A travers les trois millions dannées qui nous séparent, Lucy, notre aïeule simiesque, non encore dotée de la parole, nous raconte le combat quelle a dû mener - seule et sopposant à sa tribu - pour se mettre debout et nous faire exister. Une femme de notre temps entend son appel. Elle écoute, sémeut, questionne Soudain, dans un sursaut de révolte, celle-ci décide déliminer Lucy et par suite la race humaine, trop souvent monstrueuse, criminelle. Surtout, ne pas rencontrer le regard de Lucy La décision prise ny résisterait pas Avec la frêle Lucy blottie dans ses bras, la tragédie est en marche Quelle en sera lissue ?
Lucy existera-t-elle ? Un jour existerons-nous ? Le pari est ouvert.
" Ecrire, cest le désir dêtre " dit Andrée Chédid et denchaîner aussitôt avec une citation de Victor Hugo : " La forme, cest le fond venu à la surface ".
Dès notre première rencontre, Andrée Chédid, grâce à ces quelques mots, nous emmène vers un univers bien à elle que rien, chez cette grande bourgeoise, ne laisse deviner et que nous avons aussitôt envie de faire découvrir. Rendre compte de la lutte des hommes et de leur évolution, militer à la fois pour la femme et la liberté, condamner linjustice tels sont les sujets qui animent luvre dAndrée Chédid.
De la Lucy originale (éd. Flammarion) de Andrée Chédid, la mise en scène a lambition de donner naissance à trois Lucy incarnées par une comédienne, par une danseuse et par un musicien. Semblables aux traditionnelles poupées russes, elles sont plusieurs dans une. Elles sont la femme contemporaine (lécrivain), laustralopithèque, et la voix universelle. Elles sont le miroir, lombre, la réalité de lunique Lucy.
Raymond Moretti a tiré du récit une fresque évoquant la Première femme accouchant de lhumanité avec ses crimes, ses révoltes, ses cris et sa sophistification. Le tableau sinscrit en fond de scène, incrusté sur quatre mètres de large et deux mètres cinquante de haut dans les rideaux noirs. Côté jardin, un tulle noir laisse apparaître, par instants, lombre de Lucy, dautres fois, lombre de lécrivain.
Lombre, la danseuse, dialogue avec Lucy, elle est le non-dit de lauteur Elle est notre passé, elle dessine le chemin parcouru depuis la première femme jusquà celle que nous connaissons tous. Elle intervient dans les silences, elle est le complément du mot, jamais son illustration
Côté cour, vers lavant scène, Lucy est debout ou assise mais toujours en osmose avec lombre ou le musicien. Elle réplique à son ombre ou la provoque, elle donne la parole à lautre Lucy, elle écoute la musique " improvisée " porteuse des sons dun autre monde.
Côté jardin le musicien est immobile, assis. Il observe Lucy, la contemporaine. Sur une musique originale, il joue sur son violoncelle la mémoire de laïeule. Il accompagne, trace la route de la mère et de sa lointaine fille.
Lucy par ses silences lui donne la parole, lui ouvre la " voix ".
La mise en scène est animée dimages symboles, du temps qui passe et de lémotion dun texte exceptionnellement humain et poétique.
Certains soirs, comme un cadeau improvisé, François Rabbath montera sur scène avec sa contrebasse et jouera sa propre musique en alternance avec le violoncelliste.
Lémotion, le rire, la découverte, résolument présents dans le texte de Chédid, sont tout naturellement au premier plan du spectacle qui doit nous restituer le sens de la vie, lespoir, la beauté et peut-être provoquer en nous une réflexion sur notre environnement, sur notre devenir.
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris