Au fond de leur fameux bunker berlinois, Eva Braun, la discrète fiancée d’Adolf Hitler, s’apprête à croquer la capsule de cyanure. Elle se remémore, en les confrontant à ses rêves de star hollywoodienne, quelques-unes des étapes décisives de sa médiocre vie de midinette. Les facéties très incorrectes d’un berger allemand et le contrepoint humoristique de commentaires projetés sur écran achèvent de désamorcer le tragique dérisoire de la situation.
Françoise Delrue, germaniste enthousiaste, dénicheuse de textes, et animatrice de l’activité théâtrale de notre région, a elle-même traduit ce texte d’Ulrich Hub, un jeune auteur également représentatif de la décennie qui suivit la chute du mur de Berlin.
Mam’selle Braun a pour héroïne l’éternelle fiancée cachée d’Adolphe Hitler dont le destin «tragique» fut de devenir, après des années d’abnégation, et trente-six heures avant leur double suicide, l’épouse officielle du Führer.
La pièce est construite en une suite de scènes assez brèves telles les photos successives d’un album bien classé qui retrace, avec la perspective exclusive d’Eva Braun, le petit monde satellite d’Adolphe Hitler.
Chaque instantané a son style propre, les images se succèdent dans la logique historique du destin d’Eva, de sa dix-septième année à sa mort.
Les événements défilent dans l’instant, sans recul, sans analyse, sans sens critique, même si Eva tente de mettre en perspective son destin individuel avec l’histoire de l’Allemagne, la belle grande patrie, à laquelle elle s’identifie dans sa stratégie de conquête du Führer.
La pièce restitue le pathétique état de fascination qui submerge l’héroïne et suggère simultanément comment l’Allemagne est tombée sous le charme.
Pour jouer de la distance par rapport aux événements, Ulrich Hub trace trois cercles critiques autour de son sujet: celui d’Eva, personnage qui dénonce sans en avoir conscience; celui du chien, ici et maintenant sur le plateau de théâtre, tel le coryphée, observateur, commentateur, perturbateur dont le jeu s’inscrit dans le va-et-vient entre l’homme et l’animal; et pour finir, le cercle élargi des spectateurs, qui prend de fait la place du chœur absent de la représentation, investi du statut de témoin pour devenir le passeur averti de l’histoire.
Françoise Delrue
4, place du Général de Gaulle 59026 Lille