Les travaux et les jours

• Déshumanisation annoncée

Cosson : une marque de moulins à café. Il y a des gens en France et dans les autres pays qui pour rien au monde ne moudraient leur café avec un appareil autre que Cosson. C'est plus que la reconnaissance d'une qualité. Un lien affectif existe. Une fidélité. Une mythique. Un lien de même nature caractérise le rapport entre le personnel et son entreprise. Quand on travaille chez Cosson, on est pris dans tout un réseau de sentiments qui débordent les limites d'un simple contrat d'emploi.

Les Travaux et les Jours explore le territoire amoureux qui se constitue entre l'entreprise, ses employés et ses clients. Les amours ne sont pas nécessairement heureuses. Le territoire en question est parcouru de tensions et de conflits. Au point qu'il se disloque ou se dissout à la fin, sous la poussée de forces contraires. On s'aperçoit alors qu'une histoire s'est racontée.

L'entreprise une fois absorbée par plus gros qu'elle, la pièce se termine par la suppression du service après-vente, relayé par un ordinateur et l'envoi de lettres-types ; c'en est fini du contact personnel. Des cinq employés, trois reçoivent des affectations diverses, deux sont licenciés pour cause économique. Ils s'inventent des solutions personnelles à leurs problèmes affectifs : ménage à trois ou adultère discret.

Cette pièce lumineuse, qui n’est pas née de la dernière crise, explore le territoire amoureux qui se constitue entre l’entreprise, ses employés et ses clients. Elle nous révèle les origines d’une déshumanisation qui s’annonce fatalement, dans le joyeux optimisme du début des années 1980.

Un bijou de poésie et de drôlerie, écrite en 1977 par Michel Vinaver (entré au répertoire de la Comédie Française en 2009) qui mène alors la double vie de PDG de Gillette France le jour et d’auteur dramatique la nuit.

Par la compagnie Italique.

• Note d'intention

J’ai découvert Les Travaux et les Jours à la parution de son texte en 1977. Pour la jeune étudiante du conservatoire d’Art Dramatique que j’étais, sa lecture a marqué mon parcours artistique tout comme l’oeuvre de Michel Vinaver fut décisive dans l’histoire de l’écriture contemporaine.

Je projette de mettre en scène Les Travaux et les Jours depuis de nombreuses années. J’ai enfin réalisé ce rêve de jeunesse et je remercie les décennies d’attente que la vie et les productions m’ont imposées : l’année 1977 est devenue l’élément de transposition central de ce texte intemporel et le temps que j’ai passé à « rôder » autour de la pièce m’a permis d’acquérir un savoir faire sans lequel je n’aurai jamais pu mettre en scène ce texte aussi vivant qu’exigeant.

Les Travaux et les Jours se situe au début des années 80. Les jupes sont mini, les manteaux maxi, les chanteurs au top et les couleurs pop. Nous sommes au coeur d’un moment charnière dans notre histoire économique et sociale, bouleversant le quotidien de chacun avec l‘apparition de l’ordinateur, marquant le début du démantèlement des petites entreprises familiales absorbées par les plus grosses.

La grandeur de la pièce se trouve au coeur de la poésie singulière de Michel Vinaver, dans l’enchevêtrement des mots et des langages, intimes, professionnels et économiques qui racontent la brutalité de la remise en question du lien affectif de l’homme avec son travail, et annoncent la violence des ruptures dont il est aujourd’hui victime.

J’ai abordé la mise en scène de ce texte en étroite collaboration avec les acteurs et avec Stefano Genovese, notre compagnon musicien depuis 10 ans, considérant avec eux la partition de mots, de musique, de sons et d’actions qui permettraient de faire exister et de laisser vivre les personnages au coeur du spectacle, soucieuse que le public s’y retrouve, en saisisse l’humour et la gravité, et s’attache à la destinée de ces cinq héros du quotidien dont l’histoire singulière s’inscrit sans aucun doute dans notre Histoire contemporaine.

Valérie Grail