peuvent être très rudimentaires ou sophistiqués, inutiles, voire hors dusage ou indéfinissables, le principal cest quils nous inspirent.
Les Objets sont-ils ? est un OTNI (objet théâtral non identifié) revendiqué.
Jean-François Maurier
3, cité Souzy 75011 Paris